Récapitulons. Le 18 janvier 2015, plusieurs hélicoptères
israéliens de combat mènent un raid
en Syrie, je répète en Syrie, tuant
un gradé des Gardiens de la Révolution et une demi-douzaine de miliciens libanais du Hezbollah,
dont le fils d'Imad Moughniyé, tué lui aussi en Syrie en 2008. Que faisait
tout ce beau monde en Syrie ? Tout ce que vous voulez, sauf du tourisme ou
de l’action humanitaire. « Ils effectuaient une tournée
d'inspection de la zone de Quneitra », selon l’explication évasive de Hassan Nasrallah. Lol,
c’est c’là oui. Mais enfin, ils inspectaient quoi et pourquoi faire ?
Il ne manquait plus que de nous faire croire que el-chabeb étaient à Damas et avaient perdu le nord ! Foutaises.
Quneitra est une ville de montagne
fantôme du plateau du Golan qui se trouve dans la zone démilitarisée située à
cheval entre la Syrie et Israël. Bien que syrienne, elle est actuellement sous contrôle de la Force des Nations unies chargée d'observer le dégagement (FNUOD)
entre les deux pays ennemis, créée par
la résolution 350 du Conseil de sécurité (votée le 31 mai 1974). Occupée
par Israël entre 1967 et 1974, elle fut intentionnellement et entièrement
détruite par l’Etat hébreux avant de la livrer au commandement de l’ONU, dans
le but de mettre en place le No Man’s Land avec la Syrie. Ce que le chef du Hezbollah n’a pas osé
dire à son public et au monde, c’est que le brigadier iranien et les six
miliciens hezbollahi se trouvaient en fait dans la zone démilitarisée de la
FNUOD, à un jet de pierre de la « ligne
Alpha », le terme du droit international qui définit de facto la ligne
Ouest de la zone onusienne, la frontière
israélienne, bien loin de « ligne
Bravo », qui correspond à la ligne Est de cette zone, qui est de facto la
frontière syrienne. Les sept hommes étaient peut-être désarmés, rien ne le prouve, mais il est clair que ce militaire iranien et
ces miliciens libanais, étrangers au pays de surcroit, n’avaient strictement
rien à faire dans cette zone qui selon la mission de la FNUOD, doit être
dégagée même des forces israéliennes et syriennes. Mis à part les pertes
humaines, qui sont toujours à déplorer quelque soit le contexte, la présence de ces hommes est une violation de la résolution 350, aussi
grave que le raid israélien lui-même. Ainsi, le 18 janvier 2015, Israël, le
Hezbollah et l’Iran ont tous les trois violé la résolution 350.
Toujours
est-il qu’après le raid israélien sur Quneitra, le ton est monté en Iran. A
plusieurs reprises des responsables iraniens ont fait savoir que la mort de
leur gradé ne restera pas impunie. La réponse ne tardera pas. Dix jours plus tard, des miliciens du
Hezbollah attaquent une patrouille de l’armée israélienne du côté des Fermes de
Chebaa par cinq missiles antichars. Que faisaient tout ce beau monde et
leurs missiles antichars dans cette zone
reléguée aux oubliettes depuis que la milice chiite s’est dressée contre la
révolution syrienne, soumise à la
résolution 1701 du Conseil de sécurité (votée le 11 août 2006), donc censée être démilitarisée, et qui se
trouve sous contrôle de la Force
intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) ? « Punir l'ennemi (israélien) pour son crime (à Quneitra) », selon l’explication populiste de Hassan Nasrallah. En tout cas, ils n'étaient pas là ni pour libérer
Chebaa de l’occupation israélienne, ni pour aider l’Etat libanais à étendre sa souveraineté
sur tout le territoire national. Le ton est monté en Israël. Un vent de panique souffla toute
l’après-midi de mercredi dernier sur le pays du Cèdre, faisant craindre une riposte disproportionnée de la part du pays
hébreux comme il en a eu l’habitude dans le passé, notamment en juillet 2006.
Et pourtant, l’analyse de la situation permettait tout de suite d’avancer, sans
prendre trop de risque, que les événements seront circonscris. Ils l’ont été.
Israël s’est contenté de bombarder les régions frontalières libanaises, le
Hezbollah et l’Iran de pavoiser. Bilan
de la journée du 28 janvier 2015, le Hezbollah, l’Iran et Israël ont tous les
trois violé la résolution 1701 et se sont entendus pour la suite des événements.
On a dit que le Premier ministre libanais a
aussitôt effectué des contacts avec l’ONU, les Etats-Unis et la France, pour
leur demander d’intervenir d’urgence afin d'éviter à tout prix un remake de la
guerre de Juillet 2006. On a dit aussi que Tammam Salam a rapidement établi des
contacts avec le Hezbollah pour l’appeler à la retenue et à la raison. On a dit
également que le fait que l’opération soit une violation grave de la résolution
1701 et qu’elle ait eu lieu à Chebaa, une zone litigieuse -officieusement
libanaise, officiellement syrienne, sous occupation israélienne- dans le « secteur d’opération de la
Finul » selon l’ONU- a permis d’éviter que les choses ne s’enveniment. Foutaises
sur toute la ligne. Vous pensez bien, rien de ce qui a précédé, ni surtout le
sort de 4 millions de Libanais et 2 millions de réfugiés syriens au Liban, n’a
pesé bien lourd dans l’esprit des belligérants. Si la situation n’a pas dégénéré, c’est parce que les deux camps n’avaient tout simplement
aucun intérêt à ce qu’il en soit autrement.
A commencer
par l’Iran. Pourquoi
l’Iran ? Parce que de l’aveu même du Hezbollah, n’en déplaise aux
autruches dans nos contrées, la milice chiite libanaise se réfère
obligatoirement au Guide suprême de la République islamique d’Iran pour tout ce
qui relève des questions stratégiques. Donc, le feu vert de l’opération de Chebaa vient directement de wali el-faqih, Ali Khamenei. Et s’il
subsistait un soupçon de doute, celui-ci a été levé par le
commandant du
Corps des gardiens de la Révolution, Mohammad Ali Jaafari, auquel appartient le brigadier iranien tué lors du raid israélien : « la
riposte du Hezbollah à Israël est considérée comme une réponse iranienne ».
Bonjour la souveraineté libanaise ! En tout cas, l’Iran qui était la veille de la reprise de ses négociations avec les
pays occidentaux à Istanbul, concernant son dossier nucléaire, n’allait pas hypothéquer un événement
d’une haute importance pour son avenir et déterminant
pour ses ambitions expansionnistes régionales, afin de se livrer à la
vengeance d’un homme dont le destin, selon l’idéologique du régime des mollahs,
est de se sacrifier pour la République islamique d’Iran.
Ceci dit, pour ce qui est du Hezbollah, l’acteur principal, non seulement
il n’avait aucun intérêt à ce que la
situation ne dégénère, mais en plus, la milice chiite ne pouvait pas se payer le luxe d’une confrontation avec Israël. Mais
alors, pas du tout, contrairement à ce que laisse penser l’attaque de mercredi,
wou bahwariyet Hassan Nasrallah
vendredi, et ceci pour trois raisons :
. D’abord, parce que ce n’était pas l’objectif de l’opération ! Le but de l’attaque
de la patrouille israélienne était double : d’une part, sauver l’honneur hezbollahi-iranien de
l’humiliation subie lors du raid israélien, et d’autre part, remonter le moral de leurs bases
réciproques qui, le moins qu’on puisse dire, est effondré par le raid de Quneitra, mais surtout par le coût
humain et financier de l’implication de la milice chiite libanaise et du régime
iranien des mollahs dans l’interminable guerre civile syrienne aux côtés du
régime alaouite.
. Ensuite, parce que la milice chiite savait que ses miliciens sont trop enlisés dans la
guerre en Syrie pour pouvoir conduire deux fronts simultanément, l’un
contre des islamistes qui ont brisé ses lignes de défense dans le Qalamoun (Anti-Liban) et
l’autre contre la puissante machine de guerre israélienne.
. Enfin, parce que sayyed Hassan Nasrallah est conscient que
désormais, il ne pourra plus jamais réitérer « l’exploit » de la
guerre de Juillet, à supposer qu’il y en ait eu un à l’époque.
Si la milice chiite
a pu « résister » 34 jours à la puissance de feu de Tsahal en 2006, ce n’est pas seulement parce que
le front syrien n’existait pas à l’époque (tout l’effectif milicien était
concentré au Liban), mais c’est aussi grâce
à divers facteurs qui sont caducs en 2015 : la mainmise des milices chiites sur le Sud-Liban transformé progressivement
à partir de 1982 avec l’expulsion des milices palestiniennes en un
hezbollah-land (malgré toutes les réserves quant à son application stricte, la
résolution 1701 entrave aujourd’hui les actions du Hezbollah entre la ligne
bleue, la frontière israélo-libanaise, et le fleuve Litani) ; le « gouvernement de résistance »
de Fouad Siniora qui était en place à l’époque (un gouvernement néo-indépendant,
sans le Hezbollah, dans lequel la communauté internationale avait une entière
confiance et qui n’a rien à voir avec le gouvernement rachitique de Tammam
Salam aujourd’hui, formé avec le Hezbollah) ; la sympathie de la population libanaise dont il ne reste plus rien
dans les communautés sunnites et chrétiennes du 14-Mars, Courant du Futur,
Kataeb et Forces libanaises (et pour cause, le Hezbollah est aujourd’hui poursuivi
par le Tribunal Spécial pour le Liban pour l’assassinat de Rafic Hariri, est soupçonné
de plusieurs assassinats politiques, est responsable d’une invasion sanglante de
Beyrouth, etc.) ; la sympathie des
pays arabes dont il ne reste plus rien non plus (à cause de l’implication de
la milice chiite aux côtés du régime alaouite dans la répression sanglante de
la révolution syrienne. Ainsi, le chef
du Hezbollah savait qu’en cas d’un nouveau conflit avec Israël, les
750 000 déplacés de 2006, auraient cette fois-ci beaucoup du mal à trouver
refuge au Liban, mais aussi en Syrie, comme ce fut le cas la dernière fois.
Et même si une certaine compassion subsistera, surtout en cas d'attaque israélienne d'envergure, avec la présence de 2 millions de réfugiés
syriens au Liban, ça ne sera pas possible techniquement.
Du côté
d’Israël, les choses
étaient claires aussi. Certes, la mort de deux soldats est douloureuse pour l’Etat
hébreux. Mais, les intérêts stratégiques
ont primé sur toute autre considération. Revenons au raid de Quneitra. Le but de cette intrusion israélienne dans
les affaires syriennes était double,
signifier aux intéressés, l’Iran et le Hezbollah, primo, que l’Etat hébreux a
de puissants services de renseignements qui sont au courant de tout ce qui se
passe en Syrie, bel cherdé wel werdé,
secundo, qu’il existe une ligne rouge à
ne pas franchir, le Golan. Et tout ce qui s’est dit par ailleurs, n’est que
balivernes ! Le convoi
hezbollahi-iranien se trouvait à un jet de pierre de la frontière israélienne.
Quel que soit le rang du gradé des Gardiens de la Révolution et celui des
miliciens hezbollahi, les Israéliens ont
envoyé un message clair au tandem chiite : vous faites ce que vous voulez
en Syrie, mais n’approchez pas du Golan ! D’ailleurs, les Israéliens
étaient les premiers surpris par le grade du militaire iranien tué durant le
raid, ce qui confirme que l’attaque aérienne de Quneitra n’était pas
personnalisée et nominative, mais ciblée et symbolique. Elle devait fixer les
limites de l’aire de manœuvre de l’Iran et du Hezbollah en Syrie.
Rajoutons qu’Israël avait d’autant moins besoin de se lancer dans un conflit armé,
qu’il se trouve à moins de deux mois des élections législatives, ce qui
constituerait un suicide pour le Premier ministre sortant Benjamin Netanyahu. Et ce
n’est pas tout, Israël avait d’autant moins envie de se lancer dans un conflit
armé, que ses ennemis jurés, le
Hezbollah et l’Iran, sont enlisés jusqu’à nouvel ordre, dans la guerre syrienne qui est, comme je l’ai dit
précédemment, très couteuse pour le duo chiite sur les plans humain et
financier. Dans l’état actuel des choses, les dirigeants israéliens se
tireraient une balle dans le pied, en déclenchant une confrontation militaire à
sa frontière nord. En deux mots, ils ne
peuvent pas rêver d’une conjoncture plus favorable.
Comme
personne ne voulait aller plus loin, à chacun ses raisons, c’est l’entente tacite
qui prévalait rapidement sur la scène moyen-orientale quelques heures seulement
après l’incident. On s’est rassurés mutuellement via la FINUL et du coup, les agriculteurs israéliens étaient de retour dans leurs
vergers dès jeudi matin. C’est Israël qui a annoncé en premier, par
l’intermédiaire du ministre de la Défense himself, Moshé Yaalon, d’avoir reçu
des garanties du Hezbollah que la milice chiite ne souhaite pas l’affrontement.
De l’autre côté, où il n’est pas flatteur d’avouer qu’on communique avec
l’ennemi israélien, pour lui donner des assurances, on a préféré insister par
le biais de Reuters sur le fait
qu’Israël a fait savoir au Hezbollah qu’il ne souhaite pas l’escalade. Ah, comme elles sont touchantes ces
amabilités ! Si ces hypocrites s'étaient entendus le 12 juillet 2006, ça aurait évité au Liban le
« désastre divin » de 1 500 morts et l’équivalent de 50 % de son PIB de l'époque parti
en fumée (plus de 10 milliards de dollars) et à Israël 167 morts et 3 % de son PIB.
Et que fait le
chef de la milice du Hezbollah quand il est pris en flagrant délire d’entente tacite
avec « l’entité sioniste »
qu’il prétend combattre alors que ses miliciens sont enlisés en Syrie à des dizaines
de kilomètres de la frontière israélienne ? Eh bien, il se transcende bé filem hezbollahi tawil, « 3ala tarik el qods » (Sur la
route de Jérusalem), titre inscrit en fond d’écran derrière Hassan
Nasrallah lors de son apparition télévisuelle vendredi 30 janvier, sous le
portrait des sept hommes tués lors du raid israélien de Quneitra. A l’arrivée,
on a eu droit à une conférence de presse
de près d’une heure vingt, pleine de menaces, d’héroïsme, de bravoure et surtout
de palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el7aké. Israël, le Hezbollah et l’Iran ont tous les
trois violé les résolutions 350 et 1701 du Conseil de sécurité, et se sont
entendus tacitement pour circonscrire ces violations et retourner chacun à
ses occupations antérieures. De part et d’autre, l’honneur étant sauf, la tuerie en Syrie peut donc reprendre. Pour
tous ceux qui connaissent le Hezbollah, et le juge sans passion ni aveuglement,
en dépit d’un courage certain de ses hommes, la milice chiite libanaise est un cas d’école de
ce que l’on a coutume de désigner dans nos contrées bel 3arabé el mchabra7, kezbé
kbiré, un gros mensonge. Il vient de nous le démontrer brillamment
encore une fois. Un titre qu’il peut partager cette fois, avec l’Iran et Israël.