mardi 21 janvier 2014

A défaut d’appliquer le plan A, l’intelligence politique exige d’appliquer un plan B (Art.206)


Nous sommes submergés par la colère. Et il y a de quoi dans ce pays, après les déclarations de Saad Hariri hier soir et la énième explosion survenue à Beyrouth ce matin. Mais il est notoirement connu qu’un tel état émotif est de très mauvais conseil. Comment peut-il en être autrement sachant que rien dans la vie n’est noir ou blanc, tout est nuances de gris. Un exemple pour le confirmer, la formation du gouvernement de Tammam Salam, que les Libanais ont désespéré de le voir naitre. Je vous propose un survol d’un ensemble de points de « vu », des vues personnelles, qui permettront de rappeler quelques faits et évidences pour aller de l’avant.

1. Vu que l’intérêt suprême du Liban doit primer sur toute autre considération.

2. Vu que l’intelligence est une aptitude à réfléchir, à comprendre et à s’adapter à toute nouvelle donne, et que par conséquent, dans toute action intelligente dans la vie il faut constamment se demander d’une part, si on a les moyens de sa politique, et d’autre part, d’évaluer le prix à payer pour parvenir à faire prévaloir ses choix et à appliquer cette politique. A défaut de moyens et si le prix à payer est exorbitant, il convient de changer les moyens de mener sa politique, au lieu de s’obstiner dans les actions suicidaires comme le prouvent magistralement ces quatre illustrations qui me viennent immédiatement à l’esprit : Michel Aoun enlisé dans des guerres stériles entre 1989 et 1990, le Hezbollah embourbé dans des guerres dévastatrices contre Israël en 2006 et contre le peuple syrien depuis 2012, le camp du 14 Mars obstiné à vouloir écarter Emile Lahoud en 2007, ainsi que les rebelles syriens qui en militarisant et en généralisant le conflit en Syrie, ont fait exploser la souffrance du peuple syrien, et libanais par ricochet, pour finir sur une table en formica à Genève. Ni Michel Aoun, ni le Hezbollah, ni le 14 Mars, ni les rebelles syriens, indépendamment de la justesse de leurs causes, n’avaient les moyens de leurs politiques, et pourtant ils ont tous persisté dans la même stratégie. Avoir une cause, à supposer qu’elle soit bonne, c’est bien, trouver les moyens pour atteindre les objectifs de cette cause, aux moindres frais, c’est beaucoup mieux.

3. Vu que nous sommes dans l’impossibilité d’organiser des élections législatives au Liban, même à moyen terme, pour de multiples raisons dont l’incapacité viscérale à changer la loi électorale féodale de 1960 qui régit toute élection à l’avenir jusqu’à nouvel ordre, et l’enlisement de la guerre en Syrie, figeant le rapport de force parlementaire entre le 14 Mars et le 8 Mars jusqu’à nouvel ordre.

4. Vu que le 14 Mars et le 8 Mars ont eu le grand tort de croire depuis trois ans que l’espérance de vie du régime de Bachar el-Assad se décidera en quelques semaines, contrairement à ce que peu de gens comme moi le pensaient et ceci dès le début de la révolte syrienne en mars 2011.

5. Vu que le Liban est plongé malgré lui dans la guerre civile syrienne jusqu’à nouvel ordre par la participation active de la milice chiite auprès du régime alaouite syrien sur la demande du régime chiite des mollahs, et que celle-ci peut durer encore des années, Genève ou pas. 

6. Vu que ni les négociations intersyriennes de Genève 2, dans quelques heures, ni l’accord définitif sur le nucléaire iranien dans quelques mois, ni même le jugement du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) dans quelques années, ni la chute des régimes en Syrie et en Iran lors de cette décennie, ne mettront un terme à l’anomalie du Hezbollah au Liban, et que seul un « printemps chiite libanais » le fera, et Allah sait que nous sommes toujours dans une ère glaciaire dans les contrées de Dahiyé, de Bint Jbail et de Baalbek.

7. Vu que la vacance présidentielle au Liban a de fortes chances de se produire le 25 mai 2014 comme en 2007.

8. Vu que le Parlement autoprorogé jusqu’à l’automne 2014, risque de rallonger son mandat de nouveau faute de nouvelles élections législatives d’ici dix mois.

9. Vu que le blocage dans la formation du gouvernement de Tammam Salam est à l’avantage du 8 Mars, qui reste au pouvoir via le gouvernement démissionnaire de Najib Mikati, et gère seul l’expédition des affaires courantes du pays via une trentaine de ministres 8-Marsistes.

10. Vu qu’il ne suffit pas de noter sur un bloc-notes une trentaine de noms pour donner à ce pays un gouvernement et qu’un vote de confiance au Parlement est indispensable.

11. Vu qu’à l’heure actuelle, et sans de nouvelles élections législatives, ni le 14 Mars seul, ni le 8 Mars seul, ne possède une majorité au Parlement pour donner la confiance à une formule gouvernementale sans l’accord tacite de l’autre camp.

12. Vu que les « conditions » posées par le 14 Mars sont justes mais ne peuvent pas être imposées au Hezbollah en totalité : l’adoption de la déclaration de Baabda (instaurant la distanciation du Liban du conflit syrien... 7eber 3a wara2, même si elle sera adoptée), la présentation par le Hezbollah d’un planning du retrait de ses miliciens de Syrie (alors que l’engagement de la milice chiite en Syrie est une question « existentielle » comme l’a souligné Hassan Nasrallah à maintes reprises), l’abandon de la triptyque divine « peuple-armée-résistance » de toute déclaration gouvernementale (une foutaise qui n’est pas viable de toute façon) et la rotation des portefeuilles (une évidence qui devrait s'imposer).

13. Vu la capacité de mobilisation de masse du Hezbollah qui bénéficie d’un soutien important et inconditionnel de la communauté chiite libanaise, malgré l’invasion du 7 mai 2008 et les accusations du crime du 14 février 2005.

14. Vu la capacité d’indifférence du 8 Mars face à la dégradation de la situation sécuritaire, économique et sociale du Liban, comme l’a prouvé dans le passé par exemple, la paralysie du centre-ville entre déc. 2006 et mai 2008, le gaspillage de l’équivalent de la moitié de notre PIB lors de la guerre de juillet 2006 et les accusations mensongères systématiques d’Israël par le Hezbollah d’être à l’origine des assassinats et des attentats au Liban.

15. Vu la capacité limitée de mobilisation de masse du 14 Mars, comme l’a prouvé la faible participation populaire aux obsèques du gentleman-premier-ministrable, Mohammad Chatah, malgré le choc de cet assassinat, ainsi que le faible nombre de likes de la page facebook du Tribunal Spécial pour le Liban (1026 likes pour 3,5 millions de Libanais, et 12 millions de descendants de Libanais, cherchez l’erreur !).

16. Vu le fatalisme et la fatigue du peuple libanais.


17. Vu la forte préoccupation du 14 Mars face à la dégradation de la situation sécuritaire, économique et sociale du Liban à cause de l’interminable guerre civile syrienne et de l’ingérence de la milice du Hezbollah dans ce conflit (afflux de réfugiés syriens vers le Liban ; attentats à Beyrouth et ailleurs, bombardements d’Ersal, combats à Tripoli, kidnapping à Deir el-Ahmar, etc.).

18. Vu que toutes les composantes du 14 Mars sont sur la même longueur d’onde, et que Saad Hariri, Amine Gemayel et Samir Geagea, ainsi que les politiques indépendants comme Boutros Harb, ont tous exprimé à un moment ou à un autre leur souhait de former un gouvernement avec les composantes du 8 Mars, mais sous conditions.

19. Vu que le plan A a échoué par l’incapacité du 14 Mars à former un gouvernement 14-Marsistes et par l’impuissance de Michel Sleiman et de Tammam Salam d’imposer un gouvernement neutre car ceux-ci n’obtiendraient pas la confiance du Parlement dans l’état actuel des choses.

20. Vu qu’un gouvernement avec le Hezbollah ne conduit ni à couvrir son implication aux côtés de Bachar el-Assad, ni à l’absoudre du crime du 14 février 2005, ni à écarter les soupçons qui pèsent sur son implication dans les autres assassinats (tentative d’assassinat de Boutros Harb ; mais aussi assassinat de Georges Haoui et des tentatives d’assassinats de Marwan Hamadé et d’Elias el-Murr, comme on peut le déduire du lien de connexité établi par le TSL entre ces crimes et celui de Rafic Hariri). 

21. Vu qu’il ne faut quand même pas oublier que c’est bien avec un Conseil des ministres où non seulement le Hezbollah avait son mot à dire et le 8 Mars possédait le tiers de blocage, que le 14 Mars a réussi à faire passer via ce gouvernement présidé par Fouad Siniora, la plus importante réalisation de son histoire, celle de la constitution du Tribunal Spécial pour le Liban par le Conseil de sécurité des Nations Unies, ce qui prouve que l’essentiel n’est pas dans la théorie mais dans la pratique.

22. Vu que le 16 janvier 2014 à 9h30 précises, le Hezbollah a définitivement perdu la bataille du Tribunal Spécial pour le Liban, et que les Libanais peuvent désormais être sûrs du triptyque victorieux de la vérité sur le mensonge, de la justice sur le terrorisme et de l'Etat de droit sur l'impunité, au moins pour une fois au Liban.

23. Vu que le gouvernement Tammam Salam est de nature saisonnière, ayant une espérance de vie qui ne devrait théoriquement pas dépasser le printemps.

24. Vu que ce gouvernement est supposé avoir comme principaux objectifs d’organiser une élection présidentielle avant le 25 mai 2014 et des élections législatives avant le 20 novembre 2014, dont le vainqueur nommera le prochain Premier ministre, mieux vaut donc se concentrer sur ces trois événements qui engagent l’avenir du Liban, au lieu de considérer le gouvernement éphémère de Tammam Salam comme la panacée.


25. Actuellement, le 14 Mars se trouve diviser entre deux groupes. D’un côté, il y a les partisans du plan A, celui de former un gouvernement sans les composantes du 8 Mars, notamment du Hezbollah, dont cinq membres sont poursuivis par le Tribunal Spécial pour le Liban pour l’attentat du 14 février 2005 et l’assassinat de Rafic Hariri. D’un autre côté, il y a les partisans d’un plan B, celui de former un gouvernement sous conditions avec les composantes du 8 Mars, qui rappelons-le, ne se réduit pas au Hezbollah, et qui dispose d’une soixantaine de députés, il faut tout de même s’en souvenir.

26. Le problème que les partisans du plan A semblent oublier c’est que la gestation du gouvernement de Tammam Salam dure depuis neuf mois ! Et depuis 9 mois, c’est le même discours que les Libanais entendent en boucle : nous demandons au président de la République et au Premier ministre désigné de se décider, blablabla, patati, patata ! C’est bien joli tout cela, mais nos deux hommes ne se décident pas. Et même s’ils se décidaient, sans l’accord du 14 Mars et du 8 Mars, la formule ne passera pas le vote de confiance au Parlement. Depuis neuf mois, on tourne donc en rond. Alors quoi faire ?

27. Vu tous les éléments développés précédemment, poursuivre le plan A aujourd’hui, c’est prendre un grand risque de faire sauter à la fois les élections présidentielle et législatives. Et c’est peut-être ce que souhaite le Hezbollah au fond, le chaos. Il faut en être conscient. Le plan B n’offre aucune garantie que celles-ci auront lieu. Il n’arrêtera ni les attentats ni les tentatives d’assassinat dans notre pays. Là aussi, il faut en être bien conscient.

28. Néanmoins, avec le plan B, au lieu que le pays reste diriger par un « gouvernement démissionnaire » de 30 ministres contrôlé à 100 % par le 8 Mars et à 0 % par le 14 Mars, il pourra alors être dirigé par un « gouvernement au plein pouvoir » où le 8 Mars ne contrôle directement que 33 % des ministres et le 14 Mars, 33 %, le reste étant des personnalités théoriquement « indépendantes » des deux camps. Même si la situation restera bloquée ultérieurement, pas d’élections présidentielle et législatives, cette nouvelle formation gouvernementale aura le mérite de gérer convenablement les affaires du pays, et de rentrer la présidence du Conseil des ministres dans le giron du 14 Mars, ainsi qu’un tiers des ministères, ce qui n’est pas le cas actuellement. Certes, un tiers du gouvernement sera entre les mains du 8 Mars, et non du Hezbollah (petite nuance quand même), mais il l’est déjà, et ce n’est pas un tiers seulement, mais la totalité des trois tiers, pardi !

29. Le plan B n’est ni une réconciliation, ni un arrangement à la libanaise. Ce n’est ni une histoire de couilles, encore moins de cons ! C’est une occasion d’avancer ses pions en politique, point. Et si c’est dans l’intérêt suprême du Liban, eh bien, c’est tant mieux. Elle est là « la résistance civile, pacifique et démocratique... pour libérer la patrie de l'occupation des armes illégitimes, afin de protéger notre indépendance et la souveraineté de notre patrie », lancée par Fouad Siniora aux obsèques du gentleman premier ministrable, Mohammad Chatah, tué le 27 décembre 2013 : c'est de reprendre le pouvoir ! La formation du gouvernement Tammam Salam constitue la première étape sur cette voie. Rester dans son coin à attendre la chute "imminente" de Bachar el-Assad et l’évaporation "miraculeuse" du Hezbollah, ce n’est ni un plan A, ni B, ni AB, ni O! C’est un plan zéro !

30. Il me semble que Saad Hariri et Samir Geagea ont adopté, volontairement ou pas, qu’importe, la tactique du « good cop, bad cop », une approche opposée mais complémentaire des deux flics pour interroger un suspect : l’un est conciliant, l’autre est inflexible. Personne n’est fou dans ce pays. Ni Saad Hariri, ni Hassan Nasrallah. Ni Amine Gemayel, ni Walid Joumblatt. Ni Samir Geagea, ni Michel Aoun. Négocier est un art. On comprend bien qu’aujourd’hui, tout est dans les limites des conditions de la formation de ce gouvernement : la formule, les noms, les portefeuilles clés (finances, télécommunications, intérieur, affaires étrangères, justice), la déclaration gouvernementale et les objectifs. Enfin, il faut surtout regarder au-delà de ce gouvernement éphémère ! Et l’au-delà, c’est dans quatre mois.

jeudi 16 janvier 2014

Jour J : J du Tribunal Spécial pour le Liban et J pour Justice au Liban (Art.100)


Il n’y a rien de pire dans la vie que le sentiment d’injustice ! Aussi bien sur le plan personnel que collectif, l’injustice ronge l’individu comme la rouille corrode le fer. Rarement un événement n’a été aussi attendu que celui d’aujourd’hui dans l’histoire récente du Liban. En numérotant mes articles, j’avais sciemment sauté le numéro 100, pour réserver ce chiffre rond à un article marquant sur un moment mémorable.

Ce jeudi 16 janvier 2014 à 9h30 précises, cinq « suspects juridiques », de nationalité libanaise, sont appelés à comparaitre devant le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) : Mustafa Badreddine, Salim Ayyash, Hussein Oneissi, Assad Sabra et Hassan Merhi. Ils sont tous membres du Hezbollah, de l’aveu même de la milice libanaise. D’après les actes d’accusation, les inculpés sont poursuivis pour plusieurs chefs d’inculpation, dont celui de « complot en vue de commettre un acte de terrorisme ». Les deux premiers sont accusés de « la perpétration d'un acte de terrorisme au moyen d'un engin explosif, homicide intentionnel de Rafic Hariri et de 21 personnes, et tentative d'homicide intentionnel de 226 personnes, avec préméditation au moyen de matières explosives ». Les trois derniers sont accusés de complicité pour les quatre chefs d’inculpation. A titre d’exemple, on apprend du TSL que « M. Badreddine est accusé de s’être joint à un complot visant à commettre un acte de terrorisme consistant à assassiner Rafic Hariri. L’acte d’accusation affirme aussi que M. Badreddine assurait le contrôle de la perpétration matérielle de l’attentat. M. Badreddine est aussi accusé d’avoir contrôlé et coordonné, avec Salim Ayyash, la surveillance de Rafic Hariri aux fins de préparation de l’attentat ainsi que l’achat du camion utilisé pendant l’attentat. M. Badreddine est de plus accusé d’être impliqué dans la préparation de la fausse revendication de responsabilité visant à soustraire à la justice les réels auteurs du complot. » Etant donné que le gouvernement 8 Mars de Najib Mikati, qui est contrôlé par Hassan Nasrallah, Nabih Berri, Walid Joumblatt et Michel Aoun, n’a pas réussi ou voulu, au choix, capturer les accusés, ceux-ci seront donc jugés par contumace.

Un des arguments avancés par tous les « suspects politiques » du crime du 14 février 2005 pour se dédouaner de l’acte criminel qui venait de se produire ce jour-là, est que ça ne pouvait pas être eux parce qu’il était évident qu’ils allaient être accusés du crime, et qu’ils n’étaient pas si sots pour commettre une telle erreur. L’argument est d’ailleurs fréquemment remis sur le tapis médiatique et utiliser dans d’autres contextes. Nos zozos feignent d’ignorer que nul n’a imaginé au cours des préparatifs de cet attentat complexe, et nul veut dire pas une seule personne, la moitié d’un quart de seconde comme on dit au Liban, noss rébé3 séniyé, que neuf années plus tard, une haute juridiction internationale des plus sérieuses au monde, tiendra sa première audience pour juger les criminels incriminés dans cet attentat qui a fait 22 morts et 226 blessés.

Par « suspects politiques », un terme légitimé par la peine populaire et les faits politiques, une partie des Libanais accusent l’alliance tricéphale infernale, Da7iyé (banlieue sud de Beyrouth)-Damas-Téhéran, d’être la responsable de cet attentat. Le procès de La Haye apportera sans doute un éclaircissement sur la répartition des rôles. Mais d’ores et déjà tout le monde au Liban, sans exception, a sa petite idée. De l’aveu même des intéressés, affirmé à plusieurs reprises et attesté noir sur blanc ainsi que par le son et les images, sur les questions stratégiques, la milice chiite du Hezbollah se tient aux décisions de wali el-fakih du régime des mollahs, le Guide suprême de la République islamique d’Iran (de confession chiite), Ali Khamenei, quels que soient la fierté et l’orgueil du côté libanais, et la longueur des barbes des gouvernants du côté iranien, 3 jours ou 35 ans, qu’importe, c’est lui et lui seul qui décide. A supposer qu’il n’en soit pas le commanditaire, tout le monde sait aussi qu’un acte terroriste sophistiqué de cette envergure ne pouvait pas se faire en plein cœur de Beyrouth sans la participation de l’occupant syrien, le régime alaouite de Bachar el-Assad.

Il est clair aussi qu’en ce début d’année 2005, il existait une importante convergence d’intérêts entre Damas, Da7iyé et Téhéran, pour faire de Rafic Hariri, l’homme à abattre. Et ce ne sont sûrement pas les raisons qui manquaient ! Une personnalité politique sunnite de premier plan, charismatique, transcommunautaire (c’est incontestablement le paramètre le plus dangereux au pays des 18 communautés), puissant homme d’affaires (dont la fortune personnelle était estimée entre 4 et 10 milliards de dollars), bâtisseur (fortement impliqué dans la reconstruction du Liban de l’après-guerre, notamment du centre-ville de Beyrouth) et philanthrope (il a ouvert des dizaines de dispensaires dans toutes les régions libanaises et a permis à près de 40 000 étudiants libanais de poursuivre leurs études, dont 2/3 à l’étranger). Par ailleurs, de par sa vie professionnelle (en Arabie saoudite et au Liban) et son long parcours politique (intervenant en coulisse dès le début de la guerre et jusqu’en 1990, participant même à la conférence de Lausanne en 1984 et à l’accord de Taëf en 1989, puis député et Premier ministre du Liban à cinq reprises, cumulant dix années au pouvoir entre 1990 et 2005), Rafic Hariri a su créer un réseau d’amitiés et de relations nationales, transcommunautaires, et internationales, arabo-occidentales, impressionnant ! Il a su aussi mettre à profit ses relations pour parvenir au vote historique de la résolution 1559 par le Conseil de sécurité le 2 septembre 2004 (qui exige le respect de la souveraineté nationale et le retrait des forces étrangères du Liban, ainsi que la dissolution et le désarmement de toutes les milices libanaises et non libanaises). Autour de lui se sont cristallisés les efforts des opposants souverainistes (notamment ceux de Kornet Chehwan, un rassemblement de politiques chrétiens parrainé par le Patriarche Sfeir), la veille des élections législatives de printemps 2005 (où ils devaient rafler la mise comme en l’an 2000), afin de mettre fin à l’occupation du Liban par la Syrie et d’étendre la souveraineté de l’Etat libanais sur tout son territoire. Certains ont reproché à l’homme ses choix économiques, le creusement de la dette publique, la politique de Solidere, la dissolution du parti des Forces libanaises, l’incarcération politique de Samir Geagea pendant 11 ans et la prolifération d’une anomalie incontrôlable comme le Hezbollah, faisant fi du fait que sa marge de manœuvre était bien étroite et qu’il se trouvait toujours coincer entre le marteau et l’enclume du Hezbollah et de la Syrie. Toujours est-il, Rafic Hariri est devenu au fil des années une personnalité libanaise hors pair, représentant merveilleusement bien le Liban d’antan, celui de la cohabitation islamo-chrétienne et la Suisse de l’Orient, ainsi que le Liban d’avenir, un pays en paix, souverain et prospère. Du coup, l’alliance tricéphale ne voyait plus en lui que l’homme qui contrarie dangereusement ses projets au Liban.

Il faut dire aussi que le savoir-faire ne manquait pas non plus à l’alliance infernale ! Des attentats-suicide, comme celui qui a tué Rafic Hariri, l’Iran et le Hezbollah en avaient l’expérience, depuis les explosions des QG des marines américains et des parachutistes français à Beyrouth le 23 octobre 1983 (plus de 300 morts), entre autres. On se souvient même de Hassan Nasrallah qui décrivait à Robert Fisk en 1993, sourire aux lèvres svp !, la sérénité d’un kamikaze avant de se faire sauter avec ses ennemis. Quant à la tyrannie des Assad, père et fils appartiennent à la même école du crime, celle qui n’a pas hésité à éliminer une autre personnalité charismatique et transcommunautaire comme Bachir Gemayel, le 14 septembre 1982.

Décision prise, il n’y avait plus qu’à préparer minutieusement cet attentat à haut risque et à trouver une bonne fenêtre de tir ! La puissance de la charge explosive, l’équivalent de 2500 kg de TNT, prouve à quel point les criminels étaient déterminés à tuer l’ancien Premier ministre sur le champ et ne pas rater leur cible. Par comparaison, la charge de l’attentat à la fiche magique d’état civil du 2 janvier dernier, était de 20 kg seulement.


Tout ce beau monde était persuadé que l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, rejoindra en silence les autres victimes du terrorisme, dans le passé comme à l’avenir, ceux qui ont péri comme ceux qui ont survi, sans faire trop de vague et sans bouleverser l’ordre établi par la terreur de la Pax Syriana : des présidents de la République, Bachir Gemayel et René Mouawad (assassinés en 1982 et 1989), un Premier ministre, Rachid Karamé (dont l’assassinat en 1987 a donné lieu à un simulacre de procès), des hommes politiques (comme Kamal Joumblatt et Dany Chamoun, assassinés en 1977 et en 1990), des personnalités politiques (comme Pierre Gemayel et Mohammad Chatah, assassinés en 2006 et 2013), des hommes religieux (comme le mufti Hassan Khaled, assassiné en 1989), des hommes des renseignements (comme Wissam Eid et Wissam el-Hassan, assassinés en 2008 et en 2012), des écrivains et des journalistes (comme Samir Kassir et Gebrane Tuéni, assassinés en 2005), des leaders étudiants (comme Ramzi Irani et Hachem Salman, assassinés en 2002 et en 2013), des miraculés (comme Marwan Hamadé, Elias el-Murr et May Chidiac, qu’on a tentés d’assassiner en 2004 et en 2005), des rescapés (comme Samir Geagea et Boutros Harb, dont les tentatives d’assassinat en 2012 ont échoué), et tant d’autres compatriotes de toutes confessions, des chrétiens et des sunnites dans la majorité des cas, mais aussi des chiites et des druzes pour certains, tous tombés sur l’autel de la patrie, tous victimes de ce « recours à la violence dans un but politique » qu’on appelle le terrorisme. Pire encore, tout ce beau monde croyait dur comme fer que le dossier de l’enquête, comme les autres dossiers criminels, sera enterré avec la victime, comme à l’époque des pharaons, comme faisant partie des affaires personnelles du défunt, un complément biographique posthume. Tout ce beau monde pensait que quelques larmes de crocodile et trois jours de deuil national suffiraient pour sceller à jamais la tombe du défunt et assécher les larmes de sang de ses compatriotes, le tour serait joué et la vie politique continuerait comme si de rien n’était au pays du Cèdre, du hommous, des palabres et des tébwiss el lé7é. Mais comme le dit si bien Abou el-Tayeb al-Moutanabbi, ma koulou ma yatamannahou el mar2ou youdrikouhou, tajri el riya7o béma la tachtahi el soufounou (pas tout ce que souhaite l’individu ne se concrétise, le vent souffle dans le sens contraire à ce que voudraient les navires).

Aussitôt après le séisme du 14 février 2005, contrairement à ce qui était prévu par les organisateurs, des voix islamo-chrétiennes de toutes confessions se sont élevées contre l’occupant syrien, rendu pleinement responsable de l’assassinat de Rafic Hariri. Certes, une telle réaction était prévue par les metteurs en scène de cette tragédie macabre, mais pas son ampleur ! Leur réponse fut donc irréfléchie et sans vergogne, pour étouffer dans l’œuf toute voix dissonante contre la Pax Syriana. Ainsi, une grande manifestation de soutien aux forces d’occupation syriennes fut organisée par les « suspects politiques », Hezbollah en tête, le 8 mars 2005, trois semaines à peine après le meurtre de Rafic Hariri, sous la bannière « Merci la Syrie des Assad » place Riyad el-Solh à Beyrouth. Elle a rassemblé près de 400 000 personnes. C’est dans ce contexte éhonté qu’est né le camp du 8 Mars. Choqué par le mépris ostentatoire du Hezbollah, la riposte du peuple libanais libre est fulgurante. Six jours ont suffi pour mobiliser un million et demi de Libanais, de toutes confessions, bravant la terreur hezbollahi-syro-libanaise et les faire descendre place des Martyrs à Beyrouth le 14 mars 2005 afin de réclamer deux choses : « le retrait des troupes d’occupation syriennes du Liban et que justice soit faite pour l’assassinat de Rafic Hariri ». C’est dans ce contexte remarquable qu’est né le camp du 14 Mars. Nul des commanditaires et des exécutants de l’assassinat de Rafic Hariri n’a évidemment prévu la moitié d’un quart de seconde cette bravoure du peuple libanais. Le premier objectif fut atteint le 26 avril 2005. Le deuxième, est en voie d’accomplissement en ce jour historique.

Depuis cette date tragique, à l’instar de beaucoup de pays, le Liban est donc divisé en deux camps : le 8 Mars et le 14 Mars. Bien que faisant partie de ceux qui sont descendus place des Martyrs, les partisans de Michel Aoun ont vu leur leader les replacer pour des raisons politiciennes, dans le camp du 8 Mars, le 6 février 2006. En tout cas, cette dichotomie regrettable fut naturellement exacerbée par la révolte du peuple syrien contre le dernier tyran des Assad.

En ce jour historique, il convient de rappeler aux amnésiques par conviction et par omission, que le Tribunal Spécial pour le Liban est le fruit d’un accord établi entre l’Organisation des Nations Unies et la République libanaise. Il a été créé à la demande du gouvernement libanais de Fouad Siniora (14 Mars), en application des résolutions 1664 et 1757 du Conseil de sécurité, datant du 29 mars 2006 et du 30 mai 2007, la dernière étant votée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies qui autorise le Conseil à recourir à des mesures militaires ou non militaires « pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». L’article premier du statut du TSL stipule que « Le Tribunal spécial a compétence à l’égard des personnes responsables de l’attentat du 14 février 2005 (...) S’il estime que d’autres attentats terroristes survenus au Liban entre le 1er octobre 2004 et le 12 décembre 2005 ou à toute autre date ultérieure décidée par les parties avec l’assentiment du Conseil de sécurité ont (...) un lien de connexité avec l’attentat du 14 février 2005 et sont de nature et de gravité similaires, le Tribunal aura également compétence à l’égard des personnes qui en sont responsables. » Yé3né, bel mchabra7, à l’issue de ce long procès, nous devons connaitre la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri, et nous pourrons aussi connaitre la vérité concernant les autres assassinats politiques et tentatives d'assassinat commis au Liban, comme ceux de Samir Kassir, de Georges Haoui, de Gebrane Tuéni, de Pierre Gemayel et de Mohammad Chatah, entre autres, qui relèvent théoriquement de la compétence du Tribunal Spécial pour le Liban également.

Après avoir échoué à saboter sa création, le 8 Mars fait tout ce qui est possible et imaginable depuis neuf ans, pour entraver l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri et discréditer le Tribunal Spécial pour le Liban. Cela va des accusations grotesques de sayyed Hassan Nasrallah contre Israël (la « piste israélienne » a été développée en long, en large et de travers, diversion oblige, lors d’une très longue conférence de presse savamment préparée en août 2010), aux constats absurdes de son allié, le général Michel Aoun (le TSL serait pour le général un « plat de graviers », tabkhit ba7ess ; GMA s’est même étonné il y a quatre semaines seulement que le TSL « n’ait pas encore tenu une audience » alors que la date du procès est annoncée depuis de longs mois), ainsi qu’aux allégations ridicules des médias du 8 Mars sur l’implication de l’ancien chef des renseignements libanais, Wissam el-Hassan, dans l’assassinat de son patron de l’époque, Rafic Hariri.

Par l’ouverture du procès à La Haye aujourd'hui, on peut affirmer que le Hezbollah et ses fidèles alliés ont perdu définitivement la bataille du Tribunal Spécial pour le Liban. Ils n’ont pas réussi ni à enterrer l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, ni à empêcher la création de ce tribunal, ni à discréditer cette cour, ni à faire diversion en envoyant les enquêteurs dans des impasses, ni à ôter le droit inaliénable du peuple libanais de connaitre la vérité, ni à échapper à la justice de ce bas-monde. Pour paraphraser la formule de Giban Khalil Gibran, « vous avez votre Liban, j’ai le mien », je dirais aux intéressés, vous avez eu votre jour de gloire, nous aurons désormais le nôtre ! Notez bien que pour nous, peuple du 14 mars 2005, c’est le deuxième après la libération du Liban de l’occupation syrienne le 26 avril 2005. Votre arrogance a fait du 7 mai 2008 un « jour glorieux », notre détermination fera du 16 janvier 2014 un jour historique. Justice sera faite au moins pour une fois au Liban. Nous vous laissons la chimère du « peuple-armée-résistance » et l'illusion d'une « victoire divine » sur le peuple syrien, et nous nous contenterons de la certitude de cette « victoire judiciaire » à venir, qui sera illustrée par la triptyque victorieuse de la vérité sur le mensonge, de la justice sur le terrorisme et de l'Etat de droit sur l'impunité.

samedi 4 janvier 2014

Les X-Files du Liban : Fox Mulder, Dana Scully, Marwan Charbel et Wafik Safa enquêtent. Dix réflexions après l’attentat de Beyrouth (Art.203)


1. Le diable est vivant et se porte merveilleusement bien dans nos contrées de la Méditerranée orientale. Metel ma wédda3na, lé2aïna. Dans les larmes nous avons quitté cette funeste année 2013, dans les larmes nous accueillons cette funeste année 2014. Bienvenue au Liban. Beyrouth, Harit Hreik, 6 morts et 66 blessés. Des vies fauchées de la manière la plus ignoble par de maudits fascistes sunnites syro-libanais, a priori. Accusation gratuite, je l’assume. Beaucoup d’éléments le laissent penser. De toute façon, personne ne se gêne dans ce pays, les inquisiteurs et les terroristes sont légion.

2. L’attentat d’hier est, sans l’ombre d’un doute, ou disons en toute probabilité, lié à l’intervention odieuse du Hezbollah en Syrie. Il n’empêche qu’il s’agit bel et bien d’un acte terroriste odieux. Ma moitié naïve dirait que les auteurs barbares doivent répondre de leur acte devant la justice libanaise. L’autre moitié me dit, tu ferais mieux d’envoyer tes vœux de l’an 2000 à tes amis et de boucler cet article, déjà pour commencer. La 7ayéta limann tounadi. La justice libanaise est nase, à l’image du pays, incapable de juger les Samaha et les Eid. Donc on peut dire qu’elle est d’ores et déjà hors d’état de rendre la justice dans le crime d’hier. Hein, on rit jaune dans les rangs du camp du 8 Mars. Eh bien, voilà ce qui arrive lorsqu’on ne rate pas une occasion pour affaiblir l’Etat de droit dans ce pays et laisser une anomalie comme le Hezbollah et consorts, proliférait au sein de l’Etat libanais.

3. Ce n’est pas parce que l’explosion visait le bureau politique du Hezbollah et un des domiciles du numéro deux de la milice chiite, cheikh Naïm Kassem, qu’il serait moins odieux pour autant. La même argumentation fut utilisée par certains après le double attentat suicide contre l’ambassade iranienne de Beyrouth le 19 novembre. L’attentat d’hier est un acte terroriste, point. Peu importe le choix de la cible. C’est une question de principe. En d’autres termes, ce n’est pas parce les criminels ne visaient pas la population civile théoriquement, que leur action serait moins ignoble en pratique. Plus de 70 compatriotes ont été tués et blessés, rendant ce distinguo tout simplement déplacé.

4. L’empressement d’al-Manar, la chaine de télévision du Hezbollah, pour prétendre que le bureau politique de la milice chiite n’était pas la cible, a pour double objectif, d’une part, de souligner la barbarie des agresseurs (« sunnites » comme l’affirme la chaine du Hezbollah), qui visaient donc la population chiite du quartier (voir le lien-vidéo ci-dessous), et d’autre part, de faire oublier aux Libanais en général, et à la communauté chiite en particulier, que tous ces attentats sont liés à l’intervention de la milice chiite libanaise aux côtés du régime alaouite syrien pour mater la rébellion sunnite syrienne ! Quelle mascarade.

5. Selon le président de la République, Michel Sleiman, « la main terroriste qui a frappé la banlieue sud est celle qui sème la criminalité, l’assassinat et la destruction dans toutes les régions libanaises ». Pour le Premier ministre démissionnaire, Najib Mikati, « cet attentat prouve une nouvelle fois que la main du terrorisme ne fait pas de distinction entre les Libanais ». D’après le Premier ministre désigné, Tammam Salam, « ce crime terroriste prouve à tous les Libanais que la main du mal qui joue avec notre sécurité nationale poursuit son plan noir qui vise à répandre la discorde et à déstabiliser la paix civile au Liban ». Une unanimité remarquable sur la mystérieuse « main ». Et tout cela sans concertation svp ! Les déclarations des hauts représentants de l’Etat libanais ne sont, pour rester politiquement correcte, ni percutantes, ni à la hauteur de la tragédie et du danger auquel les Libanais ont été, sont et seront confrontés.

6. Quant à Nabih Berri, je vous propose de nous arrêter un peu plus longtemps sur sa déclaration. El-estèz est un renard de la politique. Ce n’est pas par hasard qu’il entame sereinement, sans la moindre inquiétude, sa 24e année à la tête du Parlement libanais, comme 3e personnage de l’Etat. Wlé plus du tiers de la vie de la jeune République libanaise ! Lisez bien ce qu’il dit, c’est un cas d’école. Bala 2al wou 2il, je serai très fidèle au texte arabe : « Le crime de l’explosion terroriste rentre dans le contexte d’une série de conspirations contre le Liban, son unité et ses citoyens. Nous avons déjà averti que les doigts de la discorde et du crime organisé se déplaceront d’une région à l’autre. Primo, afin de terroriser les citoyens. Secundo, pour tromper et créer l’impression que ce qui se passe (est l’œuvre) de plusieurs doigts du crime. » Pour s’assurer que son message sera bien compris, il continue le gavage des Libanais à la cuillère, bel ma3él2a Allah wakilkoun : « Les mains qui ont assassiné son Excellence le ministre martyr Mohammad Chatah, sont aussi celles qui ont commis les attentats de Dahiyé, hier et aujourd’hui, et ceux de Tripoli. » Eh bien, il n’y va pas avec le dos de la cuillère notre estèz national ! Berabkoun, y a-t-il un autre moyen plus rusé, qui n’est pas moins niais pour autant, de noyer le poisson et les responsabilités avec ? Encore des éléphants roses dans l’espace aérien libanais et dans les boites crâniennes d’une partie de nos compatriotes du 8 Mars. Pire encore, par ses entourloupes politiciennes, Nabih Berri, nous rappelle qu’il est un leader chiite, qui n’hésite pas à mouiller sa veste pour défendre à la fois le Hezbollah, et écarter les soupçons qui pèsent sur la milice chiite dans l’assassinat du premier ministrable sunnite, Mohammad Chatah, ainsi que les Eid, et écarter les soupçons qui pèsent sur ces leaders libanais alaouites dans les attentats contre deux mosquées sunnites de Tripoli. C’est très grave ! Mais le plus grave réside dans le fait que ce leader chiite, qui veut toujours s’afficher comme un homme sage de la vieille école, conscient de son rôle fédérateur à la tête de l’Assemblée nationale libanaise, champion de la cohabitation islamo-chrétienne, guetteur de toute discorde entre les sunnites et les chiites (ntébho lal fétné, il n’a que ce mot à la bouche !), sous-entend en douce à travers ces déclarations réfléchies, que tous les actes terroristes commis au Liban, même ceux qui ont visé des sunnites, sont les œuvres d’une seule main : sunnite ! Plus lamentable, on crève.

7. Et puisque cette saloperie de « main » terroriste a manifestement réussi à vous unir, hauts représentants de l’Etat libanais, et se trouve parfaitement identifiée, eh bien, vous attendez quoi au juste pour la couper selon les us et coutumes verbaux des leaders du Hezbollah ? Pour le mode d’emploi, demandez conseil à Mohammad Raad, député-expert en la matière, à moins que son sabre ne coupe que les mains 14-martiennes ? Et au lieu de réfléchir concrètement sur les moyens d’empêcher les criminels de saboter ce pays (et dans la foulée, d’arrêter les cinq membres du Hezbollah, qui doivent être jugés dans moins de deux semaines par le TSL, même par contumace), les hauts responsables de l’Etat libanais étaient tous d’accord sur l’absolue nécessité de... faite-vous une bonne théière, installez-vous confortablement dans le canapé, régalez-vous avec une galette des Rois à la frangipane, bien chaude svp, et lisez : « maintenir le dialogue entre tous les partis, privilégier le langage de la raison et de la sagesse, rejeter le langage de l’élimination et de l’exclusion, dépasser les calculs politiciens, prendre conscience du danger qui nous guette, élever le niveau de vigilance, se montrer solidaires, rester unis, faire face à la déstabilisation du pays, nous mettre d’accord, résister à la tourmente, travailler honnêtement malgré les différends politiques et renforcer l’union nationale »! Je vous jure que je n’ai rien inventé, je n’ai fait que rassembler les déclarations des uns et des autres. No comment.

8. Enfin, si ! Concrètement, comme tous les Libanais éprouvés par cette double peine, l’attentat contre Mohammad Chatah et l’explosion de la banlieue sud de Beyrouth, je m’attendais des hauts responsables de l’Etat libanais d’œuvrer concrètement pour éviter que de telles tragédies ne se reproduisent à l'avenir par le déploiement de l’armée libanaise à la frontière avec la Syrie ; le déploiement des Forces de sécurité intérieure dans les rues de Beyrouth et les grandes villes libanaises ainsi que sur les grands axes routiers du pays ; la nomination immédiate d’un chef des FSI (poste vacant depuis le veto posé par Hassan Nasrallah et Michel Aoun sur la prorogation du mandat d’Achraf Rifi) ; le renforcement des renseignements des FSI (depuis l’assassinat de leur chef Wissam el-Hassan le 19 octobre 2012, on fait tout le contraire, comme par hasard !) ; la formation d’une vraie cellule anti-terroriste qui regroupe les renseignements de l’armée et des FSI ; l’intensification de la collaboration avec les services de renseignements étrangers ; la remise systématique des données de télécommunication et sans tergiversation par le ministère des Télécoms aux renseignements des FSI ; la poursuite judiciaire des terroristes, comme Michel Samaha (pris en flagrant délit avec des dizaines de bombes prêtes à exploser, fournies par le régime de Bachar el-Assad) et les Eid (impliqués au moins dans la fuite des auteurs des attentats de Tripoli en Syrie) ; la capture des cinq membres du Hezb accusés de l’assassinat de Rafic Hariri ; j’en passe et des meilleures. On verra bien la suite.

9. Aussitôt après le drame de jeudi, la chaine de télévision du Hezbollah a prétendu que l’explosion résulterait d’un attentat-suicide, l’auteur serait un jeune de 19 ans originaire de la région sunnite d’Akkar (identifié grâce à une fiche d’état civil trouvée sur le lieu du crime) et la voiture piégée aurait changé de main à de multiples reprises, passant par Ersal bien entendu (une ville sunnite située à l'Est du Liban). Du côté de la famille, on apprend que le jeune homme était porté disparu par le père, depuis le 28 décembre. La famille affirme aussi qu’il aurait été kidnappé sur un barrage du Hezb dans la Bekaa. A ce stade de l’enquête, il est évidement difficile d’aller plus loin. Malgré la tragédie, les allégations d’al-Manar n’ont pas manqué de faire sourire beaucoup de monde. Elles cachent un mystère digne d’un épisode de la série X-Files. Pour ceux qui ne le savent pas, la fiche libanaise d'état civil, ekhraj el2eid el-lebnéné, se présente sous forme de papier, donc particulièrement inflammable, sa taille se situe entre les formats A4 et A5, les informations personnelles et la photo d'identité sont recouvertes d'un film plastique adhésif, donc particulièrement sensible à la chaleur. Eh bien, figurez-vous que personne ne sait encore par quel phénomène paranormal, ce bout de papier n’a pas brûlé complètement, comme par hasard il n’a brûlé qu’aux bords laissant toutes les informations personnelles et la photo d'identité bien visibles, et le film plastique n'a pas fondu avec l'intense chaleur dégagée par l'incendie, alors que la voiture entière fut carbonisée comme le montrent les images terrifiantes de la tragédie ! On ne comprend pas non plus comment un homme, en 2e année universitaire qui préparait la poursuite de ses études en France mais qui avait l’intention de se faire sauter avant, a tenu absolument à être en règle et avoir une pièce d’identité sur lui, mais s’est montré négligeant, en conduisant une voiture piégée, recherchée par les services de sécurité (d'après le ministre de l'Intérieur), sans avoir un permis de conduire en bonne et due forme et ne sachant même pas conduire selon sa famille, et l'a fait exploser sans s'arrêter, en roulant dans une artère de la ville, comme l'a montré une vidéo de surveillance diffusée par la chaine al-Manar ?

10. Fox Mulder*, Dana Scully*, Marwan Charbel** et Wafik Safa*** enquêtent. Je vous tiendrai au courant. 

* Fox Mulder et Dana Scully, sont des personnages de la série américaine X-Files (Aux frontières du réel). Ce sont des agents du FBI qui enquêtent sur des affaires non classées, liées à des phénomènes surnaturels.

** Marwan Charbel est le sympathique ministre libanais de l'Intérieur. Je n'en dirai pas plus. Bon, disons que c'est une grande source d'inspiration pour les parodistes libanais.

*** Wafik Safa est un haut personnage de l’appareil sécuritaire du Hezbollah. Il a 53 ans. Officiellement, on le connait sous le titre du « responsable de l’unité de liaison et de coordination » avec certains services sécuritaires libanais. En pratique, c'est un fantôme. Le réseau illégal de télécommunication du Hezbollah au Liban, c'est lui. La liaison entre la République islamique d’Iran et la milice chiite, l'invasion de Beyrouth et du Mont-Liban le 7 mai 2008 et les échanges de prisonniers avec Israël, c'est lui aussi. D'après Walid Joumblatt himself, version 2005.3.14, Wafik Safa « contrôle l'aéroport de Beyrouth ainsi que d'autres sites libanais, et fixe l'étendue des interventions de l'armée libanaise et des Forces de sécurité intérieure (au Liban) ». Selon le Wall Street Journal son nom figure dans le volumineux dossier du Tribunal Spécial pour le Liban. Le fantôme est donc sans l'ombre d'un doute un des plus à même de renseigner les Libanais sur les phénomènes politico-sécuritaires paranormaux qu'on observe au pays du Cèdre depuis la fin de la guerre civile libanaise: les X-Files du Liban ! 


POST-SCRIPTUM (6 janvier 2014)

Les médias du 8 Mars, NewTV en tête, se sont dépêchés de trouver des experts qui soient en mesure de justifier l’injustifiable, comme à l’accoutumée. Mission accomplie sauf que les experts ont raté leur objectif.

Comme bon citoyen de ce pays, ils devraient savoir que la fiche d’état civil du kamikaze, est un vulgaire bout de papier avec deux petits adhésifs fins au recto seulement, qui ne couvrent pas la totalité du papier, il n’y a rien au verso (c’est du papier nu). Alors que la carte de la voiture de Mohamamd Chatah, retrouvée aussi sur le lieu du crime, est un papier épais CARTONNE et recouvert entièrement avec un plastic épais, recto et verso ! La comparaison de NewTV entre les deux documents est non seulement malhonnête mais aussi à côté de la plaque. C’est une grotesque tentative de confondre les deux histoires, pour empêcher les esprits de bon sens, de douter de cette ridicule mise en scène autour du ekhraj elqaïd.

Quelle mascarade ! Donc, si on suit le raisonnement des deux fada7él d’al jadeed, voici le parcours mystérieux de la fiche magique d'état civil, qui n'est pas sans rappeler celui de la balle magique qui a tué John Fitzgerald Kennedy et blessé le gouverneur Connally, le 22 novembre 1963:
- à l'explosion, la fiche d'état civil parvient à s’échapper du porte-feuille de la poche arrière du jean du kamikaze (où elle devait se trouver a priori);
- elle se donne le temps de se déplier ;
- alors que ce papier ne pèse que quelques grammes, il trouve le moyen de sortir par la petite fenêtre d’un véhicule cabossé, en feu, en braise et qui a fini carbonisé ;
- intact svp, alors que le kamikaze est en mille morceaux à cause de la pression et du souffle de l’explosion ; un test réalisé même par un amateur libanais fait douter un peu de cette hypothèse ;
- se balade en l’air et pique un sprint de 40 m, alors qu’il ne pèse que quelques grammes ; selon le fad7al expert en explosif, ce sont les restes humains qui se sont collés à ce papier léger, qui l’ont propulsé en lui permettant d’atteindre cette portée record ; le problème c’est que notre papier magique arrive à destination, tout propre et nickel chrome, d’une blancheur éclatante (regardez la fiche d’état civil dans les mains des enquêteurs à 0:16 et 3:54!), alors, qu’il vient de sortir d'un véhicule en feu et est projeté par les restes humains du kamikaze, à en croire l’expert ; à l’arrivée 40 m plus loin, aucune tache de quoique ce soit, ni de sang ni de noirceur (à comparer avec la carte de la voiture de Mohamamd Chatah), on dirait qu’il sort de l’Etat civil de Halba, le chef-lieu du Akkar !
C’est d’une logique à faire pâlir les réalisateurs de Hollywood !

Ah tenez, avant que je n’oublie, beaucoup se souviennent encore des déclarations de l’expert en explosif, Chadé Maalouf. Ses déclarations étaient reprises partout dans la presse au lendemain de l’attentat du 14 février 2005. Il était persuadé que la charge explosive qui a tué l’ancien PM, Rafic Hariri, était enterrée dans la chaussée ! Ça aurait pu marcher sans une enquête internationale qui a révélé l’existence d’une putain de camionnette Mitsubishi ! Et au passage, il faudra prévenir l’expert en papier, Walid el-Alti, que le film plastique que les services administratifs collent sur la fiche d’état civil ne sert pas à « la protéger du feu »,  comme il s’est ridiculisé à le dire, mais à protéger les papiers de l’Etat de la falsification !