On
dit que le diable se cache dans les détails. Mais c’est faux. C’est un
diablotin dont il s’agit. Le diable lui,
s’immisce entre les lignes et les sous-entendus, au niveau personnel comme
au niveau politique. Pour illustrer mes propos, je voudrais revenir sur le discours de sayyed Hassan Nasrallah du
mercredi 27 février car lors de cette vidéoconférence improvisée, le chef
du Hezbollah a tenu des propos graves, qu'on ne peut pas passer sous silence,
même avec notre bonté et notre bon cœur. J’ai repéré deux extraits marquants
qui méritent qu’on s’y arrête un moment.
1. « Regrouper
le Liban sous une seule circonscription, au scrutin proportionnel intégral. Et pourquoi
pas ? »
Plus on s’approche de la date fatidique des élections législatives, plus
il est difficile pour les uns et les autres de continuer à cacher leur jeu et
leur stratégie politiques. Tenez par exemple,
tout le monde connait aujourd’hui les circonstances de l’acceptation par les
Forces libanaises et les Kataeb du projet de loi électorale instaurant le
« vote intracommunautaire », à savoir les tergiversations des
partis politiques musulmans pour maintenir la « loi 1960 » en vigueur
(une loi qui est favorable aussi bien au tandem chiite, Hezbollah-Amal, qu’au courant à dominance sunnite, le Futur) et la détermination irrévocable des chrétiens du 14 Mars d’en
finir avec cette loi inique. Rappelons puisqu'on y est, que la
« loi 1960 », qui privilégie les grandes circonscriptions où les
voix chrétiennes sont diluées, était la plus injuste de toutes à l’égard des
communautés chrétiennes puisqu’à cause de l’esprit communautaire et du vote en
bloc des communautés libanaises, plus de la moitié des députés chrétiens
étaient désignés par le quartet musulman Hariri-Joumblatt-Berri-Nasrallah. Certes, c'était un moindre mal par rapport aux lois électorales abjectes de la tyrannie des Assad que nous avons connues entre 1992-2005, des lois taillées sur mesure pour exclure les opposants à l'occupation syrienne de l'époque, Forces libanaises et Kataeb notamment. Néanmoins, sachez que la loi 1960 n’a subi qu’un petit lifting à Doha en mai 2008, suite à l’invasion de
Beyrouth par la milice du Hezbollah, avant d’être imposée à ces dernières, il
faut bien le rappeler, avec l’insistance de Michel Aoun himself, afin de permettre
à son allié, et à lui en l’occurrence, de contrôler les régions à dominance
chiite. Les deux alliés-pacsés, Aoun-Nasrallah, sont restés pendant longtemps
favorable à cette loi, ils n’ont pris le « train orthodoxe » que
bien tardivement.
Toujours
est-il, l’autre soir, plusieurs minutes durant, sayyed Hassan Nasrallah nous a expliqué les avantages de la
circonscription unique avec le scrutin proportionnel. Comme je le dis
souvent, heureusement que le ridicule ne tue pas pour nous permettre d’en rire.
Voilà les termes exacts de sa promotion : « C'est une loi équilibrée
et juste car les Libanais, qu'ils soient musulmans et chrétiens, élisent
128 députés. Nous sommes tous égaux... Si vous voulez une alternative au projet
de loi électorale dit du Rassemblement orthodoxe, il s'agit de la meilleure. » La meilleure, rien que
ça ! Les projets favorisant les petites circonscriptions (comme par
exemple celui des « 50 » des Forces libanaises ou celui des « 128 »
de la Ketlé), que dalle, niet, pas un mot.
J’avoue
qu’avec sa longue prestation paisible, le chef du Hezbollah a bien failli me
convaincre mais il y avait un os, une couleuvre plutôt, ou disons pour prendre une
métaphore frugivore, sa proposition m’a fait penser à cette variété d’avocat,
le fruit évidemment, où le noyau, élément
non-comestible, occupe 90% du fruit, la bonne chair se réduisant à une
couche de 1 cm autour ! Une arnaque n’est-ce pas ? Et bien là aussi,
avec la loi électorale qui fait du Liban une circonscription unique au scrutin
proportionnel, c’est la même chose, il
s’agit bel et bien d’une arnaque. Comment peut-il en être autrement sachant que les pacsés de Mar Mekhael veulent tout simplement noyés le vote des
communautés chrétiennes, qui penche actuellement pour le camp du 14 Mars,
Forces libanaises, Kataeb, petits partis et indépendants, avec le vote en bloc de la communauté chiite, massivement acquise à
la cause du Hezbollah ! Il fallait quand
même oser en parler aux Libanais, notamment aux communautés chrétiennes !
Pire, imaginez-vous que le général Michel Aoun en fait la promotion depuis une
dizaine de jours. Hallucinant.
En
gros, si on voulait faire exactement l’inverse du projet de loi du
Rassemblement orthodoxe, on n’aurait pas fait mieux : par ce moyen
astucieux, mais grotesque, le Hezbollah pourrait décider non du quart par
exemple des 64 députés chrétiens, mais de la majorité des 128 députés
de la Nation libanaise ! Eh oui, par la
« circonscription unique au scrutin proportionnel », le Hezbollah,
avec l’aide de Michel Aoun, nous concocte un « coup d’Etat démocratique »
qui nous fera bien regretter celui du 12 janvier 2011. Je n’en reviens
pas qu'ils aient le culot même d'aborder le sujet ! Après
la « loi orthodoxe » où les électeurs de chaque communauté libanaise
éliraient les députés de leur communauté, les pacsés vous présentent la « loi chiite » où les électeurs de la communauté
chiite -qui est verrouillée manu militari, toute opposition chiite étant
soit persécutée (ex. Ahmad el-Assad), soit expulsée (ex. sayyed Ali el-Amine) !- éliraient les députés de toutes les communautés
libanaises. Le délire !
Tenez,
avant que je n’oublie, sayyed Hassan
Nasrallah s’est bien gardé de préciser que le seul pays au monde qui applique
cette loi électorale, « circonscription unique au scrutin
proportionnel intégral », est Israël ! Certes, ce système permet aux diverses tendances
politiques qui composent la société israélienne d’être représentées au
Parlement, mais tout le monde sait aussi que c’est le meilleur moyen de noyer les
voix des Arabes israéliens avec les voix des Israéliens juifs, et de diminuer
en conséquence la représentation des premiers à la Knesset. Pour mieux comprendre, prenons par exemple
les résultats des élections législatives du mois de janvier. Alors que les
Arabes israéliens représentent près de 21 % de la population israélienne, ils
ne sont représentés qu’à hauteur de 9 % à la Knesset, malgré une participation
de 57 % quand même ! Alors vous saisissez mieux maintenant l'étendue de l'arnaque ?
En
réalité, que personne ne se trompe, l’objectif
du Hezbollah à court terme est doublé par d’autres objectifs.
A
moyen terme. Instaurer la parité non
pas entre les chrétiens et les musulmans comme c’est le cas actuellement, mais
celle entre les chiites, les sunnites et
les chrétiens, la fameuse « mousélacé ».
A
long terme. Dynamiter l’accord de Taëf, en
imposant l’abolition du confessionnalisme politique le plus tôt possible, le
plus rapidement possible et surtout, le plus hâtivement possible ! Or, en
l’absence d’une réelle déconfessionnalisation des esprits (rappelons à tout
hasard, que nous en sommes à des années-lumière !), qui ne sera surement pas
obtenue avec un saugrenue Sénat confessionnel (une aberration à l’heure actuelle !),
l’abolition du confessionnalisme
politique avec précipitation conduit à l’instauration de facto de la « loi électorale chiite », pleinement,
en partie ou une variante. Hélas, Michel
Aoun, qui lui aussi voudrait dynamiter l’accord de Taëf, aide activement le
Hezbollah dans cette tâche, en croyant naïvement, pouvoir le moment venu,
tirer son épingle du jeu. Wa fi hazih el
ayam el ba2issat, on ne peut que se rappeler les sages propos du 76e
patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient, Mar Nasrallah Boutros Sfeir : « Il faut abolir le
confessionnalisme des esprits avant les textes » (« mina el noufouss
qabla el nousouss »)! Eh oui, la politique n’est certainement pas
un hobby.
2. « Que
personne ne fasse de mauvais calculs avec nous ! »
Certes,
sayyed Hassan Nasrallah a eu raison de
dénoncer les accusations gratuites à l’encontre de sa milice lancées, comme
il l’a rappelé, après diverses occasions : le meurtre des deux cheikhs
sunnites sur un barrage de l’armée libanaise à Akkar, l’assassinat de Wissam
el-Hassan au coeur de Beyrouth, la tuerie d’une dizaine de Tripolitains
sunnites à Tell Kalakh en Syrie, la tuerie de deux militaires de l’armée
libanaise à Ersal et les dernières affirmations de cheikh Assir à Saïda
(certains résidents chiites de son quartier seraient des éléments armés du Hezbollah).
Il a pris soin d’énumérer méticuleusement ces accusations injustes, et de
conclure que certains œuvrent activement jour et nuit pour la discorde entres
les sunnites et les chiites, « Ils
veulent provoquer un conflit armé entre sunnites et chiites. Tous les faits sur
le terrain le prouvent. » Sayyed Hassan s’est demandé aussi à
plusieurs reprises, « Ne
craignez-vous pas Allah? N’y a-t-il pas de sages pour intervenir? »
Jusqu’ici,
rien de choquant. Là où le discours dérape c’est quand le chef du Hezbollah répéta à trois reprises, avec une gravité
solennelle, « ma 7adan ya3mél ma3na
7sabét ghalat » (« que personne ne fasse de mauvais calculs avec nous »). J’attire
votre attention, à tout hasard, sur le fait que l’homme qui a prononcé ces
paroles, est le chef d’une puissante milice armée qui échappe à tout contrôle
de l’Etat libanais, ce qui permet de mesurer la gravité de ce qui a été dit.
La première chose
évidente qui me vint à l’esprit en l'écoutant c’est « et si on faisait de faux calculs
avec le Hezbollah, qu’est ce qui se passerait ? » Comme c’est étrange,
tout cela me rappelle la sinistre date du 7 mai 2008 ! Je ne m’étalerai
pas sur le sujet, je rapporte l’info et je laisse aux (é)lecteurs libanais la liberté
de juger la gravité des propos de sayyed Hassan Nasrallah. Je voudrais seulement rappeler que celui ou celle qui œuvre activement pour la
discorde entre les Chiites et les Sunnites au Liban, c’est plutôt
l’organisation chiite qui a dans ses rangs quatre accusés chiites de
l’assassinat du Premier ministre sunnite Rafic Hariri (14 février 2005) et qu’elle
refuse de remettre au Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), c’est la milice chiite qui
a laissé ses miliciens chiites envahir les quartiers sunnites de Beyrouth et les
régions druzes du Mont-Liban (7 mai 2008) et c’est le parti chiite qui a
organisé un coup d’Etat démocratico-milicien (12 janvier 2013) pour destituer
le Premier ministre, Saad Hariri, le leader de la communauté sunnite libanaise, l’obligeant
à s’exiler.
Que
personne ne se trompe, le Hezbollah,
n’hésitera certainement pas de recourir à ses miliciens en cas de besoin pour
préserver sa milice, ses armes et ses intérêts communautaires. Il l’a fait
à diverses reprises au niveau collectif, que ce soit en 1988, contre la milice
Amal, ou en 2008, contre le gouvernement libanais. Il l’aurait fait au niveau individuel en 2005 et 2012, contre Rafic Hariri et Boutros Harb, je reste au conditionnel
puisque l’information demeure incertaine et non confirmée, tout accusé est
considéré comme innocent jusqu’à sa condamnation par la justice (il n'empêche que les accusations
sont établies et les procès sont en vue). A propos, le
parti chiite cherche surtout à anticiper le début du procès des quatre membres
du Hezbollah, accusés par le TSL de l’assassinat de l’ancien Premier ministre
libanais, Rafic Hariri, le 14 février 2005. Le procès qui devait commencer à La
Haye le 25 mars en l’absence des accusés, puisque le gouvernement Mikati fut
incapable de les capturer, a été reporté à une date ultérieure qui sera connue
sous peu. En tout cas, le deuxième message adressé par sayyed Hassan Nasrallah au peuple libanais ce mercredi 27
février était d’une clarté qui fait froid dans le dos : Libanais, acceptez l’hégémonie du Hezbollah ou vous
devriez en assumer les conséquences d’un « coup d’Etat milicien ». Justement, il
revient au peuple libanais d’en tirer les conséquences qui s’imposent !
Le
reste de la conférence de presse de sayyed Hassan Nasrallah n’est que bavardage
populiste destiné à ses troupes, sans grand intérêt politique pour nous autres,
paisibles citoyens d’un pays maghloub 3ala amro, jusqu’au 9 juin 2013 !