dimanche 3 mars 2013

« Coup d’Etat démocratique » ou « coup d’Etat milicien »? Voilà ce que vous propose sayyed Hassan Nasrallah! (Art.121)


On dit que le diable se cache dans les détails. Mais c’est faux. C’est un diablotin dont il s’agit. Le diable lui, s’immisce entre les lignes et les sous-entendus, au niveau personnel comme au niveau politique. Pour illustrer mes propos, je voudrais revenir sur le discours de sayyed Hassan Nasrallah du mercredi 27 février car lors de cette vidéoconférence improvisée, le chef du Hezbollah a tenu des propos graves, qu'on ne peut pas passer sous silence, même avec notre bonté et notre bon cœur. J’ai repéré deux extraits marquants qui méritent qu’on s’y arrête un moment.

1. « Regrouper le Liban sous une seule circonscription, au scrutin proportionnel intégral. Et pourquoi pas ? »

Plus on s’approche de la date fatidique des élections législatives, plus il est difficile pour les uns et les autres de continuer à cacher leur jeu et leur stratégie politiques. Tenez par exemple, tout le monde connait aujourd’hui les circonstances de l’acceptation par les Forces libanaises et les Kataeb du projet de loi électorale instaurant le « vote intracommunautaire », à savoir les tergiversations des partis politiques musulmans pour maintenir la « loi 1960 » en vigueur (une loi qui est favorable aussi bien au tandem chiite, Hezbollah-Amal, qu’au courant à dominance sunnite, le Futur) et la détermination irrévocable des chrétiens du 14 Mars d’en finir avec cette loi inique. Rappelons puisqu'on y est, que la « loi 1960 », qui privilégie les grandes circonscriptions où les voix chrétiennes sont diluées, était la plus injuste de toutes à l’égard des communautés chrétiennes puisqu’à cause de l’esprit communautaire et du vote en bloc des communautés libanaises, plus de la moitié des députés chrétiens étaient désignés par le quartet musulman Hariri-Joumblatt-Berri-Nasrallah. Certes, c'était un moindre mal par rapport aux lois électorales abjectes de la tyrannie des Assad que nous avons connues entre 1992-2005, des lois taillées sur mesure pour exclure les opposants à l'occupation syrienne de l'époque, Forces libanaises et Kataeb notamment. Néanmoins, sachez que la loi 1960  n’a subi qu’un petit lifting à Doha en mai 2008, suite à l’invasion de Beyrouth par la milice du Hezbollah, avant d’être imposée à ces dernières, il faut bien le rappeler, avec l’insistance de Michel Aoun himself, afin de permettre à son allié, et à lui en l’occurrence, de contrôler les régions à dominance chiite. Les deux alliés-pacsés, Aoun-Nasrallah, sont restés pendant longtemps favorable à cette loi, ils n’ont pris le « train orthodoxe » que bien tardivement.

Toujours est-il, l’autre soir, plusieurs minutes durant, sayyed Hassan Nasrallah nous a expliqué les avantages de la circonscription unique avec le scrutin proportionnel. Comme je le dis souvent, heureusement que le ridicule ne tue pas pour nous permettre d’en rire. Voilà les termes exacts de sa promotion : « C'est une loi équilibrée et juste car les Libanais, qu'ils soient musulmans et chrétiens, élisent 128 députés. Nous sommes tous égaux... Si vous voulez une alternative au projet de loi électorale dit du Rassemblement orthodoxe, il s'agit de la meilleure. » La meilleure, rien que ça ! Les projets favorisant les petites circonscriptions (comme par exemple celui des « 50 » des Forces libanaises ou celui des « 128 » de la Ketlé), que dalle, niet, pas un mot.

J’avoue qu’avec sa longue prestation paisible, le chef du Hezbollah a bien failli me convaincre mais il y avait un os, une couleuvre plutôt, ou disons pour prendre une métaphore frugivore, sa proposition m’a fait penser à cette variété d’avocat, le fruit évidemment, où le noyau, élément  non-comestible, occupe 90% du fruit, la bonne chair se réduisant à une couche de 1 cm autour ! Une arnaque n’est-ce pas ? Et bien là aussi, avec la loi électorale qui fait du Liban une circonscription unique au scrutin proportionnel, c’est la même chose, il s’agit bel et bien d’une arnaqueComment peut-il en être autrement sachant que les pacsés de Mar Mekhael veulent tout simplement noyés le vote des communautés chrétiennes, qui penche actuellement pour le camp du 14 Mars, Forces libanaises, Kataeb, petits partis et indépendants, avec le vote en bloc de la communauté chiite, massivement acquise à la cause du Hezbollah ! Il fallait quand même oser en parler aux Libanais, notamment aux communautés chrétiennes ! Pire, imaginez-vous que le général Michel Aoun en fait la promotion depuis une dizaine de jours. Hallucinant.

En gros, si on voulait faire exactement l’inverse du projet de loi du Rassemblement orthodoxe, on n’aurait pas fait mieux : par ce moyen astucieux, mais grotesque, le Hezbollah pourrait décider non du quart par exemple des 64 députés chrétiens, mais de la majorité des 128 députés de la Nation libanaise ! Eh oui, par la « circonscription unique au scrutin proportionnel », le Hezbollah, avec l’aide de Michel Aoun, nous concocte un « coup d’Etat démocratique » qui nous fera bien regretter celui du 12 janvier 2011. Je n’en reviens pas qu'ils aient le culot même d'aborder le sujet ! Après la « loi orthodoxe » où les électeurs de chaque communauté libanaise éliraient les députés de leur communauté, les pacsés vous présentent la « loi chiite » où les électeurs de la communauté chiite -qui est verrouillée manu militari, toute opposition chiite étant soit persécutée (ex. Ahmad el-Assad), soit expulsée (ex. sayyed Ali el-Amine) !- éliraient les députés de toutes les communautés libanaises. Le délire ! 

Tenez, avant que je n’oublie, sayyed Hassan Nasrallah s’est bien gardé de préciser que le seul pays au monde qui applique cette loi électorale, « circonscription unique au scrutin proportionnel intégral », est Israël ! Certes, ce système permet aux diverses tendances politiques qui composent la société israélienne d’être représentées au Parlement, mais tout le monde sait aussi que c’est le meilleur moyen de noyer les voix des Arabes israéliens avec les voix des Israéliens juifs, et de diminuer en conséquence la représentation des premiers à la Knesset. Pour mieux comprendre, prenons par exemple les résultats des élections législatives du mois de janvier. Alors que les Arabes israéliens représentent près de 21 % de la population israélienne, ils ne sont représentés qu’à hauteur de 9 % à la Knesset, malgré une participation de 57 % quand même ! Alors vous saisissez mieux maintenant l'étendue de l'arnaque ?

En réalité, que personne ne se trompe, l’objectif du Hezbollah à court terme est doublé par d’autres objectifs.

A moyen terme. Instaurer la parité non pas entre les chrétiens et les musulmans comme c’est le cas actuellement, mais celle entre les chiites, les sunnites et les chrétiens, la fameuse « mousélacé ».

A long terme. Dynamiter l’accord de Taëf, en imposant l’abolition du confessionnalisme politique le plus tôt possible, le plus rapidement possible et surtout, le plus hâtivement possible ! Or, en l’absence d’une réelle déconfessionnalisation des esprits (rappelons à tout hasard, que nous en sommes à des années-lumière !), qui ne sera surement pas obtenue avec un saugrenue Sénat confessionnel (une aberration à l’heure actuelle !), l’abolition du confessionnalisme politique avec précipitation conduit à l’instauration de facto de la « loi électorale chiite », pleinement, en partie ou une variante. Hélas, Michel Aoun, qui lui aussi voudrait dynamiter l’accord de Taëf, aide activement le Hezbollah dans cette tâche, en croyant naïvement, pouvoir le moment venu, tirer son épingle du jeu. Wa fi hazih el ayam el ba2issat, on ne peut que se rappeler les sages propos du 76e patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient, Mar Nasrallah Boutros Sfeir : « Il faut abolir le confessionnalisme des esprits avant les textes » (« mina el noufouss qabla el nousouss »)! Eh oui, la politique n’est certainement pas un hobby.


2. « Que personne ne fasse de mauvais calculs avec nous ! »

Certes, sayyed Hassan Nasrallah a eu raison de dénoncer les accusations gratuites à l’encontre de sa milice lancées, comme il l’a rappelé, après diverses occasions : le meurtre des deux cheikhs sunnites sur un barrage de l’armée libanaise à Akkar, l’assassinat de Wissam el-Hassan au coeur de Beyrouth, la tuerie d’une dizaine de Tripolitains sunnites à Tell Kalakh en Syrie, la tuerie de deux militaires de l’armée libanaise à Ersal et les dernières affirmations de cheikh Assir à Saïda (certains résidents chiites de son quartier seraient des éléments armés du Hezbollah). Il a pris soin d’énumérer méticuleusement ces accusations injustes, et de conclure que certains œuvrent activement jour et nuit pour la discorde entres les sunnites et les chiites, « Ils veulent provoquer un conflit armé entre sunnites et chiites. Tous les faits sur le terrain le prouvent. » Sayyed Hassan s’est demandé aussi à plusieurs reprises, « Ne craignez-vous pas Allah? N’y a-t-il pas de sages pour intervenir? »

Jusqu’ici, rien de choquant. Là où le discours dérape c’est quand le chef du Hezbollah répéta à trois reprises, avec une gravité solennelle, « ma 7adan ya3mél ma3na 7sabét ghalat » (« que personne ne fasse de mauvais calculs avec nous »). J’attire votre attention, à tout hasard, sur le fait que l’homme qui a prononcé ces paroles, est le chef d’une puissante milice armée qui échappe à tout contrôle de l’Etat libanais, ce qui permet de mesurer la gravité de ce qui a été dit.

La première chose évidente qui me vint à l’esprit en l'écoutant c’est « et si on faisait de faux calculs avec le Hezbollah, qu’est ce qui se passerait ? » Comme c’est étrange, tout cela me rappelle la sinistre date du 7 mai 2008 ! Je ne m’étalerai pas sur le sujet, je rapporte l’info et je laisse aux (é)lecteurs libanais la liberté de juger la gravité des propos de sayyed Hassan Nasrallah. Je voudrais seulement rappeler que celui ou celle qui œuvre activement pour la discorde entre les Chiites et les Sunnites au Liban, c’est plutôt l’organisation chiite qui a dans ses rangs quatre accusés chiites de l’assassinat du Premier ministre sunnite Rafic Hariri (14 février 2005) et qu’elle refuse de remettre au Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), c’est la milice chiite qui a laissé ses miliciens chiites envahir les quartiers sunnites de Beyrouth et les régions druzes du Mont-Liban (7 mai 2008) et c’est le parti chiite qui a organisé un coup d’Etat démocratico-milicien (12 janvier 2013) pour destituer le Premier ministre, Saad Hariri, le leader de la communauté sunnite libanaise, l’obligeant à s’exiler.

Que personne ne se trompe, le Hezbollah, n’hésitera certainement pas de recourir à ses miliciens en cas de besoin pour préserver sa milice, ses armes et ses intérêts communautaires. Il l’a fait à diverses reprises au niveau collectif, que ce soit en 1988, contre la milice Amal, ou en 2008, contre le gouvernement libanais. Il l’aurait fait au niveau individuel en 2005 et 2012, contre Rafic Hariri et Boutros Harb, je reste au conditionnel puisque l’information demeure incertaine et non confirmée, tout accusé est considéré comme innocent jusqu’à sa condamnation par la justice (il n'empêche que les accusations sont établies et les procès sont en vue). A propos, le parti chiite cherche surtout à anticiper le début du procès des quatre membres du Hezbollah, accusés par le TSL de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, le 14 février 2005. Le procès qui devait commencer à La Haye le 25 mars en l’absence des accusés, puisque le gouvernement Mikati fut incapable de les capturer, a été reporté à une date ultérieure qui sera connue sous peu. En tout cas, le deuxième message adressé par sayyed Hassan Nasrallah au peuple libanais ce mercredi 27 février était d’une clarté qui fait froid dans le dos : Libanais, acceptez l’hégémonie du Hezbollah ou vous devriez en assumer les conséquences d’un « coup d’Etat milicien ». Justement, il revient au peuple libanais d’en tirer les conséquences qui s’imposent !

Le reste de la conférence de presse de sayyed Hassan Nasrallah n’est que bavardage populiste destiné à ses troupes, sans grand intérêt politique pour nous autres, paisibles citoyens d’un pays maghloub 3ala amro, jusqu’au 9 juin 2013 !