mardi 4 décembre 2012

Réponse au message populiste de Nicolas Sehnaoui : « As a Lebanese Citizen I refuse to give up on my right to know who is killing the men of my country » (Art.90)


Monsieur le Ministre,
Cher Nicolas Sehnaoui,

J’ai décidé que nous n’allons pas nous vouvoyer. Désolé, je n’y arriverai pas. D’abord, parce que nous avons à peu près le même âge, l’âge des artères bien entendu !, et par conséquent, nous pourrions être amis en théorie, disons au moins friends sur le réseau des réseaux. Ensuite, parce que tu me sembles fort sympathique, même si nous ne sommes pas du même bord politique. Et enfin, parce que « fi khébez wou mélé7 numériques » entre nous, puisque nous avons déjà débattu par L'Orient-Le Jour interposé au sujet de l’internet et de la 3G au Liban.

Etant un bloggeur je me sens donc concerné par ton message d’hier soir. Si, j’insiste sur le « si » -désolé de douter de ta parole, ne vois là rien de personnel ni rien de partisan, ce n’est qu’un défaut résiduel de l’esprit Saint Thomas qui plane au pays du Cèdre- "Fer3 Ma3loumet" a réclamé « the content of all SMS as well as username and password of all data sessions, BBM Webmail of 4 Million Lebanese », tu as eu bien raison de refuser de communiquer la data demandée. Mais, or et pourtant, il s’avère après quelques recherches, que tu as omis, volontairement bien entendu cela ne fait aucun doute, de préciser aux citoyens libanais que la demande initiale, qui ne correspond peut-être pas à ta description populiste, je te défie de la publier !, fut modifiée. La nouvelle demande du Service des renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI) concerne uniquement les SMS échangés au cours des 2 derniers mois avant l’assassinat de Wissam el-Hassan dans les régions de Beyrouth et du Mont-Liban. Vois-tu, ce n’est absolument pas ce que tu dis dans ton message de 20h. Non, cela ne concerne pas les 4 millions de libanais !

Tu dis aussi, « We cannot solve a crime by committing another crime ». Très jolie phrase, mais encore désolé, elle est incorrecte, les mots ont leur importance. A te lire, on peut avoir l’impression que les Renseignements des FSI sont des gros pervers, des voyeurs embusqués et des hommes salaces à la recherche de quoi alimenté leur perversion, leur voyeurisme et leur salacité ! Non Monsieur le Ministre, à supposer déjà que tu aies raison sur toute la ligne, ce qui est loin d'être gagné, ce n’est pas un crime, ça serait un délit ! Le crime lui, il faut le chercher ailleurs, tiens, dans le motif de la demande des Renseignements par exemple. Tu pourrais la relire et te rendre compte toi-même, si ce n’est pas encore le cas, que le crime c’est l’attentat qui a coûté la vie au brillant chef de « Chi3bit » el-Ma3loumet, et non Fir3 el-M3loumét d'ailleurs. Wissam el-Hassan et les Renseignements des FSI, ce sont les enquêtes sur tous les assassinats politiques commis au cours de la Révolution du Cèdre (de Rafic Hariri à Wissam Eid), le démantèlement régulier des réseaux d’espionnage israélien au Liban (qui a conduit à l’arrestation de Fayez Karam, que tu dois bien connaitre étant un proche collaborateur de Michel Aoun) et la lutte antiterroriste (qui a mené à la détention d’un ancien ministre du 8 Mars, Michel Samaha).

« This request is unacceptable, illogical and cannot be justified ». Waouh! Tu n’y vas pas avec le dos de la cuillère. Ah bon, tu trouves que cette demande est inacceptable, illogique et ne peut pas être justifiée ! Que dalle ? On sent bien que tes priorités ne sont pas les miennes, les nôtres, celles de la moitié de la population libanaise, puisqu’à aucun moment tu n’évoques, ni dans cette phrase ni ailleurs, le motif de ces demandes : enquêter sur l'assassinat du chef des Services de renseignement des FSI en plein cœur de Beyrouth, 24h après son retour de l'étranger sous un pseudonyme alors que personne n'y été au courant, pas même son supérieur le général Achraf Rifi ! Avoue que tu nous donnes là de quoi douter du motif réel de ton refus, la protection de la vie privée des Libanais sur internet. On pourrait même expliquer ce refus par le fait que ceux qui ont été assassinés depuis 7 ans sont tous, sans exception aucune, du même camp, celui du 14 mars, et non de l’autre camp, le tien, celui du 8 Mars, du Hezbollah ou du Courant Patriotique Libre le parti auquel tu appartiens. Si tel est le cas, pas de doute, nous ne vivons pas sur la même planète, en tout cas, nous n’avons pas les mêmes valeurs.

Voilà pourquoi tu n’auras pas mon soutien, Monsieur le Ministre. I will not « share awareness everywhere to put pressure on all Members of the Council and stop this invasion of our Privacy. » J’ai bien noté l'utilisation abusive et déplacée du mot « invasion », mais je ne marche pas dans ta démagogie à 8 kilo-octets car je note également dans ce message une mauvaise foi flagrante. Hélas, il ne suffit pas d’utiliser des mots puissants pour donner de l’importance à un appel. De mon côté, je te dis : « As a Lebanese Citizen I refuse to give up on my right to know who is killing the men of my country », dans le respect des lois en vigueur dans ce pays, cela va de soi !

Cordialement,

Bakhos Baalbaki


Réf.

Message de Nicolas Sehanoui, ministre libanais des Télécommunications (Facebook, lundi 3 décembre 2012, 20h08)

« Tonight, for the sake of our Privacy, I am calling for your support. A call to all bloggers, e-journalists, Tweeters and Facebook Users and all members of our Social Media Community. Our Internet Privacy as Lebanese People is at stake.
Today I took a decision and refused a request from "Fer3 Ma3loumet" demanding content of all SMS as well as username and password of all data sessions, BBM Webmail of 4 Million Lebanese. This request is unacceptable, illogical and cannot be justified. We cannot solve a crime by committing another crime.
The decision is now in the hands of the Council Of Ministers and this is where I need your support. I need you to share awareness everywhere to put pressure on all Members of the Council and stop this invasion of our Privacy. RT, SHARE, EMAIL, BLOG. Use ANY means you find fit to say "As a Lebanese Citizen I refuse to give up on my Internet Privacy".


Article :  Pourquoi Wissam el-Hassan a été tué moins de 24h après son arrivée à l’aéroport de Beyrouth ? (Art.80) Par Bakhos Baalbaki


POST-SCRIPTUM
(mercredi 5 décembre 2012)

1. PROLOGUE. Je suis farouchement opposé au « tout sécuritaire » ! On connait bien la tactique de George W. Bush après les attentats du 11 septembre, conditionner les gens par la peur, puis leur faire avaler des couleuvres liberticides. Le cauchemar ! Non, la lutte antiterroriste n’autorise pas tout, surement pas la transmission de l’ensemble de la data, de toute la population, y compris le contenu des emails, sms, commentaires Facebook, conversations Skype, chats WhatsApp, mots de passe, etc. Nous devons être prêts à combattre cette dérive dangereuse à tout moment, évidemment.

2. DECISIONS DE NICOLAS SEHNAOUI

- Au Liban, comme ailleurs, il existe des lois qui cadrent tout, la vie privée, la liberté d’expression et la transmission des datas de télécommunications. Alors si les FSI demandent plus que la loi ne leur permet, ce n'est pas compliqué, Nicolas Sehnaoui n'a qu'à transmettre ce que la loi permet, pour confirmer ses bonnes intentions et infirmer l’existence dans ces décisions d’arrière-pensées partisanes.

- Force est de constater que depuis les tentatives d’assassinat de Samir Geagea et de Boutros Harb, à l’assassinat de Wissam el-Hassan, sous des raisons diverses, le ministre des Télécoms a tendance à refuser systématiquement de répondre favorablement et immédiatement aux demandes des Services de renseignement des FSI qui enquêtent sur ces affaires, sauf après intervention du président de la République et du Premier ministre.

- Si Nicolas Sehnaoui a jugé utile de communiquer au public et à la presse ce problème, des sujets aussi graves (protection de la vie privée, enquêtes sur deux tentatives d’assassinat et un assassinat), alors il ne fallait pas s’arrêter au milieu de la route et avoir recours à des formulations populistes, pour confirmer ses bonnes intentions et infirmer l’existence dans ses décisions d’arrière-pensées politiques et électorales (le Ministre était candidat à la députation à Beyrouth en 2009 ; il le sera probablement en 2013). Dans ce sens, je défie le ministre des Télécoms de publier les demandes des FSI, notamment la dernière, pour vérifier s’il est question comme il dit dans son message de lundi soir à 20h08, « "Fer3 Ma3loumet" demanding content of all SMS as well as username and password of all data sessions, BBM Webmail of 4 Million Lebanese. », ainsi que les textes de la loi qui l’autorisent à refuser leurs demandes et ses refus! Ceci pourrait obliger, les Renseignements des FSI, s’ils ont outrepassé leur droit, de rectifier le tir. En tout cas, ce genre d’histoires ne se règle pas sur Facebook sauf si on a des arrière-pensées politiques et électorales ! Enfin, tout ceci confirme la nécessité de respecter scrupuleusement la loi par les ministres de l'Intérieur et des Télécoms, ainsi que par les Renseignements des FSI et de l'armée.

- Le jeune ministre est probablement soucieux de la protection de la vie privée des Libanais, mais le fond du problème pourrait être ailleurs. Les trois affaires récentes, les deux tentatives d’assassinat de Samir Geagea et de Boutros Harb, et l'assassinat de Wissam el-Hassan, ne concernent pas son camp. Sinon, il serait beaucoup plus coopératif, j'en suis persuadé. Nous ne sommes pas nés avant-hier, et nous avons encore, el-7amdellah, trois neurones qui fonctionnent : certains dans notre cher pays n’ont pas intérêt à ce que les données de télécommunications soient analysées ! Il est là le problème. Tout le reste n’est que palabres.

- Si la loi n'est pas claire sur ce sujet, et autorise plusieurs interprétations personnelles, là vraiment nous avons de quoi s'inquiéter! Il faut alors que le sujet soit connu du public et soit traité dans la presse pour que les députés de la nation et les candidats pour 2013, s'engagent à la rendre plus claire.

3. FRANCE. Distinguons deux choses : ce qui se fait et ce que la loi permet ! Même dans les pays occidentaux, très soucieux de la protection de la vie privée, le fossé peut être grand. En tout cas, en France des dizaines de milliers de lignes cellulaires sont surveillées chaque année légalement!
La loi française oblige les opérateurs de conserver les données de télécommunications pendant un an, appels et SMS (numéros composés, date, heures, bornes...). Il faut une demande de justice pour récupérer la data personnelle mais uniquement pour une affaire personnelle (litige, divorce, etc.). Dans le cadre de la lutte antiterroriste, comme par exemple un assassinat comme c’est le cas avec Wissam el-Hassan, les enquêteurs peuvent obtenir les infos directement des opérateurs, après seulement le feu vert du ministre de l’Intérieur !
Pour le contenu des SMS, même si techniquement c’est possible, officiellement, il n'est pas archivé en France. Donc le problème, soulevé par cette affaire au Liban, ne se pose pas dans l’Hexagone. Par contre, si les enquêteurs veulent intercepter des données, pour des raisons de sécurité uniquement, c’est possible après le feu vert du Premier ministre ou sur une demande judiciaire. Donc là aussi, dans le cadre de la lutte antiterroriste, les enquêteurs n’ont pas besoin d’un feu vert de la justice.
Enfin, il faut savoir que les sites d'internet ont aussi l’obligation de garder les données personnelles pendant un an, y compris les fournisseurs d’accès à internet, mais aussi Google, Hotmail, Youtube, Facebook (nom, IP, téléphone, heures de connexion/déconnexion, adresse, mot de passe, messages, commentaires, photos, etc.). Et tout peut être transmis à la police, et pas uniquement, mais au Fisc aussi ! Et oui, Big Brother nous surveille.

4. EL-NASHRA. Le site el-Nashra a publié le mardi vers 23h certains documents de « Fer3 el-Ma3loumét ». Voilà ce que j’en pense :
- Petite précision qui a son importance quand même, le site el-Nashra est politiquement dans le camp du 8 Mars !
- Alors que l’intro du site, qui accompagne les documents laisse supposer qu’il s’agit de l’affaire récente, les demandes concernant l’assassinat de Wissam el-Hassan (« takchouf elnashra 3an al wassayék al rassmiyat allati takaddama beha fer3 el ma3loumét... »), le document signé par Achraf Rifi publié par el-Nashra date du 17 juillet 2012 ! Les autres documents signés par le ministre de l’Intérieur datent du 18 aout 2012, à l’excepté de celui adressé par le ministre de l'Intérieur au Premier ministre (1 nov. 2012) et de celui du directeur des FSI au ministre de l'Intérieur (29 oct. 2012). J'y reviendrai. Donc, ils sont tous antérieurs à l’affaire récente. Avouez que c’est une confusion pas très correcte !
- On pourrait dire que cela ne changerait rien, la nouvelle demande des FSI est du même genre. Non seulement que rien ne le prouve, mais en plus il faut savoir que la demande initiale des Renseignements concernant l’assassinat de Wisssam el-Hassan a été modifiée. Or, Nicolas Sehnaoui n’en a pas tenu compte, quand il a lancé sa campagne le lundi 20h08, il parlait des 4 millions de libanais, des mots de passe, etc. Ce qui était faux.
- Pour le document datant du 1 nov. 2012 (un des deux documents de la série qui concernent l’affaire Wissam el-Hassan). Eureka ! Ce document est adressé par Marwan Charbel à Nagib Mikati. Dans ce document on apprend que le ministre de l’Intérieur transmet au Premier ministre la demande des Renseignements des FSI, datant du 29 oct. 2012 et publiée par el-Nashra, concernant la communication du contenu des SMS. Le ministre de l'Intérieur fait référence à la loi n°140 du 27.10.1999, au décret n°15280 du 1 oct. 2005 amendé par le décret n°15821 du 2 déc. 2005, et aux décisions du Conseil des ministres n°1 du 26 mars 2009, n°22 du 26 mai 2009 et n°52 du 5 jan 2010. Ce document pourrait constituer une preuve, quelle ironie!, que la demande des FSI serait conforme aux lois en vigueur au Liban, sinon c’est le ministre de l’Intérieur lui-même, Marwan Charbel, garant des libertés fondamentales des citoyens, qui l’aurait bloqué et non le ministre des Télécoms, Nicolas Sehnaoui !

5. EPILOGUE. Il a été convenu hier soir entre le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, et le ministre des Télécoms, Nicolas Sehnaoui, que ce dernier transmettra aux Services de renseignement des Forces de sécurité intérieure l'ensemble du trafic des SMS, des régions de Beyrouth et du Mont-Liban, relevé entre le 21 aout et le 20 octobre, mais pas le contenu des messages. S’il y a des suspicions, et il y en aura!, sur certains échanges précis, le contenu des « SMS suspects » sera transmis ultérieurement. Achraf Rifi, directeur général des FSI, a accepté l’accord. Et Bakhos Baalbaki, l’auteur de cet article, est plus que satisfait de cette issue !