Il
a fallu 45 jours pour que la montagne accouche d'une souris. Ce qui
frappe dans la formation du nouveau gouvernement de Michel Aoun et de Saad Hariri ce sont les éléments suivants:
1.
Le partage du fromage gouvernemental par la quasi totalité des
partis politiques traditionnels est frappant. Comme quoi, les leaders
libanais peuvent s'entendre quand ils le souhaitent. Ainsi, ils
seront tous tenus responsables, kelloun ye3né kelloun, de ce qui sera fait ou ne sera pas
fait au Liban dans les prochains mois.
2. Tous les grands partis politiques libanais ou presque, ont eu au moins un
ministère dit de service, bien connu au Liban pour être très utile
avant les élections législatives!
3.
La part du lion revient à deux partis, le Courant
patriotique libre (CPL, contrôlé de facto par le président de
la République, Michel Aoun ; Défense, Affaires étrangères,
Energie, Justice, Economie, etc.) et le Courant du Futur
(contrôlé par le Premier ministre Saad Hariri ; Intérieur,
Télécom, Travail, Culture, etc.). C'est normal, les deux formations
ont les deux plus importants blocs parlementaires. Toutefois et par conséquent, ces deux partis devront être tenus responsables
plus que les autres de la situation au Liban.
4.
La faible présence de femmes dans ce gouvernement est une honte.
Avec 29 hommes pour une seule femme, ministre d'Etat sans
ministère en plus, ce gouvernement est carrément une insulte pour
au moins la moitié de la population libanaise. Ceci montre à quel
point les leaders politiques libanais sont déconnectés de la
réalité, machistes dans leur esprit et gonflés dans l'exercice du
pouvoir. Que Michel Aoun et Saad Hariri aient commis cette aberration, est grave, que les 28 hommes l'acceptent est
encore plus grave. Par dignité, par respect et par solidarité, par rapport aux femmes du Liban, ils devraient démissionner tous.
5.
Confier les « Affaires de la femme » à un homme,
est le moins qu'on puisse dire grotesque. Par dignité, par respect et par solidarité, par rapport aux femmes du pays du Cèdre, Jean Oghassabian devrait
démissionner illico presto.
6.
Il est remarquable avec quelle désinvolture certains leaders
politiques libanais ont réussi à imposer de nouvelles règles
personnelles, communautaires et non constitutionnelles, dans la
formation des gouvernements au Liban. Chapeau les gars ! Très chers compatriotes,
apparemment et jusqu'à nouvel ordre, les « Affaires
étrangères » appartiennent à Gebrane Bassil (CPL ou au moins
aux Chrétiens et aux Chiites, pro-syrien/pro-Hezb de préférence), les « Finances »
à Ali Hassan Khalil (Amal ou au moins aux Musulmans, comme le Futur),
l'Intérieur à Nouhad Machnouk (Futur), Energie au CPL (ou à un
Arménien du Tachnag ou à quelqu'un du 8-Mars/pro-Hezb/pro-syrien,
since 1992 svp !), les « Déplacés » à un Druze (Erslann
aujourd'hui, pro-Joumblatt hier), l'Agriculture à un Chiite (Amal ou
Hezbollah, en alternance) et la Réforme administrative à un chiite (Amal ou
Hezbollah), etc. Bienvenue au Liban, un patwork de pays de 18
communautés enlisé et sclérosé dans le communautarisme.
7.
L'absence notable du parti politique des Kataeb de
ce gouvernement aurait pu être saluée, si elle n'était pas
dû à la non obtention d'un ministère en bonne et due forme
et à la place d'un « ministre d'Etat » sans ministère. Nuance !
8.
Malgré un appétit faible dans le partage du fromage gouvernemental (il n'a que les ministères de l'Industrie, ainsi que
la Jeunesse et le Sport!), le Hezbollah reste une "anomalie" qui affecte gravement le bon fonctionnement des institutions au Liban
à cause de son idéologique politique (instauration d'une République
islamique au Liban et reconnaissance de la légitimité de l'ingérence de Wali
el-Fakih, Guide suprême de la République islamique d'Iran, dans les
affaires libanaises) et de la possession d'armes légères et lourdes
(en violation de la Constitution libanaise et des résolutions du
Conseil de sécurité).
9.
Le parti des Forces libanaises qui visait un ministère régalien,
celui des Finances précisément, et espérait naïvement l'obtenir grâce à sa
nouvelle alliance avec Michel Aoun, doit se consoler avec trois
ministères de service (Santé, Information, Affaires sociales,
en plus de la vice-présidence du Conseil des ministres). Les veto
étaient nombreux !
10.
Au moins deux noms dans ce gouvernement peuvent étonner certaines oreilles : Ali
Kanso (du Parti national syrien, ministre d'Etat, ardent défenseur de la tyrannie des Assad depuis toujours), Mouine
Meraabé (Futur, ministre d'Etat, à qui on a confié la charge
des Réfugiés syriens, poste créé sur mesure, pour une personnalité
connue pour ses nombreuses critiques de la stratégie de l'armée libanaise dans la région d'Ersal/Bekaa).
11.
Il est clair que le Courant patriotique libre,
le parti du président libanais, a tenu à récupérer le
ministère de l'Environnement pour tenter de se targuer plus tard
d'avoir résolu la « crise des déchets » au Liban. C'est
très joli sauf que, si ça va se passer comme pour l'Electricité et
pour l'Eau, un ministère que le CPL a tenu entre 2008 et 2014, les
Libanais feraient mieux d'attendre que les poules aient des dents et que les éléphants roses franchissent le mur du son. Le
CPL a tenu par ailleurs, à se présenter comme un parti qui combat la corruption au Liban, le seul comme il voudrait faire croire aux Libanais, en créant et en prenant en charge un poste sur
mesure, « Ministre d'Etat chargé de combattre la
corruption ». Magnifique sauf que là
aussi, qui veut combattre sérieusement la corruption aurait justement refusé la formation politicienne d'un gouvernement qui n'a
aucune justification constitutionnelle ou politique et n'aurait pas bloqué l'élection présidentielle libanaise pendant 900 jours et 44 séances électorales. Allons bon, heureusement qu'il y a encore des Libanais qui ne sont pas nés de la dernière pluie !
Je
l'ai dit, je le redis, je persiste et je signe, la formation d'un
nouveau gouvernement au Liban n'était pas nécessaire en ce moment.
Mais enfin, ce n'est pas ça qui est demandé ! Les leaders politiques
libanais s'activent, s'agitent et pourtant, tout ce beau monde
est censé faire deux choses et non trois : voter une nouvelle loi électorale, depuis huit ans déjà
!, permettant une bonne représentation du peuple libanais au
Parlement, et organiser des élections législatives, depuis trois ans et demi et avant le 20
juin 2017 !, afin de congédier des parlementaires qui n'ont pas
vraiment brillé par leur compétence et leur rendement politique. Le
gouvernement de Tammam Salam aurait très bien pu expédier les
affaires courantes encore quelques semaines, le temps d'atteindre ces
deux objectifs, sachant surtout que toute nouvelle loi
électorale, s'il y en aura une !, avec un nouveau gouvernement en
place ou pas, devra être votée par le Parlement autoprorogé élu
en 2009. Le Liban pouvait très
bien se passer du nouveau gouvernement. En tout cas, ce dernier sait très bien aujourd'hui ce que le peuple libanais attend précisément de lui.