A
l’heure des lamentations récurrentes d’une partie des Libanais à propos de la
performance du président américain Barack Obama, je me demande qui dans nos
contrées est bien au courant de ce qui s’est passé d’important les 27 et 28 février 2014, du côté de ce pays
en détresse nommé Liban ? Peu de gens, j’en suis sûr. Et pourtant, les infos
auraient dû mobiliser les partisans du
14 Mars et de la société civile libanaise qui lui est proche. Il n’en est rien. A qui revient la faute n’a plus beaucoup d’importance. Ceux qui sont à
l’origine de ces actions pertinentes, ainsi que ceux qui ont la charge
d’informer les citoyens libanais, ont dû juger qu’il devrait en être ainsi.
Soit.
En
cette journée du 27 février, l’ancien Premier ministre libanais, Fouad Siniora, incontestablement
« le plus intelligent d’entre nous », pour reprendre la formulation
de Jacques Chirac sur Alain Juppé, a
remis au coordonnateur spécial des Nations Unies pour le Liban, Derek
Plumbly, une pétition. Elle ne concerne ni la protection des ficus des
trottoirs d’Achrafieh des excités du sécateur de la municipalité de Beyrouth,
ni la mise en route d’urgence d’un plan national pour assurer aux générations
futures l’eau au robinet à tous les étages, dans toutes les régions et en toute
saison. Non hélas, double hélas. Néanmoins, la démarche était capitale pour
tout citoyen libanais exaspéré par les palabres après chaque assassinat
politique et soucieux un tant soit peu de l’Etat de droit au pays du Cèdre. La pétition est signée par 69 députés
du bloc du courant du Futur de Saad Hariri, du Front de lutte nationale de
Walid Joumblatt, des Kataeb d’Amine Gemayel, du parti des Forces libanaises de
Samir Geagea et de divers parlementaires indépendants dont Boutros Harb. Elle
est adressée au secrétaire général de
l’ONU, Ban Ki-moon. Les signataires réclament dans ce texte, le transfert de tous les dossiers
d’assassinats politiques et des tentatives d’assassinats politiques commis
récemment au Liban contre des personnalités de la Révolution du Cèdre, au
Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) à La Haye au Pays-Bas. Cela va de la
tentative d’assassinat de Marwan Hamadé en octobre 2004 à l’assassinat de
Mohammad Chateh en décembre 2013, en passant par ceux de Pierre Gemayel en
novembre 2006 et de Wissam el-Hassan en octobre 2012.
Certes,
il s’agit d’une excellente initiative mais il y a deux bémols. Selon l'article premier du statut du TSL, il revient aux représentants de la République libanaise, signataires de l'accord judiciaire avec l'Organisation des Nations Unies, d’effectuer cette demande et
non à une partie de ces autorités, au TSL la charge d’examiner le lien de
connexité avec l’assassinat de Rafic Hariri, condition sine qua non pour
valider ce transfert. Ainsi, une telle demande aurait dû être remise aussi au
gouvernement de Tammam Salam ou à son successeur après les élections
législatives. L’autre bémol, concerne l’incompréhensible léthargie de l’index des mains 14-marsistes dès qu’il s’agit de la
page facebook du TSL. Elle me conforte dans l’idée que le Liban est un pays qui
a plus d’attention de la part de la communauté internationale qu’il ne mérite
réellement. En tout cas, les voies du militantisme libanais sont aussi impénétrables
que celles du Seigneur. Mystère et boule de gomme. Tenez, by the way, le Tribunal Spécial pour le Liban vient de
publier le 5e rapport annuel sur son activité. Il couvre la
période allant du 1er mars 2013 au 28 février 2014, celle qui a connu l’ouverture du
procès criminel contre les cinq membres du Hezbollah accusés de l’assassinat de
l’ancien Premier ministre du Liban, Rafic Hariri.
Et
puisque j’ai votre attention, je voudrais aussi revenir sur un tout autre
événement qui n’est pas passé inaperçu, fort heureusement, c’est le discours prononcé par le président de la
République lors de la conférence « Ma terre: un avenir prometteur »
organisée par l’Université Saint-Esprit à Kaslik le 28 février 2014. Hélas -il
y en a toujours avec moi- la polémique autour du triptyque mythologique
« l’armée - le peuple - la résistance », a occulté le reste du
discours présidentiel, qui méritait pourtant toute l’attention des citoyens
libanais. En relisant ce texte, je trouve que ce discours de fin de mandat peut être considéré comme une feuille de
route pour le prochain président de la République. Avis aux intéressés.
Commençons
par nous faire plaisir, en reparlant de ce qui a mis la clique d’Ibrahim
el-Amine, propagandiste en chef du quotidien al-Akhbar, au bord de l’hystérie.
Dans ce discours, Michel Sleiman nous a gâté et gratifié en affirmant que « la
terre, le peuple et les valeurs communes, constituent le triptyque en or
permanent de la patrie, celui qui est indispensable pour lier son passé à son
avenir », renvoyant du coup l’insertion du triptyque mythologique dans
la déclaration gouvernementale aux calendes grecques. Afin de recommander son
« envoi » et de s’assurer de la « réception » du message par
son destinataire, Michel Sleiman a invité tout le monde, à « ne pas s’accrocher à des
équations de bois rigides qui entravent son élaboration ». Formulation
vague mais suffisamment cadrée pour provoquer un tollé dans les médias du
Hezbollah et consorts. Ma yallé ta7ét
bato sallé, bten3aro !
Pour
donner à ce discours de fin de mandat la solennité d’un discours d’investiture,
Michel Sleiman a rajouté que « la Déclaration de Baabda est devenue
une des constances, au même titre que le pacte national ». Plus
que la résistance des matériaux, c’est précisément ce qui a mis hors d’elle,
toute la horde 8-marsiste. Rappelons que la fameuse Déclaration de Baabda a été
adoptée le 11 juin 2012 par le Comité de dialogue national. Elle résulte d’un
consensus. Yé3né bel mchabra7, tous les leaders libanais sans exception
-Saad Hariri, Amine Gemayel et Samir Geagea, mais aussi Hassan Nasrallah, Walid
Joumblatt, Nabih Berri et Michel Aoun- ont
accepté :
-
primo, de « se tenir à l’écart de la politique des axes et des conflits régionaux
et internationaux et éviter les retombées des tensions et des crises
régionales pour préserver les intérêts supérieurs du Liban, son unité nationale
et la paix civile » ;
-
secundo, de « veiller à maîtriser la situation à la frontière libano-syrienne
(...), le pays ne pouvant servir de base ou de point de passage pour la
contrebande d’armes et l’infiltration de combattants » ;
-
et tertio, tenez-vous bien, de « respecter les résolutions
internationales et notamment la résolution 1701 du Conseil de sécurité ».
Alors,
vous comprenez mieux maintenant la nature de la crise hystérique contre Michel
Sleiman, celle qui a agité les milieux politiques et les réseaux sociaux du 8 Mars (voir
les deux photos publiées par le site Youkal) ? Le Hezbollah n’a pas tardé à
publier un communiqué de presse le jour même, dans lequel il a affirmé « qu'avec tout le respect que nous portons
pour le poste de la présidence de la République, nous pensons, suite au denier
discours du président Sleiman, que le
palais de Baabda exige des soins intensifs parce que son occupant actuel ne
sait plus distinguer entre le bois et l'or ». Eh bien, faut pas s’énerver
comme ça ! Qu’entend le Hezbollah par soumettre le palais présidentiel à
des « soins intensifs » ? Mener une expédition punitive comme celle du 7 mai 2008 contre la girouette de
Moukhtara ou informer le locataire de Baabda que son mandat ne pourra être
prorogé sous aucun prétexte ? Qu’importe, de part et d’autre, le message a
été reçu cinq sur cinq, sauf que le Hezbollah a oublié qu’il représente un
parti politique dont la branche armée constitue une milice qui ne possède
aucune légalité, condamnée par l’Histoire à disparaître, tôt ou tard, alors que
« l’occupant actuel du palais de
Baabda » est président de la République libanaise et commandant en
chef des forces armées libanaises, jusqu’au 25 mai 2014. En tout cas, Michel Sleiman a aussitôt répondu via
Twitter que « le palais de Baabda est tenu de reconnaître les décisions qui ont été prises à l'unanimité, comme la Déclaration de Baabda ». Eh oui, tweeter peut faire plus mal
que de presser un citron sur une plaie.
Pour
rappel, encore un, la résolution 1701,
votée le 11 août 2006 du temps du gouvernement de Fouad Siniora, a mis un terme
à la guerre désastreuse en cours « depuis l’attaque du Hezbollah en Israël
le 12 juillet 2006 », pour reprendre les termes précis de l'ONU. Dans cette résolution clé, « le Conseil de sécurité (...) souligne qu’il importe que le Gouvernement libanais étende son autorité à
l’ensemble du territoire libanais (...) afin d’y exercer intégralement sa souveraineté... (avec) application intégrale des dispositions
pertinentes des Accords de Taëf et des résolutions 1559 (2004) et 1680 (2006)
qui exigent le désarmement de tous les
groupes armés au Liban, afin que, conformément à la décision du
Gouvernement libanais du 27 juillet 2006, seul l’État libanais soit autorisé à
détenir des armes et à exercer son autorité au Liban ». Difficile d’être
plus explicite : aucune « résistance » n’a droit de cité, la
milice du Hezbollah et les milices palestiniennes doivent être dissous et désarmées.
Au
cours de ce discours axé en grande partie sur les difficultés économiques
actuelles du Liban, le président a souligné l’importance de « respecter
les échéances électorales, présidentielle et législatives, et de mettre en œuvre
des gouvernements efficaces », pour que le Liban puisse obtenir une
aide financière de la communauté internationale, comme ça a été le cas récemment lors de la Conférence du Groupe de soutien au Liban à Paris. Il a rappelé que la société libanaise
croule littéralement sous « le poids
des réfugiés » -aussi bien syriens,
avec plus d’un million de personnes, que palestiniens,
avec plus d’un demi-million de personnes- dont le nombre au total représente aujourd’hui un tiers de la
population du pays, « une proportion qui constitue une
menace durable pour la terre et ses richesses, ainsi que pour l’équilibre
démographique et communautaire, pour l’intégration sociale et pour la stabilité
économique ». Oui, il faut prendre conscience que le Liban d'aujourd’hui court de grands périls ! Voilà
pourquoi, il est important aux yeux du président « d’être strict dans
l’application de la loi concernant l’appropriation immobilière des étrangers et
le refus d’implantation des réfugiés palestiniens sur notre
territoire ».
Par
ailleurs, afin de raviver les liens entre la diaspora et la terre des ancêtres,
Michel Sleiman recommande « d’accélérer les mécanismes de
récupération de la nationalité libanaise » par les descendants de Libanais, de tout mettre en œuvre afin de « faire
participer les expatriés aux élections législatives » et « de
faire voter au plus vite une loi électorale afin de renouveler la classe
politique ».
Enfin,
le commandant en chef des forces armées a appelé à la tenue d’une table de
dialogue aussitôt après le vote de confiance du gouvernement Tammam Salam afin
de « discuter de la stratégie nationale de défense de notre terre, pour
faire face au terrorisme criminel et pour le contrôle des armes répandues dans
toutes les régions libanaises », tout en rappelant qu’il a lui-même
présenté une vision à ce sujet qui vise « à
regrouper les capacités nationales sous le commandement de l’Etat et sous son
autorité, et à armer l’armée libanaise ».
Si la milice chiite
s’est contentée d’une brève attaque virulente contre le président maronite, ce
sont ses fidèles alliés maronites qui se sont chargés des détails et du
zèle.
Triste destin pour des leaders qui se targuent de défendre contre vents et
marées « les droits des chrétiens » !
C’est par la voix de Gebran Bassil,
le dauphin-gendre du général, sur la chaine sous perfusion, New TV, que l’allié
stratégique du Hezbollah a répondu à Michel Sleiman. « Si l’équation (peuple-armée-résistance) est de bois, elle a
quand même prévalu six ans. Elle serait aussi une description du règne de la
présidence ». Il faut reconnaitre qu’au cours de ce mandat, le général
et son gendre, ont eu de très mauvaises relations avec le palais de Baabda. Continuons,
j’ai mieux pour vous.
« Personne ne peut éliminer la résistance,
parce que c’est une résistance contre Israël, qui vise à libérer les territoires
occupés et afin d’affronter toute attaque israélienne. Cette résistance est
pour défendre le Liban. » El3ama wlo, wlé sté7é, même le Hezbollah n’ose plus aborder le sujet de la « résistance contre Israël » !
Le Hezbollah défend le Liban ? Avouez qu’il est difficile de faire plus
« langue de bois ». Rappelons à l’amnésique par omission et par
conviction, que Hassan Nasrallah est
enlisé dans le « djihad » en Syrie depuis au moins un an et demi,
les mains bien trempées dans le sang de la guerre civile syrienne, aux côtés du
régime alaouite de Bachar el-Assad, à des centaines de kilomètres de la
frontière de l’Etat hébreux. C’est au point qu’ils ne se donnent plus la peine tous
les deux d’ailleurs, de répondre aux nombreux raids israéliens. La « résistance contre Israël »,
la mythologie antique !
Le dérapage de Gebran Bassil
était encore plus flagrant sur le vote des expatriés. Lisez vous-mêmes la déclaration du gendre-zélé, le nouveau ministre libanais des Affaires étrangères. « Il
n’est pas permis, aux expatriés (libanais) qui se trouvent dans des pays
lointains, qui ne vivent pas la situation au Liban de participer à l’élection
de tous les députés. Il faut leur réserver un certain nombre de députés qui les
représentent ». Lointains de combien : 100, 1 000, 5 000 ou 10 000
km ? Qu’il est ridicule ce Gebran Bassil, on se croirait à l’époque de l’immigration
libanaise vers le Brésil et l’Argentine à la fin du 19e siècle et au
début du 20e. Coucou, l’humanité a fait des progrès depuis : il y a des
avions, il y a des chaines satellites, il y a internet, le Mont-Liban n’est
plus sous occupation ottomane et Gilberte Zouein défend les droits de la femme
libanaise dans un silence assourdissant ! Quoique, j’ai des doutes sur la nature du progrès pour ce dernier point. Mais bordel, est-ce qu’il existe un seul Libanais dans ce monde -« Libanais »
c’est-à-dire détenteur de la nationalité libanaise, donc automatiquement
inscrit sur les listes électorales, et non descendant de Libanais qui ne possèdent
pas le passeport libanais- qui ne « vit pas la situation au Liban »,
ne se sent pas concerné par l’avenir de son pays et qui ne soit pas capable de
choisir le député dans SA circonscription ? Foutaises.
Pour
faire bref, la participation des
expatriés aux élections, comme la récupération de la nationalité libanaise par
les « douze millions » de descendants de Libanais réclamée par le
président Michel Sleiman, représentent deux des revendications les plus anciennes des chrétiens du Liban,
notamment des maronites. Alors vous comprenez, ce n’est surement pas à deux
arrivistes opportunistes de passage, comme Michel Aoun et Gebran Bassil, de marchander ces droits contre un bénéfice bassement
électoral, et d’établir le degré d’attachement de tout Libanais au Liban. S’ils
sont motivés par des calculs apothicaires électoraux, c’est leur problème et
pas le nôtre. La réalité est bel et bien ailleurs. Le général et son gendre craignent au plus haut degré le vote
indépendant des expatriés libanais. Etant à l’abri de la propagande syro-irano-hezbollahi-aouniste,
ils désavoueront l’alliance contre-nature de Michel Aoun avec le Hezbollah, une
organisation considérée par l’écrasante majorité des pays du monde arabe et
occidental comme étant de nature terroriste, qui fait tout pour isoler le
Liban de la scène internationale et le placer sur l’axe Syrie-Iran.