1.
Il a fallu presqu’une année de dur labeur à Tammam Salam pour former son
gouvernement et des semaines de longues tractations sous le haut patronage du
président de la République, Michel Sleiman, pour rédiger sa déclaration
ministérielle. Désolé de contredire beaucoup de monde, malgré tant d’erreurs, les
pions du 14 Mars sont aujourd'hui mieux placés que ceux du 8 Mars. Ce n’est certainement pas
comme beaucoup l’espèrent, mais telle est la réalité des faits. Le 8 Mars a perdu
deux-tiers des pions de l’échiquier exécutif. Alors qu’il avait la mainmise
sur tous les ministères dans le gouvernement précédent, aujourd’hui le 14 Mars contrôle directement un tiers
des ministères, dont ceux de la Justice, de l’Intérieur et des
Télécommunications. Achraf Rifi,
Nouhad Machnouk et Boutros Harb ont remplacé respectivement, Chakib Cortbawi,
Marwan Charbel et Nicolas Sehnaoui, au pays de l’impunité où les Eid père et
fils, les Michel Samaha et les Ibrahim el-Amine violent l’Etat de droit sous
les œillères de la justice, ce pays qui n’en finit pas de plonger dans l’enfer
de l’insécurité ambulante, dans un pays où les enquêteurs de l’Etat doivent
supplier des individus pour récupérer la data des télécoms après certains
assassinats politiques et des tentatives d'assassinats politiques visant des personnalités du 14 Mars (comme ce fut le cas dans l'affaire Samir Geagea) ! Eh bien, ça se
passe de commentaire. De plus, le 14
Mars a réussi a neutralisé la moitié des ministères qui restent. Bilan des courses,
le 8 Mars n’a que 8 ministres seulement, au lieu d’une trentaine dans le
gouvernement précédent. Ça, c’est de la
politique, le reste n’est que palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el7aké !
2.
Le 8 Mars a également perdu son Premier
ministre, Najib Mikati. Et ce n’est pas rien. Depuis l’entrée en vigueur de
l’accord de Taëf, le pouvoir exécutif au Liban est entre les mains du chef du
gouvernement. Virer le « Judas du
14 Mars », tant décrié par le 14 Mars, est donc une double victoire
pour le 14 Mars, symbolique et tactique, aux conséquences considérables. Il
faut quand même ne pas oublier, qu’en dépit de sa démission, Najib Mikati et ses ministres hezbollahi, comme on avait coutume de les désigner dans les rangs du 14 Mars, expédiaient
toujours les affaires courantes au Liban. Plus grave encore, le 14 Mars
devait se battre et résister aux multiples démarches du plus rusé de tous, Nabih Berri, président de l’Assemblée
nationale since 1992, qui tentait toujours de légiférer comme si
de rien n’était.
3.
A défaut d’appliquer le plan A, former
un gouvernement 14 Mars sans le Hezbollah, l’intelligence politique exigeait d’appliquer un plan B, former un gouvernement mixte avec le Hezbollah, au lieu
de palabrer en attendant l’arrivée du prince sauveur pour nous délivrer, et en
maudissant Barack Obama matin, midi et soir, pendant que le 8 Mars remodelait
le pays à sa guise. Au gouvernement, le 14 Mars y est, il y reste. C’est
d’autant plus utile qu’en cas de vacance
à la présidence de la République, et en cas de paralysie du pouvoir législatif,
c’est un gouvernement contrôlé par le 14 Mars, qui assurera le pouvoir exécutif.
4.
Yabroud est tombée en Syrie et ce fut
l’explosion de joie dans les fiefs du Hezbollah au Liban. Des
manifestations provocatrices s’ensuivirent à Beyrouth et dans ses environs où
des militants de la milice chiite n’ont pas hésité à exprimer leur satisfaction
par « le traditionnel triptyque de
la honte » auquel les Libanais sont aujourd’hui bien habitués :
la distribution de douceurs orientales
aux passants (comme à la mort de Gebran Tuéni et de Pierre Gemayel, ainsi qu’à
la chute de la ville syrienne de Qousseir), la horde des scootards
et des chauffards même à Tariq el-Jdidé, Bourj Hammoud, Dekwéné, Fanar et
Saïda (une manière bizarre de renforcer la concorde nationale avec les
communautés chrétienne et sunnite des zones traversées !) et les tirs en l’air (tant pis pour les
blessés par les balles perdues, fida el
sayyed Hassan, bien entendu). Vive
le « Document d’entente »
signé entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah, n'est-ce pas ?
5.
Avec la récente victoire, à court terme, proclamée par le régime syrien dans la
bataille de Yabroud (ville syrienne située à une quinzaine de kilomètres de la frontière
libanaise), l’implication du Hezbollah aux côtés du régime syrien s’est confirmée
une nouvelle fois. Niée catégoriquement au départ (2011-2012), minimisée par la
suite (2012-2013), aujourd’hui (2013-2014), Hassan Nasrallah et Bachar el-Assad
reconnaissent tous les deux publiquement le caractère « massif » de
cette implication. Ainsi, qu’importe les prétextes, nul ne peut encore prétendre que la milice « chiite »
libanaise n’a pas les mains bien trempées dans le sang de la population
« sunnite » syrienne. Et ils osent encore crier, halte à la discorde intermusulmane !
Tel sera le constat indélébile
de l’Histoire à long terme. Rien, absolument rien, ne pourra l’effacer. Ce ne
sont surement pas les slogans anti-israéliens creux qu’on entend à des
centaines de kilomètres des frontières israélo-arabes, ni toute la mythologie
autour de la résistance. Un slogan est mort, un autre est né. « Yabroud,
wa ma ba3da yabroud, wa ma ba3da ba3da yabroud », raisonne dans
toutes les contrées du Hezbollah au Liban et dans la région frontalière de Qalamoun. Mais, la gloire ne sera pas au
rendez-vous, jamais pour longtemps. A moyen terme, l’enlisement du Hezbollah dans la guerre civile syrienne ne peut que
l’affaiblir. On compte à ce jour plusieurs centaines de miliciens tués sur
le sol syrien dans « l’accomplissement
du devoir djihadiste ». Plus grave encore, on dénombre à ce jour près
d’une quinzaine « d’attentats sunnites » perpétués sur le sol libanais
contre des « cibles chiites » dans « l’accomplissement du devoir djihadiste » également. Dernier en date, celui de
dimanche dans la Bekaa, au cours duquel un responsable du Hezbollah a été tué.
Là aussi, nul ne pourra encore prétendre
que tous les attentats à venir, et Allah sait qu’il y en aura après la
fuite d’un millier de miliciens syriens de Yabroud vers le Liban justement, ne seront pas liés à l’implication massive
de la milice chiite libanaise aux côtés du régime alaouite syrien. Et quand
on pense que Hassan Nasrallah a justifié cette implication par la nécessité de
mener une « guerre préventive »
en Syrie pour épargner au Liban les agissements des takfiristes ! Quelle mascarade.
6.
Pour l’instant, la communauté chiite
libanaise parvient à digérer ces lourdes pertes humaines dans ses rangs, en
Syrie et au Liban. Mais, jusqu’à quand ? Jusqu’à quand peut-elle
massivement se taire ? Jusqu’à
quand peut-elle rester docilement derrière les projets suicidaires du
Hezbollah ? Nul ne le sait, mais une chose est sûre, plus la guerre en
Syrie perdure, plus le Hezbollah sortira affaiblit. Et tout indique que les
miliciens libanais ne sont pas au bout de leur peine.
7.
Si nous devions juger les gouvernements sur les déclarations ministérielles, l’Histoire retirerait la confiance à
tous les gouvernements du monde, ou presque. Je crois qu’on a donné
beaucoup trop d’importance à celle du gouvernement libanais de Tammam Salam. Elle ne méritait pas tant.
-
D’abord, parce qu’on a oublié que la «
Déclaration de Baabda », la revendication principale du 14 Mars en général,
et des Forces libanaises en particulier, a
déjà été acceptée par tous les protagonistes libanais, Hassan Nasrallah et
Michel Aoun compris, à Baabda justement, le 11 juin 2012. Et depuis elle est
restée 7eber 3a wara2. L’essentiel
est dans la pratique et non dans la théorie. En tout cas, ce gouvernement prévoit « (le)
respect et (le) suivi des décisions prises par le Comité de dialogue nationale
au palais présidentiel à Baabda ». Donc, la Déclaration de Baabda figure
dans la déclaration ministérielle, quand même.
-
Ensuite, parce qu’on a oublié qu’avec ou
sans le triptyque controversé, « l’armée,
le peuple et la résistance », le Hezbollah a fait et fera ce qu’il veut en
Syrie, tant que personne ne donnera un ordre clair à l’armée
libanaise pour maitriser d’une main de fer la frontière syro-libanaise et
pour rétablir la souveraineté nationale sur tout le territoire libanais, Tripoli et les
fiefs du Hezbollah compris, avec ou sans l'aide de la FINUL, la Force intérimaire des Nations Unies au Liban. Pour l’instant, on est toujours à demander
gentiment au Hezbollah de se retirer de la Syrie et de bien vouloir mettre ses
capacités miliciennes au service de l’Etat libanais.
-
Enfin, parce qu’on a oublié que pour
engager une politique de faucon avec le Hezbollah il faut un soutien massif du
peuple libanais, et ce soutien massif, que l’on veuille ou pas, fait gravement défaut,
le faible nombre de like de la page facebook du Tribunal Spécial pour le Liban demeure
à ce jour l’illustration la plus ironique de ce constat amer. Alors, à défaut de pouvoir mener une politique de faucon,
l’intelligence exige de s’engager dans une partie d’échecs. Nous y sommes.
Donc, au lieu de continuer à râler nuits et jours, mieux vaut se pencher illico presto sur les
prochains coups à jouer en ayant en tête que « le gouvernement a vu le jour, afin de se frayer un chemin vers les
grandes échéances (...) Nous considérons que le défi le plus urgent pour notre
gouvernement est de créer les conditions nécessaires à la tenue de l’élection présidentielle dans les délais (...) Le
gouvernement s’engage à faire adopter une nouvelle loi pour les élections législatives ». Eh oui, c’est là précisément et au Liban où tout se jouera pour les Libanais, et
non au Palais du peuple à Damas et à la Maison Blanche à Washington !
8.
Pour le détail de l’histoire, revenons à la
déclaration ministérielle du gouvernement Tammam Salam. Personnellement, je
ne pense pas que la dramatisation s’impose. Au contraire, je crois que là
aussi, s’il y a des perdants ce sont le
Hezbollah et ses alliés, et absolument pas le 14 Mars. La milice chiite
s’est accrochée à « une équation de bois
rigide » pour entraver l’élaboration de la déclaration ministérielle. A l’arrivée, elle est obligée d’abandonner le triptyque mythologique de « l’armée, le peuple et la résistance »
pour se contenter de cette formulation : « Le gouvernement affirme le
devoir de l'Etat et sa quête pour libérer les fermes de Chebaa, les
collines de Kfarchouba et la partie libanaise du village de Ghajar, par
l’ensemble des moyens légitimes, en mettant l'accent sur le droit des citoyens libanais de résister à l'occupation israélienne,
de repousser les agressions israéliennes et de récupérer les territoires
occupés. » Notez bien que le mot « résistance »,
auto-désignation du Hezbollah (avec l’adjectif « islamique » pendant longtemps), ne figure plus dans la déclaration
ministérielle. « Résister à
l’occupation israélienne » est permis à tout le monde et non réservé à
la milice chiite. Pour la première fois
depuis 1982, l’Etat libanais ignore explicitement l’existence de la milice
chiite ! Rajouter à cela qu’il est clairement mentionné que « La sagesse (...) exige de s’engager dans une politique de distanciation
et de fortifier notre pays par les meilleurs moyens face aux répercussions des crises environnantes... (Le
gouvernement) continuera à renforcer les capacités de l’armée libanaise et des forces sécuritaires afin que celles-ci
parviennent à accomplir ce devoir, en plus de celui de protéger et de contrôler les frontières ». Plus grave encore pour le Hezbollah c’est sa résignation à accepter que
ce gouvernement s’engage, tenez-vous bien, à « la mise
en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU ». Je
rappelle que la résolution 1701 qui est la clé de voute de l’édification de la
souveraineté nationale au Liban, prévoit « le désarmement de tous les groupes
armés au Liban, afin que (...) seul l’État libanais soit autorisé à détenir des
armes et à exercer son autorité au Liban ». Non mais, que demande
le peuple de plus ? Ça aussi, c’est
de la politique, le reste n’est que palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el7aké !
9.
Le parti des Forces libanaises,
mur porteur du 14 Mars, qui a refusé ce modus vivendi avec le 8 Mars, et dont la position peut et doit se comprendre, à juste titre et à juste raison, devrait profiter de sa grande liberté d’action pour
garder la barre « des intérêts suprêmes de la nation » haut et dénoncer sans ambages toute dérive de ce gouvernement de la voie principale qu’il s’est
tracé et qui conduirait le Liban vers une élection présidentielle,
avant le 25 mai 2014, et des élections
législatives, avant le 20 novembre 2014. Oui, le 14 Mars peut faire mieux
et les Forces libanaises devront y veiller. Oui, le peuple libanais devra attendre encore longtemps
pour voir émerger une Assemblée
nationale courageuse qui votera l’abolition définitive de tous les privilèges
accordés de facto à la milice du Hezbollah depuis 1982, par les différents
gouvernements qui se sont succédé au Liban pendant la longue période d’occupation
syrienne du pays du Cèdre, y compris ceux de feu Rafic Hariri. Oui, la Constitution
libanaise devra un jour mentionner noir sur blanc que nul ne pourra se
substituer à l’Etat libanais sous aucun prétexte.
Néanmoins, il faut le reconnaitre, ce gouvernement et sa déclaration ministérielle constituent une triple victoire pour le 14 Mars tout entier, Kataeb compris, pour le courant du Futur particulièrement, ainsi que pour Saad Hariri et Fouad Siniora spécialement. C’est un premier pas vers l’abolition des privilèges du Hezbollah au Liban, à condition que le reste suive. Le reste commence par le respect des échéances électorales, présidentielle et législative, où tout se jouera pour le peuple libanais. Pour toutes ces raisons, j’accorde « ma confiance » au gouvernement de Tammam Salam.
Néanmoins, il faut le reconnaitre, ce gouvernement et sa déclaration ministérielle constituent une triple victoire pour le 14 Mars tout entier, Kataeb compris, pour le courant du Futur particulièrement, ainsi que pour Saad Hariri et Fouad Siniora spécialement. C’est un premier pas vers l’abolition des privilèges du Hezbollah au Liban, à condition que le reste suive. Le reste commence par le respect des échéances électorales, présidentielle et législative, où tout se jouera pour le peuple libanais. Pour toutes ces raisons, j’accorde « ma confiance » au gouvernement de Tammam Salam.
10. MAIS, il y en a toujours avec moi, soyons
francs, il était prévisible de tomber sur une
déclaration ministérielle à l’image du pays des palabres. Sans rentrer
inutilement dans les termes exacts de ces palabres gouvernementales, à
part les points abordés dans l’article, sachez qu’il est question
pêle-mêle (mes commentaires perso sont entre parenthèses): « d’un gouvernement
de consensus (c'est mieux que d’entente), de la référence exclusive à l’Etat (mon œil !),
des graines de la discorde (la hantise omniprésente), de l’intérêt national (ah
tiens !), de la reprise du dialogue nationale (oui, parce qu’on n’a pas
assez palabré), de la stratégie de défense nationale (sur la table de dialogue depuis
2006), de la décentralisation administrative (pourquoi se presser),
d’un engagement à appliquer l’accord de Taëf (qui prévoit la dissolution des
milices libanaises, dont le Hezbollah bien entendu), du niveau de vie des
citoyens (mince, il y a des citoyens dans ce bled), du secteur touristique (au
ras des pâquerettes), des projets des régimes de retraite et de la protection
sociale (pas un mot sur la protection des femmes de la violence conjugale malgré plusieurs faits divers
tragiques !), du dossier de l’énergie (selon "Gebran Bassil version 2011",
nous sommes censés avoir l’électricité 24h/24 en 2015, lol !), des
ressources du pétrole et du gaz (une bénédiction ou une calamité pour le Liban ?),
de l’établissement des frontières maritimes du Liban (pas un mot sur l’établissement des frontières terrestres avec la Syrie),
des nominations administratives (des centaines de postes de première catégorie sont vacants depuis des années), de la disparition de l’imam Moussa
el-Sadr (pas un mot sur plusieurs
centaines de citoyens Libanais qui croupissent dans les geôles syriennes
selon des aveux du régime syrien et d’officiers syriens ayant fait défection
récemment), des réfugiés syriens (sa7 el nom ya chabeb), de bonnes relations
avec les pays frères (comme j’aimerai bien être fils unique !) et d’un partenariat
avec l’Union européenne (faut équilibrer avec les pays frères) ». Les pompons de cette déclaration, c'est qu'il n'y a pas un seul mot ni sur l'obligation du gouvernement d'arrêter les cinq membres du Hezbollah
accusés de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri,
et de les renvoyer devant le Tribunal Spécial pour le Liban, ni sur le devoir de l'Etat et le droit des citoyens libanais de repousser les agressions syriennes et les multiples violations de la souveraineté nationale du Liban par le dernier tyran des Assad et ses sbires libanais. Là par contre, que des « faux pas » !