L’homme
est sympathique, cela ne fait aucun doute. Il est aimable, sincère, honnête,
décontracté, ouvert et la liste est bien longue mais nous ne sommes pas là pour
parler du caractère de Saad Hariri, l’ancien Premier ministre libanais, mais de
politique et de son interview accordé à Marcel Ghanem sur la chaine LBC hier.
Alors, attachez vos ceintures et en route.
Commençons dans la
joie et la bonne humeur par ce qui nous rassemble ! Je salue les positions
de Saad Hariri sur les points suivants :
1.
D'accepter le projet des 50 circonscriptions (au scrutin
majoritaire) présenté par les Forces libanaises.
2.
D’accepter de recourir au principe du « vote intracommunautaire »,
tant décrié autrefois et par ailleurs !, pour l’élection du Sénat.
3.
De participer aux prochaines élections
même sous le « vote intracommunautaire ».
4.
De refuser tout report des prochaines
élections législatives prévues pour le 9 juin 2013.
5.
D’insister sur la coexistence
fraternelle islamo-chrétienne.
6.
D’insister sur son attachement au 14
Mars avec les Forces libanaises et les Kataeb comme partenaires principaux.
7.
D’adopter le principe de la décentralisation
administrative élargie.
8.
De refuser en cas de victoire aux
législatives, les principes du « gouvernement d’union nationale »
(à composer avec l’opposition) et du « tiers
de blocage » (donner 1/3 du gouvernement à l’opposition), comme dans
les années précédentes.
9.
De regretter les visites en Syrie
quand il était au pouvoir.
10.
De refuser dorénavant béd3it « cha3éb
- jaych - mou2éwamé », l’hérésie de la trinité inventée par le
Hezbollah, « peuple - armée -
résistance », pour « officialiser » sa milice, ses armes et
son hégémonie sur le peuple libanais et sur l’armée libanaise.
11. De vouloir insérer la neutralité du Liban dans le préambule de la Constitution, et mentionner le refus d'installer définitivement les Palestiniens au Liban.
11. De vouloir insérer la neutralité du Liban dans le préambule de la Constitution, et mentionner le refus d'installer définitivement les Palestiniens au Liban.
12.
De rappeler au Hezbollah qu’il doit
livrer les 4 accusés de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic
Hariri au Tribunal Spécial pour le Liban.
13.
De rejeter énergiquement la fatwa moyenâgeuse du
mufti cheikh Mohammad Rachid Kabbani contre le « mariage civil »
au Liban et les « apostats et traîtres à la religion musulmane ». « Ce discours est inacceptable !» pour Saad Hariri.
14.
D’adopter courageusement le principe du mariage civil au Liban !
Passons maintenant
aux choses qui fâchent ! Je déplore les positions de Saad Hariri sur les
points suivants :
1. SENAT. Après nous avoir bassiné avec le
fait que la « loi orthodoxe » nécessiterait une révision de la Constitution, et que celle-ci était parole d’Evangile, Saad Hariri propose de l’amender pour
suspendre l'association de la création du Sénat avec l’abolition du
confessionnalisme politique, pour créer illico presto ce dernier ! Là,
j’avoue je suis tombé des nues ! Sur la forme, je me demande pourquoi le
Futur a fait tout ce tintouin sur la « loi orthodoxe » pour finir par
accepter son principe pour le Sénat ? Enfin, l’essentiel c’est d’avancer.
Mais en avançant, on ne va pas bien loin. Mais pourquoi diable, se précipiter
sur l’idée farfelue défendue surtout par le tandem confessionnel et féodal,
Walid Joumblatt et Nabih Berri, la création rapide du Sénat ? Avant d’aller au fond du problème, trois détails.
Est-il
besoin de rappeler à cheikh Saad et au Courant du Futur que l’accord de Taëf,
notre Constitution, prévoit « Après
la mise en place du premier Parlement national non-confessionnel, un sénat sera
créé où seront représentées les différentes familles religieuses et dont les
pouvoirs seront limités aux questions primordiales. » Mais enfin, il
est où « le premier Parlement
national non-confessionnel » ? On n’a même pas encore régler la « bonne représentation »
des communautés chrétiennes ! D'ailleurs, l'accord de Taëf prévoit bien avant la création du Sénat de « constituer une
instance nationale sous la présidence du chef de l'Etat composée, en plus des
présidents du Parlement et du Conseil des ministres, de personnalités
politiques, intellectuelles et sociales. La tâche de cette instance est
d'étudier et de proposer les moyens susceptibles d'abolir le confessionnalisme,
et de les soumettre au Parlement et Conseil des ministres, et de superviser
l'exécution de la période transitoire. » Mais enfin encore, elle est où « cette instance nationale » ?
Est-il nécessaire de rappeler à cheikh Saad et au Courant du Futur, que Walid Joumblatt est si pressé
de créer le Sénat parce qu’il sait que cette nouvelle institution, à elle seule,
ne changerait strictement rien au problème confessionnelle du Liban, donc à son
poids politique, bien au contraire, elle serait présidée par un druze ?
Enfin, qui ne sait pas que l’enthousiasme de Nabih Berri pour le Sénat, est
uniquement motivé par son souhait d’abolir le confessionnalisme politique des
textes et faire jouer à fond « l’arme démographique chiite », à défaut de dynamiter l'accord de Taëf et la parité islamo-chrétienne ?
Un
Sénat, même après les élections de juin, est une erreur dans l'état actuel des choses ! Fausse
route et gravement ! Non seulement les prérogatives « limitées aux questions primordiales » restent à
déterminer, mais en plus, étant confessionnel, il ne changerait pas les esprits
d’un iota, sauf s’il est précédé de multiples réformes. C’est l’esprit même de
l’Accord de Taëf ! Préalablement à la création du Sénat confessionnel, il
faudrait envisager plusieurs réformes :
-
diviser par deux le nombre de députés (déjà l’accord de Taëf ne prévoyait que
108 députés, nous sommes actuellement à 128 députés en violation de la
Constitution selon Taëf, et on parle de rajouter encore quelques sièges
supplémentaires !), supprimer l’importante augmentation de salaires
auto-octroyée sans aucune protestation politicienne par les députés récemment et
supprimer les indemnisations à vie des députés (et des futurs sénateurs) :
au moment où notre dette publique dépasse les 140% du PIB, on est à deux doigts
d’une faillite économique, l’heure n’est vraiment pas aux dépenses
superflues ;
-
entreprendre les réformes pour déconfessionnaliser les esprits avec en tête de
liste la rédaction d’un Code "civil" entre autres, qui établit un
statut personnel unique, civil et laïc pour les 17 communautés libanaises.
Sans
ces réformes, l’idée de la création du Sénat est rejetée en bloc. Pas question
de déconfessionnaliser les textes avant d'entamer celle des esprits. « Mina
el noufous qabla el nousous », disait si bien le patriarche Mar
Nasrallah Boutros Sfeir, que tout le monde louait sa sagesse dans le temps. On
n’est même pas fichu de voter le mariage civil et une loi ferme contre la
violence conjugale, alors ma3lé, le Sénat attendra !
2. OBSESSIONS
CHRETIENNES.
Je déplore la qualification des revendications chrétiennes, pour une meilleure
représentation au Parlement libanais, « d'obsessions chrétiennes »
(hawéjiss) ! Certes, Saad Hariri l’a utilisé sans arrière-pensée. Il n'est d'ailleurs pas le seul, tout le monde le fait. Mais il n’empêche que ce mot qu’on ne retrouve jamais
dans les démocraties occidentales doit être banni du langage politique
libanais. Idem pour « rassurer les
chrétiens ou les musulmans », comme s’il s’agissait de « phobies ». On parle
politique et pas de troubles psychologiques ou d’hallucinations collectives.
3. TRAHISON. Je déplore aussi,
que Saad Hariri, son équipe et ses conseillers, n’aient pas bien saisi le sens
des revendications chrétiennes, notamment de ses partenaires. Enno chou, Samir
Geagea, Samy Gemayel et Bakhos Baalbaki, entre autres, œuvrent pour « enterrer tout ce que nos ancêtres ont
fait au sujet du Grand Liban et d’abandonner le Liban dans sa composante chrétienne
et musulmane ? ». Ce genre d’argument n’a pas sa place entre des
partenaires qui se respectent. Depuis 30 ans, l’école hezbollahienne qualifie
toute divergence d’opinion comme de la « haute trahison ». Saad Hariri n’a
rien à faire dans cette école. « L’extrémisme et le retour en 1840 »
(allusion à la « loi orthodoxe » et au consensus des grands partis
politiques chrétiens autour de ce projet électoral), c’est quand des individus
d’une communauté, encore en 2009, toutes communautés confondues, votent uniquement
pour les candidats de leur communauté et pour les candidats des autres
communautés seulement s’ils sont alliés à leur communauté ! C’est la
triste réalité de notre pays aujourd’hui. Il ne sert à rien de se voiler la
face.
4. PROPORTIONNELLE. Je déplore également
le refus de Saad Hariri de la
proportionnelle. Je comprends que le leader sunnite craint qu’à travers la
proportionnelle son parti risque de perdre des sièges électoraux à Saida comme
à Tripoli et dans d’autres régions. Mais le Futur doit savoir aussi que seules
la petite circonscription et la proportionnelle sont en mesure de constituer
une alternative au projet de « vote intracommunautaire » et corriger
au mieux, mais pas complétement, la tare de la démocratie libanaise (vote en
bloc des communautés libanaises responsable de la mauvaise représentation des
communautés chrétiennes au Parlement). Le chef du courant du Futur a
entièrement raison d’évoquer l’absence de compétition libre dans les régions
dominées par la milice du Hezbollah. L’expulsion de tous les opposants chiites
à ce parti extrémiste (le pendant chiite des salafistes !), des régions du
Sud et de la Bekaa, en est la preuve (les attentats contre Ahmad el-Assad, les
attaques contre Sayyed Ali el-Amine, etc.). Mais soyons honnêtes et réalistes,
le soutien massif de la communauté chiite au Hezbollah n’est pas obtenu avec
les armes ! En tout cas, les armes resteront encore pour longtemps dans le
paysage politique libanais. La chute de Bachar el-Assad, qui est non seulement lointaine,
n’y changera rien en plus. Alors en attendant, qu’est-ce qu’on fait ?
5. WALID JOUMBLATT. Je regrette au plus
haut degré l’indulgence de Saad Hariri à l’égard de Walid Joumblatt, toujours à
l’épargner car c’est un « ami ». C’est c’la oui, il l’a surtout prouvé
le 12 janvier 2011, en retirant les rênes du pouvoir à Saad Hariri pour les
remettre à Hassan Nasrallah et à Michel Aoun. Et il l’a prouvé encore après
l’assassinat de Wissam el-Hassan en gardant son soutien à Nagib Mikati, alors
que le 14 Mars réclamait la démission du Premier ministre ! Allez, bonne
chance cheikh Saad.
6. MARIAGE CIVIL. Il est
incontestable que l’acceptation du plus grand leader politique de la communauté
sunnite libanaise du principe du mariage civil au Liban fera date. Il devance par sa courageuse position les leaders chiites, druzes et chrétiens. Mais des
dates mémorables, on en a connu des centaines. La mésaventure du mariage civil
au Liban a commencé en 1950 ! Je regrette un peu que Saad Hariri soit resté tout de même
vague sur la question. S’il accepte le principe, « moi personnellement je souhaite que le mariage civil
passe », Saad Hariri a néanmoins tenu à préciser publiquement « je ne me marierai pas civilement et
je n’accepterai pas que mes enfants se marient civilement » ! Donc
le mariage civil ne fait pas parti de ses convictions profondes. En tout cas, pour
Fares Khachan, vous savez c'est ce maladroit qui se trompe parfois de cible, cette initiative aurait pu tomber dans le domaine théorique, « si Saad Hariri ne s’est pas engagé à
faire passer ce projet dans le premier gouvernement qu’il pourrait diriger » !
Ah bon, que dalle, bonjour l’adaptation libre des propos de Saad Hariri par
le journaliste libanais ! En tout cas, le président du Courant du Futur, a posé une condition :
« Il faudrait qu'il y ait un vrai dialogue sur ce sujet ». On
est loin de l’interprétation de Fares Khachan ! Mais qu’est-ce que veut dire précisément « un
vrai dialogue »? Avec qui? Les autorités religieuses par exemple? Eh bien, bonne chance. Disons que les agences
matrimoniales spécialisées dans l’organisation de mariages civils à Chypre
n’ont pas de souci à se faire à moyen terme. Récapitulons, nous avons d’un
côté, une opposition sociale et religieuse farouche des communautés libanaises, aussi bien chrétiennes que musulmanes,
au mariage civil au Liban, et d’un autre côté un chef de l’opposition qui est
contre le mariage civil pour lui-même et pour sa famille, mais le défendra pour
les autres. En plus, aucun grand leader politique chrétien ou musulman ne s'est prononcé sur ce sujet alors que nous sommes à 4 mois des élections législatives. Génial ! Alors franchement, quelles sont nos chances de nous marier civilement au Liban prochainement ? Sincèrement, faible.
7. EN RESUME.
Je me demande comment peut-on se précipiter sur l’idée farfelue du Sénat, on l’envisage même avant les élections législatives du 9 juin 2013, une institution qui serait élue sur une base confessionnelle, et renvoyer aux calendes grecques le mariage civil au Liban ! Une incohérence à évaluer sachant que la 1re réforme ne déconfessionnalisera pas les esprits, alors que la seconde, créera un environnement favorable à l’évolution du cortex cérébral libanais ! Il est illogique de créer un Sénat avant l’établissement d’un Code civil, unique et laïc au Liban pour les 17 communautés libanaises. Personnellement, le système confessionnel au Liban me dérange moins que le manque de bon sens qui règne au pays du Cèdre. Dans tous les cas, l'accord de Taëf est très clair à ce sujet: le Sénat constitue la dernière étape de la déconfessionnalisation politique du Liban. Certainement pas la première. Commencer par le Sénat serait une aberration à la mode libanaise! Une de plus, me diriez-vous.
Je me demande comment peut-on se précipiter sur l’idée farfelue du Sénat, on l’envisage même avant les élections législatives du 9 juin 2013, une institution qui serait élue sur une base confessionnelle, et renvoyer aux calendes grecques le mariage civil au Liban ! Une incohérence à évaluer sachant que la 1re réforme ne déconfessionnalisera pas les esprits, alors que la seconde, créera un environnement favorable à l’évolution du cortex cérébral libanais ! Il est illogique de créer un Sénat avant l’établissement d’un Code civil, unique et laïc au Liban pour les 17 communautés libanaises. Personnellement, le système confessionnel au Liban me dérange moins que le manque de bon sens qui règne au pays du Cèdre. Dans tous les cas, l'accord de Taëf est très clair à ce sujet: le Sénat constitue la dernière étape de la déconfessionnalisation politique du Liban. Certainement pas la première. Commencer par le Sénat serait une aberration à la mode libanaise! Une de plus, me diriez-vous.
Réf.
Extrait sur le mariage civil 1:37:00-1:45:00