jeudi 22 novembre 2012

Le Liban : l’indépendance d'une nation schizophrénique (Art.87)


A chaque fête ou anniversaire, je n’y peux rien, ma première pensée va toujours, non à l’événement lui-même, mais plutôt au plus grand poète arabe de tous les temps, Al-Mutanabbi!
عـيدٌ بِـأَيَّةِ حـالٍ عُـدتَ يا عيدُ
بِـما مَـضى أَم بِـأَمرٍ فيكَ تَجديد
L'anniversaire de notre 1re indépendance, en référence au 22 novembre 1943, suscite en moi des sentiments mitigés. Entre joie, tristesse et espoir, indépendance j'y suis, j'y reste et j'y pense.

Dans le temps, on avait coutume de blaguer en disant, « ah
 ! si nous étions encore sous mandat français, chou 3abélna !, le Liban serait aujourd'hui un paradis. » Nous aurions des regards au même niveau que la chaussée (mais nonnnnnnn, pas les expressions produites par les yeux, elles seraient au ras des cimes voyons, mais les ouvertures ménagées dans la chaussée pour accéder aux égouts et aux réseaux de télécommunications ; en tout cas, l'air de rien la voirie publique libanaise n'est même pas fichue de réaliser cet exploit autoroutier en 2012!), la cuisine libanaise serait inscrite au « patrimoine culturel de l'humanité » (on ne serait pas en train de se disputer la paternité du hommos et la maternité du falafel avec Israël !) et on vivrait la mythologie de la Suisse de l'Orient à plein temps et en toute saison (barbotant dans les eaux de la Méditerranée en chantant « 3a hadir el bosta » et en mangeant du festo2 7alabé).

Aujourd'hui, on ne fait plus ce genre de blague car elle ne fait plus rire personne tellement elle est véridique, tout le monde sait que ce fut une erreur. Nous aurions dû rester à l'école française encore un peu, même longtemps. L'indépendance ne convient pas à une nation schizophrénique aux 17 personnalités et aux innombrables hallucinations collectives ! Une hallucination étant une « perception fondée sur l'illusion », en voici des plus éloquentes. De la libération de Jérusalem qui devait passer par Jounieh (OLP-Mourabitoun-Joumblatt père 1976) à la Victoire divine sur les ruines de la mère patrie (Hezbollah 2006), du Liban fédéral (Forces libanaises 1986) à la République islamique chiite (Hezbollah, « La voie, l’expérience, l’avenir », dernière édition 2009 ), du « Merci la Syrie » (Hezbollah 2005) à la dissuasion avec Israël (Hezbollah 2012), de la Guerre d'élimination (Aoun 1990) aux Jours glorieux (Hezbollah 2008), de la transformation du Parlement en une boutique familiale pour raison
« démocratique » (Berri 1992-2012, soit 20 ans et ce n'est pas encore fini!) au coup d'Etat démocratico-milicien (Hezbollah-Joumblatt fils 2011), etc. Ce ne sont que quelques exemples d'hallucinations collectives qui confirment la nature schizophrénique de notre nation.

Et que voulez-vous mes cher(e)s ami(e)s, une nation schizophrénique produit forcément des individus et des leaders schizophréniques ! Comment expliquer alors que dans un pays religieux, les employés de maison soient aussi mal traités, qu’on admire la beauté des villes occidentales et qu’on transforme Beyrouth en une des villes les plus laides au monde, qu’on festoie à l’assassinat de son adversaire politique puis qu'on donne des leçons en démocratie, qu’on se gargarise du « Liban vert » alors que nos forêts se réduisent en peau de chagrin et nos villes manquent cruellement de verdure, que le plus communautaire de tous, estèz Nabih Berri, soit le champion de la laïcité au Liban, que Michel Aoun yalli bayto min ézez béréchi2 el nés bel 7jar, que Walid Joumblatt se présente comme un ami de Rafic Hariri mais s’allie au Hezbollah dont 4 membres sont accusés par le Tribunal Spécial du Liban d’avoir assassiné l’ancien Premier ministre libanais. Encore, toujours et plus que jamais, schizophrénie mon amour, comme tu peux être bien commode.

Si l’indépendance est l’acquisition de la totale souveraineté politique par un pays, nous sommes très loin du compte au Liban. Aujourd’hui la souveraineté nationale est violée à longueur d’année, par ordre crescendo de fréquence et de gravité, d’abord par Israël (avec ses survols de l’espace aérien libanais), ensuite, par le dernier tyran des Assad (comme l’attestent l’affaire Samaha et les incursions de l’armée syrienne en territoire libanais entre autres) et enfin, par la milice du Hezbollah (l’affaire Ayoub en est l’exemple le plus récent et le plus significatif). Tant que ces 3 violations ne font pas l’unanimité, notre nation demeurera schizophrénique corps et âme.

Au total, toute fête a une raison d’être. Si en ce 22 novembre nous fêtons l’indépendance du Liban par rapport à la France mandataire, on peut dire que ce fut une erreur. Et si aujourd’hui nous fêtons « symboliquement » l’indépendance du pays du Cèdre, disons que c’est une bien mauvaise blague. Il est clair, nous n'étions pas murs pour disposer de nous-mêmes en 1943. Nous ne le sommes toujours pas en 2012, hélas et 69 fois hélas! Affaire à suivre.

Réf.

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