Il y a quelques mois, les 2 derniers étages d'un immeuble qui en
comptait cinq de la rue Sioufi à Achrafieh s'écroulaient. Défilé de
personnalités comme à l'accoutumée. Une grosse légume d'un parti
politique, député de la Nation, se ramène. Je l'ai vu et même entendu!
Regrets de faciès et colère de circonstance… contre l'Ordre des
ingénieurs! Je me souviens de mon sourire narquois en écoutant ses
réflexions à côté de la plaque, surtout de la part d'un législateur en
puissance.
Et voilà que l'histoire se répète. D'habitude je m'abstiens de commenter les faits divers. Mais j'ai décidé de rompre mes habitudes pour la simple raison que le drame d'Achrafieh dépasse tout de même le cadre du fait d'hiver. L'effondrement de cet immeuble devrait marquer un tournant. Enfin j'ose espérer! Quelques réflexions en vrac.
1. L'abolition du confessionnalisme au Liban devrait commencer par l'abolition des frontières de la compassion! Je ne suis pas touché par cet événement parce ce que je suis résident d'Achrafieh mais parce ce que c'est une tragédie. On devrait éprouver la même compassion si l'immeuble se situait à Dahiyé, à Tripoli, à Baalbeck ou à Baawerta, en Syrie, en Afrique du Sud ou aux Etats-Unis d'Amérique, dans une région chrétienne, musulmane, juive ou bouddhiste. Est-ce le cas? Allez savoir! En tout cas, je n'ai pas aimé le slogan "Achrafieh en deuil". C'est au moins tout Beyrouth qui devrait l'être, quand ce n'est pas tout le Liban. Commençons donc par abolir les frontières de la compassion, tout ira mieux ensuite.
2. Un immeuble ne s'écroule pas comme ça. De 2 choses l'une : soit l'immeuble a montré des signes précurseurs qui ont été négligés par le propriétaire, soit que des travaux à l'intérieur ou à l'extérieur de l'immeuble ont conduit à son écroulement subit. En cas de travaux, il fallait non seulement l'avis consultatif d'un spécialiste avant de les effectuer mais aussi l'avis obligatoire d'un bureau de contrôle technique. Il y a donc des causes et des responsables. La justice doit non seulement les déterminer, mais elle doit immanquablement passer.
3. Si un immeuble s'écroule, ce n'est pas l'Ordre des ingénieurs qu'il faut blâmer, mais le législateur, donc les 128 députés de la Nation, le gouvernement actuel et ses ministres, et les services de contrôle des ministères concernés et de la municipalité. Les immeubles de Beyrouth commencent à vieillir. Ils sont mal entretenus, que dis-je, pas entretenus du tout. Manque de moyens aux niveaux individuel et collectif, qu'importe. Aucune loi aujourd'hui n'oblige les propriétaires d'immeubles anciens à procéder à un contrôle technique de leur structure. Il y a donc peut être un manque dans la législation et surtout dans l'application de l'existante (l'obligation de passer par des bureaux de contrôles et d'avoir l'avis d'un spécialiste avant, et non après, d'effectuer des travaux sur la structure). En parlant de contraintes législatives, il convient aussi de s'assurer de la prise en compte des règles de construction parasismique. Connaissant l'esprit libanais, elles sont sûrement négligées. Il faut peut être les renforcer, étant donné que notre capitale se situe sur la faille du Levant, que nous avons connu 4 séismes dévastateurs (en l'an 551, 1202, 1759 et 1837… celui de 1759 était d'une magnitude de 7,2 sur l'échelle de Richter et avait comme épicentre la ville du soleil, Baalbeck, la ville de mes ancêtres adoptifs;) et des dizaines de séismes importants (dont celui de 1956… 5,9 sur l'échelle de Richter). Les prévisions, si on peut parler en terme de prévisions, sont loin d'être rassurantes: si le cycle des séismes majeurs est de 300-350 ans pour le Proche-Orient, ce qui nous laisse 50 à 100 ans devant nous pour s'y préparer, le cycle des séismes importants concernant les plaques du Levant est de 40-50 ans, et là désolé, nous y sommes!
4. La loi actuelle permet aux propriétaires d'immeubles d'expulser les résidents sous "location ancienne", s'ils ont le projet d'en construire un nouveau. Inutile de préciser que cette loi pousse les propriétaires véreux à négliger l'entretien de leurs immeubles. Les honnêtes locataires eux, ne sont nullement motivés, car ces biens immobiliers ne leurs appartiennent pas. Voilà l'état désespérant de la majorité des beyrouthins. Il est donc grand temps de permettre à ces locataires anciens d'accéder à la propriété de leurs appartements, dans des conditions justes et raisonnables, en promulguant au plus vite une loi qui va dans ce sens et qu'on attend honteusement depuis plus de 20 ans! Le gouvernement Mikati et celui qui lui succédera, les 128 députés actuels et ceux qui leur succéderont, doivent s'engager dans ce sens et doivent être sévèrement jugés pour tout manquement.
5. Il existe une pratique mafieuse, un secret de Polichinelle, sauf pour les autruches de la Nation, qui amène des propriétaires sans vergogne d'immeubles ayant une valeur patrimoniale, donc qui risquent d'être classés, à procéder parfois à la destruction intentionnelle, d'un mur ou d'un pilier porteur, au vandalisme et à la dégradation des parties communes, pour déstabiliser et défigurer la structure et l'allure de leur immeuble, pousser leurs locataires à partir avec un faible dédommagement, échapper ainsi à une classification, et surtout rendre sa démolition inévitable, afin de le remplacer par une tour laide mais bien plus lucrative. Il est donc grand temps de traiter cette pratique mafieuse comme un délit grave!
6. Je suis persuadé que beaucoup de responsables politiques et administratifs, d'investisseurs sans scrupules et de petits esprits pensent que ce drame prouve que devant la vétusté des immeubles anciens, il est préférable de les raser et d'en construire de nouveaux. Et tout ce beau monde trouvera sans difficulté les justifications nécessaires dans les propos de certains spécialistes qui nous expliquent que le béton armé n'existait pas encore dans les années 40. Enfin à ce que je sache, cela ne pose pas de problème particulier aux municipalités des capitales européennes où la grande majorité des immeubles ont été bâtis avant 1950! Si la plupart des immeubles de Beyrouth ne valent rien sur le plan culturel et architectural, il existe tout de même un pourcentage important qui mérite d'être préservé. Je ne parle pas des immeubles du début du 20e siècle dont la destruction constitue un crime contre le patrimoine mais d'immeubles sans prétention, des années 30, 40 et 50, voire 60 (après ce fut l'urbanisation chaotique!), à l'architecture épurée, au caractère prononcé, aux couleurs pastels, aux entrées élégantes, sans les horribles parkings du rez-de-chaussée, et surtout aux magnifiques persiennes en bois aux couleurs de la Méditerranée, un détail raffiné qui fait partie du patrimoine de Beyrouth qu'on devrait rendre obligatoire (les persiennes sont aujourd'hui remplacées par de banals stores déroulants en plastique!). Ce sont ces immeubles qui font l'âme de Beyrouth. Les détruire, c'est perdre l'âme de cette ville. Limitons l'extension de la laideur et sauvons l'âme de notre capitale.
7. La situation tiers-mondiste de la distribution de l'eau au Liban a obligé les particuliers à installer des réservoirs sur les toits des immeubles. Un immeuble de taille moyenne à Beyrouth, comportent une vingtaine d'appartements, donc une vingtaine de réservoirs de 2000 litres au moins sur le toit. Et voilà comment, le libanais a installé 40 tonnes sur le toit de son immeuble, une surcharge qui n'a pas été prévue par le bâtisseur! Certes, cet excès peut être supporté par la structure, théoriquement, mais est-on sûr que c'est le cas de tous les immeubles? Et que se passera-t-il à la prochaine secousse sismique sérieuse? Réponse imminente.
Et que les morts reposent en paix!
Et voilà que l'histoire se répète. D'habitude je m'abstiens de commenter les faits divers. Mais j'ai décidé de rompre mes habitudes pour la simple raison que le drame d'Achrafieh dépasse tout de même le cadre du fait d'hiver. L'effondrement de cet immeuble devrait marquer un tournant. Enfin j'ose espérer! Quelques réflexions en vrac.
1. L'abolition du confessionnalisme au Liban devrait commencer par l'abolition des frontières de la compassion! Je ne suis pas touché par cet événement parce ce que je suis résident d'Achrafieh mais parce ce que c'est une tragédie. On devrait éprouver la même compassion si l'immeuble se situait à Dahiyé, à Tripoli, à Baalbeck ou à Baawerta, en Syrie, en Afrique du Sud ou aux Etats-Unis d'Amérique, dans une région chrétienne, musulmane, juive ou bouddhiste. Est-ce le cas? Allez savoir! En tout cas, je n'ai pas aimé le slogan "Achrafieh en deuil". C'est au moins tout Beyrouth qui devrait l'être, quand ce n'est pas tout le Liban. Commençons donc par abolir les frontières de la compassion, tout ira mieux ensuite.
2. Un immeuble ne s'écroule pas comme ça. De 2 choses l'une : soit l'immeuble a montré des signes précurseurs qui ont été négligés par le propriétaire, soit que des travaux à l'intérieur ou à l'extérieur de l'immeuble ont conduit à son écroulement subit. En cas de travaux, il fallait non seulement l'avis consultatif d'un spécialiste avant de les effectuer mais aussi l'avis obligatoire d'un bureau de contrôle technique. Il y a donc des causes et des responsables. La justice doit non seulement les déterminer, mais elle doit immanquablement passer.
3. Si un immeuble s'écroule, ce n'est pas l'Ordre des ingénieurs qu'il faut blâmer, mais le législateur, donc les 128 députés de la Nation, le gouvernement actuel et ses ministres, et les services de contrôle des ministères concernés et de la municipalité. Les immeubles de Beyrouth commencent à vieillir. Ils sont mal entretenus, que dis-je, pas entretenus du tout. Manque de moyens aux niveaux individuel et collectif, qu'importe. Aucune loi aujourd'hui n'oblige les propriétaires d'immeubles anciens à procéder à un contrôle technique de leur structure. Il y a donc peut être un manque dans la législation et surtout dans l'application de l'existante (l'obligation de passer par des bureaux de contrôles et d'avoir l'avis d'un spécialiste avant, et non après, d'effectuer des travaux sur la structure). En parlant de contraintes législatives, il convient aussi de s'assurer de la prise en compte des règles de construction parasismique. Connaissant l'esprit libanais, elles sont sûrement négligées. Il faut peut être les renforcer, étant donné que notre capitale se situe sur la faille du Levant, que nous avons connu 4 séismes dévastateurs (en l'an 551, 1202, 1759 et 1837… celui de 1759 était d'une magnitude de 7,2 sur l'échelle de Richter et avait comme épicentre la ville du soleil, Baalbeck, la ville de mes ancêtres adoptifs;) et des dizaines de séismes importants (dont celui de 1956… 5,9 sur l'échelle de Richter). Les prévisions, si on peut parler en terme de prévisions, sont loin d'être rassurantes: si le cycle des séismes majeurs est de 300-350 ans pour le Proche-Orient, ce qui nous laisse 50 à 100 ans devant nous pour s'y préparer, le cycle des séismes importants concernant les plaques du Levant est de 40-50 ans, et là désolé, nous y sommes!
4. La loi actuelle permet aux propriétaires d'immeubles d'expulser les résidents sous "location ancienne", s'ils ont le projet d'en construire un nouveau. Inutile de préciser que cette loi pousse les propriétaires véreux à négliger l'entretien de leurs immeubles. Les honnêtes locataires eux, ne sont nullement motivés, car ces biens immobiliers ne leurs appartiennent pas. Voilà l'état désespérant de la majorité des beyrouthins. Il est donc grand temps de permettre à ces locataires anciens d'accéder à la propriété de leurs appartements, dans des conditions justes et raisonnables, en promulguant au plus vite une loi qui va dans ce sens et qu'on attend honteusement depuis plus de 20 ans! Le gouvernement Mikati et celui qui lui succédera, les 128 députés actuels et ceux qui leur succéderont, doivent s'engager dans ce sens et doivent être sévèrement jugés pour tout manquement.
5. Il existe une pratique mafieuse, un secret de Polichinelle, sauf pour les autruches de la Nation, qui amène des propriétaires sans vergogne d'immeubles ayant une valeur patrimoniale, donc qui risquent d'être classés, à procéder parfois à la destruction intentionnelle, d'un mur ou d'un pilier porteur, au vandalisme et à la dégradation des parties communes, pour déstabiliser et défigurer la structure et l'allure de leur immeuble, pousser leurs locataires à partir avec un faible dédommagement, échapper ainsi à une classification, et surtout rendre sa démolition inévitable, afin de le remplacer par une tour laide mais bien plus lucrative. Il est donc grand temps de traiter cette pratique mafieuse comme un délit grave!
6. Je suis persuadé que beaucoup de responsables politiques et administratifs, d'investisseurs sans scrupules et de petits esprits pensent que ce drame prouve que devant la vétusté des immeubles anciens, il est préférable de les raser et d'en construire de nouveaux. Et tout ce beau monde trouvera sans difficulté les justifications nécessaires dans les propos de certains spécialistes qui nous expliquent que le béton armé n'existait pas encore dans les années 40. Enfin à ce que je sache, cela ne pose pas de problème particulier aux municipalités des capitales européennes où la grande majorité des immeubles ont été bâtis avant 1950! Si la plupart des immeubles de Beyrouth ne valent rien sur le plan culturel et architectural, il existe tout de même un pourcentage important qui mérite d'être préservé. Je ne parle pas des immeubles du début du 20e siècle dont la destruction constitue un crime contre le patrimoine mais d'immeubles sans prétention, des années 30, 40 et 50, voire 60 (après ce fut l'urbanisation chaotique!), à l'architecture épurée, au caractère prononcé, aux couleurs pastels, aux entrées élégantes, sans les horribles parkings du rez-de-chaussée, et surtout aux magnifiques persiennes en bois aux couleurs de la Méditerranée, un détail raffiné qui fait partie du patrimoine de Beyrouth qu'on devrait rendre obligatoire (les persiennes sont aujourd'hui remplacées par de banals stores déroulants en plastique!). Ce sont ces immeubles qui font l'âme de Beyrouth. Les détruire, c'est perdre l'âme de cette ville. Limitons l'extension de la laideur et sauvons l'âme de notre capitale.
7. La situation tiers-mondiste de la distribution de l'eau au Liban a obligé les particuliers à installer des réservoirs sur les toits des immeubles. Un immeuble de taille moyenne à Beyrouth, comportent une vingtaine d'appartements, donc une vingtaine de réservoirs de 2000 litres au moins sur le toit. Et voilà comment, le libanais a installé 40 tonnes sur le toit de son immeuble, une surcharge qui n'a pas été prévue par le bâtisseur! Certes, cet excès peut être supporté par la structure, théoriquement, mais est-on sûr que c'est le cas de tous les immeubles? Et que se passera-t-il à la prochaine secousse sismique sérieuse? Réponse imminente.
Et que les morts reposent en paix!