dimanche 18 juin 2017

Sethrida Geagea, Gilberte Zouein, Nayla Tuéni et Bahia Hariri : et si on parlait de ces quatre députées libanaises qui n'ont pas fait grand-chose pour le quota féminin (Art.442)


Arrivée de Sithrida Geagea au Parlement
Vote de la loi électorale (16 juin 2017)
Mark y tient. Il ne cesse de me renvoyer le même message. « 2 600 personnes et quelques qui aiment BB's Blogs n'ont pas entendu parler de vous depuis un moment. Rédigez une publication. » Eh tekram 3einak wou 3einoun, je ne demande que ça. Mais d'une part, le sujet que j'ai décidé d'aborder, la nouvelle loi électorale libanaise, est assez complexe, et d'autre part, je n'ai pas suffisamment de temps pour le traiter d'une traite. Alors j'étale le travail selon mes disponibilités. Je le publierai la semaine prochaine. Rien ne presse, les élections ont été reportées au 6 mai 2018. Et un an en Orient, c'est une éternité sur l'échelle des temps géopolitiques. Dire qu'ils croient que nous ne ne le savons pas !



Comme c'est dimanche, le jour du Seigneur pour les uns, la 23e journée de jeûne du mois de Ramadan pour les autres et le rendez-vous barbecue habituel pour les carnivores athées, alors j'opte pour l'anecdote politique concernant l'une des tares majeures de la nouvelle loi, l'absence de quota féminin. J'en parlerai en détail dans mon prochain article, mais juste une réflexion dominicale qui joint l'utile à l'amusant.

Actuellement, nous avons quatre députées, smallah. Bahia Hariri, Nayla Tuéni, Gilberte Zouein et Sethrida Geagea se rendent place de l'Etoile depuis 2009 au moins. Alors Bakhos me demande, tiens, toi el-Baalbaki, qui suis l'actualité libanaise de près, qu'est-ce que tu retiens des deux mandats de ces quatre dames et de leurs huit années passées au pouvoir législative ? Pas mal l'idée, hein? Alors, tour d'horizon.

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Bahia Hariri vient du Courant du Futur. Peu de gens le savent, mais elle est députée depuis 1992, comme Nabih Berri et Mohammad Raad. De vrais piliers du Parlement libanais. Je me souviens encore de son discours déplacé place des Martyrs le jour qui a façonné l'histoire contemporaine du Liban, le 14 mars 2005. Un mois seulement après l'assassinat de son frère, Rafic Hariri, une des plus influentes personnalités libanaises depuis l'indépendance, elle a tenu à affirmer, devant peut-être un million de Libanais, qu'elle sera aux côtés de la Syrie jusqu'à la libération du Golan, sans préciser si ça sera avec le lapin de Damas ou pas, et à rendre hommage au Hezbollah, ah si, vous pouvez le vérifier ! Il fallait oser, alors que la rue libanaise bouillonnait de rage. Bahia Hariri n'apparait pratiquement jamais dans les médias, quelques images dans le JT tout au plus. Il n'empêche qu'elle reçoit beaucoup ses électeurs et électrices de Saïda et elle est impliquée dans diverses activités sociales, caritatives et humanitaires. Elle fut même nommée ambassadrice de bonne volonté de l'Unesco. Certains voyaient en elle une Première ministre de la trempe d'Indira Gandhi. Son mandat est marqué par un événement et non des moindres. Après la prorogation du mandat des parlementaires, elle a décidé le 1er septembre 2013, de rendre l'argent qu'elle avait reçu du peuple libanais en tant que députée. Avouez que ce n'est pas rien. Personne ne l'a suivi, des députés, sans que personne ne soit étonné, des citoyens. Certes, elle avait les moyens. Les autres aussi. Elle est la tante de Saad Hariri et la mère de Nader et d'Ahmad Hariri, respectivement directeur de cabinet du Premier ministre libanais et secrétaire général du Courant du Futur. C'est pour dire, le pouvoir qu'elle détient est considérable. Et pourtant, une chose est sûre, le quota féminin n'est pas vraiment sa tasse de thé.

Nayla Tuéni est une journaliste avant d'être une femme politique. Elle est issue d'une famille d'intellectuels qui a marqué l'histoire du Liban, en créant et en dirigeant l'un des plus importants quotidiens libanais de langue arabe, al-Nahar. Arrière-grand-père, grand-père et père, Gebrane Tuéni, un des artisans de la Révolution du Cèdre, assassiné en 2005. Elle se présente comme une femme laïque, ce qui n'est pas rien au Liban. Chrétienne orthodoxe, elle a épousé un compatriote de confession musulmane chiite à Chypre, lors d'un mariage civil, ce qui n'est pas rien non plus au Moyen-Orient. Elle est élue à Achrafieh en 2009, en partie grâce au capital de sympathie des Beyrouthins pour sa famille, notamment pour son père. Mais pas seulement. Lors de sa campagne électorale, elle avait promis aux électeurs de ce fief des Forces libanaises, de rejoindre le groupe parlementaire de ce parti. Sauf que les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Aussitôt élue, elle trahit ses électeurs. Depuis qu'elle a accédé au pouvoir, Nayal Tuéni brille par son invisibilité. Silence, ça pousse. Certains diraient qu'elle est ex-aequo avec Okab Sakr et tant d'autres. Oui mais, s'il faut compter sur les hommes pour instaurer un quota féminin de leur propre initiative, c'est décider de prendre des vessies pour des lanternes et d'attendre que les poules aient des dents. D'ailleurs, au Moyen-Age, les lanternes étaient fabriquées avec des vessies de porcs mâles. Là aussi, une chose est sûre, le quota féminin n'empêche pas Nayla Tuéni de dormir sur ses deux oreilles.

Gilberte Zouein est un cas d'école. Tout le monde connait son nom, certains connaissent même son visage, mais personne n'a jamais entendu le timbre de sa voix. Son fait d'armes, c'est d'avoir réussi malgré cet handicape à devenir députée, sachant qu'elle est la seule des quatre femmes parlementaires à ne pas être « sœur de », « fille de » et « femme de ». Son exploit, elle le doit à sa formation, diplômée en Sciences politiques (eh, oui!) mais aussi à sa généalogie. Hé, ho, on est au Liban quand même. La famille Zouein a toujours représenté la région du Kesrouan depuis la formation de l'Etat du Grand Liban. Après deux tentatives foireuses, c'est grâce au général Aoun qu'elle parvient à reprendre le flambeau familial en 2005. Je l'ai rappelé à plusieurs reprises dans mes articles, mais c'est comme si j'avais pissé dans un violon. Gilberte Zouein est actuellement, et depuis des années svp, la présidente de la Commission parlementaire de la Femme. Je le jure ! Il fallait y penser. Qu'a-t-elle fait pour imposer le quota féminin au Liban? Rien, même pas une grève de la faim. Pourtant, elle ne pouvait que trouver son compte. Dommage.

Visite du général Aoun (avril 2014)
Sethrida Geagea incarne sans doute aux yeux de beaucoup de Libanais, la députée qui a su le mieux marier la « femme » avec la « politique ». Si le parti des Forces libanaises existe encore, malgré la répression du régime sécuritaire libano-syrien entre 1994 et 2005, c'est en partie grâce à elle. Parmi les hallucinations et les mirages des trois dernières années, j'ai entendu dire que certains ont vu en Sithrida Geagea, la première présidente de la République libanaise. Pour une autre frange de Libanais, son style maniéré et cette façon de s'exprimer avec snobisme, irritent à la fois les oreilles et les yeux. Toutefois, elle a globalement bonne presse, surtout en ce qui concerne son implication dans tous les dossiers se rapportant à sa circonscription, la région de Bcharré. Mais en dessous de 1 400
Messe de Pâques (avril 2015)
m d'altitude, et depuis qu'elle est élue à l'Assemblée nationale, on cherche encore ses faits d'armes. Certes, il lui arrive de rendre hommage au rôle de la femme dans la société libanaise, mais ses interventions relèvent plus de la poésie que de la lutte effective pour faire de la place aux femmes libanaises dans le monde politique masculin. Ses arrivées au Parlement, et ses départs forcément, sont toujours très remarquées. Pas pour ses tenues vestimentaires seulement. Lors de la première séance d'élection du 13e président de la République libanaise le 23 avril 2014 (où son mari Samir Geagea a obtenu 48 voix), comme au cours de la dernière séance de vote de la loi électorale le 16 juin 2017 (par 113
Départ de Sethrida Geagea du Parlement
Vote de la loi électorale (16 juin 2017)
députés, dont nos quatre députées yi red el3ein 3announ, qui ont approuvé le texte alors qu'il ne contient pas de quota féminin), et entre les deux et à plusieurs reprises, un petit détail récurrent m'a attiré l'attention encore une fois. Allez comprendre pourquoi, cette femme intelligente s'obstine et s'enquiquine à porter des escarpins à talons aiguilles hauts, très hauts, au point qu'elle est toujours obligée d'avoir un député-cavalier du sexe fort pour l'aider à monter et à descendre les marches, voire même à avancer sur un terrain plat. Autant j'adore les talons compensés, c'est si gracieux et élégant, autant je trouve les talons aiguilles hauts, vilains et vulgaires. Elle aurait fait le vœu de monter pieds nus de Jounieh à Harissa, peut-être que Notre-Dame du Liban, Sainte Marie, serait intervenue pour souffler le quota féminin dans l'esprit de tous ces leaders libanais aujourd'hui en liesse et tous ces infatigables défenseurs zélés des droits des chrétiens. Occasion ratée. Ce n'est pas grave, disons à la prochaine.

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Enfin, parlons peu, parlons bien. L'absence de quota féminin dans une loi électorale qui se veut moderne est une honte pour le Liban. J'y reviendrai en détail dans mon prochaine article. J'ai souhaité dans cette note, en préambule, faire sourire et dégager une réflexion sur cette question. Il n'y a pas que les hommes qui empêchent les femmes d'accéder au pouvoir. Les femmes politiques libanaises qui sont déjà au pouvoir brillent par leur mollesse dans la lutte pour une plus grande représentation du « beau sexe » au Parlement et au Conseil des ministres. A l'aube des nouvelles élections législatives, ces quatre députées, encore plus que leurs 121 collègues hommes, doivent être questionnées à ce sujet. Qu'est-ce qu'elles ont fait de concret pour cela, à part se plaindre du manque de femmes dans la vie politique, palabrer sur la question et regretter l'absence de quota féminin dans la nouvelle loi électorale ? En somme, qu'est-ce qu'elles ont fait de plus que les hommes politiques dans ce domaine ? Hélas, pas grand-chose de marquant, encore moins d'efficace.