jeudi 18 mai 2017

Quelqu'un sait encore à quoi et à qui correspondent le sigle TSL et le nom Jackie Chamoun? (Art.435)


Dire que l'événement est passé inaperçu relève de l'euphémisme. Disons-le franco plutôt, une bonne partie des Libanais, individus, politiciens et journalistes, s'en fichent de nos jours comme de l'an quarante. Une frange d'entre eux ne sait même plus à quoi peut bien correspondre le sigle, TSL. La politique française mobilise l'élite de la communauté libanaise, depuis un long moment déjà, moi compris, je l'avoue. Emmanuel Macron passionne les uns et obsède les autres, comme François Fillon auparavant, ou comme Gebrane Bassil d'ailleurs, au point que même le mariage récent de Jackie Chamoun avec Christian Karembeu, a failli lui aussi passé inaperçu, alors que l'événement confirme qu'Adriana Sklenarikova, 87/59/90 pour les amateurs, est disponible pour un moment, mais faut pas rêver, le temps de lire ces quelques mots, le moment est déjà terminé, la plantureuse s'est remariée, comme son ex d'ailleurs. Enfin, tout passionne plus les foules libanaises que les affaires judiciaires de ce tribunal d'exception dont les audiences s'étalent d'année en année, afin de juger en bonne et due forme un des actes terroristes les plus abominables qui a coûté la vie à un ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, et qui a bouleversé le cour de l'histoire pépère du pays du Cèdre, qui jusqu'alors subissait de plein fouet le joug d'une interminable occupation syrienne. Ouf, je reprends mon souffle.

Tout cela est vrai mais il faut dire que l'actualité people c'est quand même autre chose. Ah mais on dirait qu'il n'y a pas que George Clooney qui veut goûter au lait et au miel libanais! Oh mais les tourtereaux se sont mariés à Athènes en toute intimité et ont fêté leur union il y a une dizaine de jours dans un resto chicos de la capitale libanaise, Liza Beirut, ma3 zaffé wou dabké, wou tabel wou zamer, wou hommos wou taweb3o. Eh mais Jackie est de 21 ans la cadette de Christian! Et alors mauvaise langue bien pendue? Tiens, tiens, pour ce point, on peut ouvrir la discussion sur le couple classe de l'Elysée, Emmanuel-Brigitte, et bifurquer ensuite sur deux grands bouffons de la scène internationale, Trump & Berlusconi, on dirait une grande marque de chaussures, mariés respectivement à Melania et Francesca, 24 ans et 49 ans plus jeunes qu'eux, sans que cela ne dérange personne, ni de la gent masculine ni de la gent féminine ni la gent transgenre tout court.

Comme vous voyez hélas, votre obligé est contraint de passer par l'actualité people pour attirer l'attention sur une actualité judiciaire de la plus haute importance. Je l'ai déjà fait dans le passé, en associant le tribunal international avec notre skieuse nationale. Belote et rebelote aujourd'hui. Le hasard est parfois incroyable. A part ça, vive les autoroutes de l'information, hein, beaucoup trop encombrées par les nouvelles au point que tout se mêle et heureux soient celui et celle qui tirent leur épingle du jeu.

Le 5 mai, le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) a publié son bulletin d'information du mois de mars. Et pourtant... Mais avant, quelques rappels à tout hasard, à ceux qui se sont autofrappés d'une amnésie sélective et à celles qui faisaient le tour du monde à cloche-pied ces huit dernières années.

Le Tribunal Spécial pour le Liban est compétent « pour juger les auteurs de l’attentat du 14 février 2005 ayant entraîné le décès de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri et tué ou blessé de nombreuses autres personnes ». L'acte d'accusation a été confirmé le 28 juin 2011. Il concerne cinq compatriotes libanais. Le procès est en cours. Il se déroule à La Haye.

Le TSL est également compétent « à l’égard des personnes responsables des attentats survenus au Liban entre le 1er octobre 2004 et le 12 décembre 2005 ou à toute autre date ultérieure désignée par le Liban et les Nations Unies avec l’assentiment du Conseil de sécurité de l’ONU, considérés comme ayant un lien de connexité avec l’attentat du 14 février 2005 ». Voilà pourquoi « le Tribunal a établi sa compétence à l’égard de trois attentats concernant MM. Marwan Hamadeh (tentative d'assassinat en oct. 2004), Georges Hawi (assassiné en juin 2005) et Elias El-Murr (tentative d'assassinat en juil. 2005). » Ces affaires sont toujours en phase d’enquête.

Le TSL peut par ailleurs « sanctionner au pénal tout comportement portant entrave au cours de la justice ou menaçant l’intégrité de la procédure judiciaire, ainsi que toute pression exercée sur des témoins ». C'est dans ce cadre qu'il a poursuivi la chaine libanaise Al-Jadeed/New TV et la journaliste Karma Mohamed Tahsin Al-Khayat, qui ont été acquittées, ainsi que le quotidien libanais Al-Akhbar et le journaliste Ibrahim Mohamed Ali Al-Amin, qui ont été reconnus coupables, écopant respectivement d'une amende de 6 000 et de 20 000 €.

Revenons maintenant à l'affaire principale du TSL, l'assassinat de Rafic Hariri. A l'ouverture du procès le 16 janvier 2014, cinq personnes étaient poursuivies. Après le décès en Syrie de l'accusé Moustafa Amine Badreddine, le « cerveau » de l'opération, celles engagées contre lui ont été abandonnées.

Les quatre autres accusés sont poursuivis par le TSL pour plusieurs des neuf chefs d'accusation suivants, selon le cas : Complot en vue de commettre un acte de terrorisme (tous les quatre : Salim Jamil Ayyash, Hussein Hassan Oneissi, Assad Hassan Sabra, Hassan Habib Merhi) ; Perpétration d'un acte de terrorisme au moyen d'un engin explosif (Ayyash); Homicide intentionnel (de Rafic Hariri) avec préméditation au moyen de matières explosives (Ayyash); Homicide intentionnel (de 21 personnes, en sus de l'homicide intentionnel de Rafic Hariri) avec préméditation au moyen de matières explosives (Ayyash) ; Tentative d'homicide intentionnel (de 226 personnes, en sus de l'homicide intentionnel de Rafic Hariri) avec préméditation au moyen de matières explosives (Ayyash); Complicité de perpétration d'un acte de terrorisme au moyen d'un engin explosif (Oneissi, Sabra, Merhi); Complicité d'homicide intentionnel (de Rafic Hariri) avec préméditation au moyen de matières explosives (Oneissi, Sabra, Merhi) ; Complicité d'homicide intentionnel (de 21 personnes, en sus de l'homicide intentionnel de Rafic Hariri) avec préméditation au moyen de matières explosives (Oneissi, Sabra, Merhi); Complicité de tentative d'homicide intentionnel (de 226 personnes, en sus de l'homicide intentionnel de Rafic Hariri) avec préméditation au moyen de matières explosives (Oneissi, Sabra, Merhi).

Le procès est toujours dans sa phase de présentation des éléments prouvant la culpabilité des accusés. L'Accusation a déjà présenté les « éléments de preuve criminalistiques de nature à établir la cause de l’explosion du 14 février 2005 et les éléments de preuve relatifs aux victimes, décédées ou blessées, de cet attentat » (preuves de première catégorie). Elle a aussi présenté une grande partie des « éléments de preuve se rapportant aux actions entreprises en 2004 et 2005 par les accusés et leurs complices pour préparer l’assassinat de Rafic Hariri » (preuves de deuxième catégorie). Elle présente actuellement les « éléments de preuve concernant l’identité des accusés et leurs rôles respectifs dans l’attentat » (troisième catégorie).

Dans ce cadre, le Bulletin du TSL du mois de mars 2017, éclaire un aspect important du procès, la fameuse « piste téléphonique ». Précisons d'emblée que celle-ci, a déjà couté la vie à deux acteurs principaux de l'enquête, deux Wissam des Forces de sécurité intérieure, Wissam Eid (tué le 25 janv. 2008) et Wissam el-Hassan (assassiné le 19 oct. 2012).

L'analyse des données téléphoniques montre d'une part, que « l’ancien Premier ministre Rafic Hariri était surveillé par les accusés dans les mois qui ont précédé son assassinat le 14 février 2005 ». On note précisément une intense activité de surveillance : au voisinage du palais de Koraytem (4, 8, 9, 10, 11 fév.), au voisinage du domicile de Marwan Hamadé (4 fév.), pendant le trajet du convoi de Hariri jusqu'à l'aéroport (4 fév.), aux environs de l'aéroport après le retour de Hariri d'un voyage à l'étranger (7 fév.), aux alentours du palais de Koraytem dans la journée avant que Hariri ne se rende au Parlement et dans la soirée en recevant l'envoyé spécial de l'ONU pour la mise en œuvre de la Résolution 1559 (8 fév. ; une journée considérée comme une « répétition générale » de l'exécution du complot le 14 fév.), entre Koraytem, église du Sacré-Coeur et Mar Mikhael (12 fév.), à proximité du Café de l'Etoile (14 fév.). On note par ailleurs qu'après l'assassinat « il n’y a eu aucune activité à proximité du Parlement, du trajet reliant le Parlement au Palais de Koraytem et de la scène de crime ».

L'analyse des données téléphoniques montre d'autre part, que « cinq réseaux ou groupes de téléphones mobiles interconnectés, comprenant deux sous-groupes ont joué un rôle dans la planification, la préparation et l’exécution de l’attentat du 14 février 2005 ». Il y a au total, près d'une vingtaine de personnes impliquées dans l'assassinat. On note de nombreuses communications téléphoniques entre les accusés, entre des sujets non encore identifiés et entre les premiers et les derniers (4-16 fév.).

Qu'un homme comme Rafic Hariri ne fasse pas l'unanimité, n'a rien d'étonnant au Liban, nous devons en convenir. Mais enfin, pas plus que Hassan Nasrallah, Kamal Joumblatt ou Bachir Gemayel. C'est notre grand malheur de Libanais, les grands hommes des uns et des autres, ne sont pas les grands hommes de tous. Soit. Qu'on le qualifie de beaucoup de noms, à titre posthume, il faudrait le comprendre aussi. Personne de ces quatre leaders n'était parfait. D'ailleurs, il faut peut-être arrêter l'hypocrisie orientale qui consiste à dire que du bien des gens, dès l'instant qu'ils ne sont plus parmi nous.

Cependant, force est de constater que les réactions négatives au Tribunal Spécial pour le Liban correspondent en réalité à trois catégories de gens :

1. Ceux qui justifient cet assassinat politique odieux, directement ou indirectement, avec des nuances bidon. Ces gens font l'apologie du terrorisme, et par conséquent, ils se rendent complice du meurtre sur le plan intellectuel.

2. Ceux qui se foutent de cet acte terroriste. Leur attitude est bel et bien politique, quoiqu'ils disent, et du coup, elle est forcément abjecte. Si la démarche est sincère, elle reflète un comportement primitif de la vie en société. Si la démarche est hypocrite, elle reflète un réflexe communautaire qui rend les adeptes de cette option, eux aussi, complices du meurtre sur le plan intellectuel, en prouvant qu'au fond, ils ne sont guère dérangés par l'introduction des pratiques mafieuses dans la vie démocratique.

3. Ceux qui doutent du professionnalisme et de l'impartialité du TSL. Là on est face à une manœuvre politicienne médiocre pour tenter désespérément de cacher qu'on appartient à l'une des deux catégories précédentes.

Le Tribunal Spécial pour le Liban représente une haute juridiction internationale exceptionnelle, chargée pour la première fois de l'histoire de juger un acte terroriste. En pratique, c'est 3 964 documents déposés, 2 523 pièces à conviction, 255 témoins et 70 victimes participants à la procédure. L'enquête et le TSL auraient coûté à ce jour près 600 millions de dollars. Il faut compter une moyenne de l'ordre de 58 millions de dollars par an. Et c'est loin d'être fini. Le Liban paie 49% du coût, une trentaine de pays les 51% qui restent. On peut évidemment débattre longtemps, à juste titre et à juste raison, de ce budget de fonctionnement exorbitant et inadmissible, des salaires des uns et des autres aussi, ainsi que des frais gonflés et injustifiés, mais également de l'absence totale de tout souci pour maitriser et diminuer ce budget et de la lenteur administratif, mais pas de l'existence même d'un tribunal pour juger cet acte criminel qui a affecté gravement le Liban.

Dans tous les cas de figure, l'argument du budget n'est pas recevable pour une raison simple. Il ne faut pas oublier que tout laisse à penser que l'attentat du 14 février 2005 n'a pas été commis par une bande de jeunes qui sirotaient une bière chaude et s'ennuyaient dans une cage d'escalier, et qui pour tuer leur ennui et mettre du piquant dans leur vie, ont décidé de s'en prendre au convoi de Rafic Hariri. Absolument pas! Les cinq accusés font partie du Hezbollah, de l'aveu même de son chef, Hassan Nasrallah. Ce parti a déclaré à de multiples reprises que sur les questions stratégiques, il se réfère au Guide suprême de République islamique d'Iran, Ali Khamenei. En plus, des activités de surveillance et des préparatifs aussi importants que celles et ceux qu'impose un attentat comme celui du Saint-Georges, ne pouvaient absolument pas se faire à Beyrouth sans l'approbation des services d'occupation du régime syrien de Bachar el-Assad. D'ailleurs, si le tyran de Damas n'était pas impliqué dans cet attentat, il aurait tout fait pour se blanchir et accabler les Iraniens et le Hezbollah. Il est donc clair qu'il reviendra aux coupables -individus, organisations et pays- de payer a posteriori le budget global du Tribunal Spécial pour le Liban. Et sur ce point, il va falloir commencer à y réfléchir.

Montrer de l'intérêt pour l'actualité people ou la politique française, n'est pas incompatible avec un peu d'intérêt pour l'actualité judiciaire, surtout quand celle-ci nous concerne nous autres Libanais. Le TSL n'est pas l'affaire de Saad Hariri ou des Sunnites du Liban. C'est l'affaire de tous les Libanais. On est un peuple qui passe son temps à râler contre l'incompétence de ses politiciens et à vociférer contre l'impunité qui règne après chaque assassinat politique commis depuis quarante ans. Et pour une fois, il nous est donnés de connaître la vérité de ce qui s'est passé le 14 février 2005 et de juger les auteurs de cet attentat terroriste de grande ampleur. Alors, la moindre des choses dans ce cas, c'est de montrer que nous ne sommes pas un peuple ingrat qui ne mérite ni le sacrifice de certains hommes de la communauté nationale, ni l'attention de certains pays de la communauté internationale.