D’après les délais réglementaires, propriétaires et locataires doivent se mettre d'accord sur la détermination des augmentations de loyer selon la loi de libéralisation des loyers anciens, avant le 31 mars 2015. Ceci nous amène à penser que la Commission
parlementaire de l’Administration et de la Justice devrait terminer assez rapidement le
rafistolage de la nouvelle loi, en corrigeant les trois articles invalidés par le Conseil
constitutionnel il y a quelques mois. Dans
un premier temps, la nouvelle version corrigée, que nous aurons bientôt, sera soumise au vote du
Parlement et dans un second temps, promulguée
de nouveau par le président de la République. « Houston we have two problems ! »
Le premier vient du fait que le Parlement autoprorogé, à la
légitimité branlante, n’a plus le droit
de légiférer, pas à cause de l’autoprorogation (processus
anti-démocratique), mais du fait de la
vacance présidentielle. Sur ce point la
Constitution libanaise est parfaitement claire. Les articles 74 et 75 ne
laissent aucune place au moindre doute. « En
cas de vacance de la présidence par décès, démission ou pour toute autre cause,
l’Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire un nouveau
Président... La Chambre réunie pour élire le Président de la
République constitue un collège électoral et non une assemblée délibérante.
Elle doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à l’élection du Chef de
l’Etat ».
Mais, c’est sans compter sur le génie
libanais. Les parlementaires autoprorogés ont eu le culot de trouver une fatwa aux articles 74 et 75 : al-tachri3 el-darouré, la législation
nécessaire, avec une variante, al-tachri3
el-estesta2é, la législation exceptionnelle. C’est très malin, sauf qu’il
n’y a rien dans la Constitution libanaise qui évoque la « nécessité » d’élaborer des lois d’une façon « exceptionnelle » en cas de
vacance présidentielle. Actuellement, la nécessité exceptionnelle impose une
seule tâche aux Parlementaires du Liban : élire le président de la République
libanaise.
Il y a ensuite, le problème de la promulgation de la loi corrigée. Cela relève des
prérogatives présidentielles, qui donnent le droit au Président de retourner la
loi au Parlement ou de saisir le Conseil constitutionnel. Or, nous n’avons plus de président depuis
le 25 mai 2014. En toute logique, le
processus devrait donc être suspendu jusqu'à l'élection d'un nouveau
président. Mais, là aussi, le génie
libanais a eu le culot de trouver une fatwa.
Le Conseil des ministres héritera des prérogatives présidentielles. C’est très
malin, sauf qu’il n’y a rien dans la Constitution libanaise qui évoque un tel
héritage dans la promulgation des lois. Et c’est logique. On ne peut pas être
juge et partie. Le gouvernement, le pouvoir exécutif, et son soutien
parlementaire, le pouvoir législatif, est à l’origine de la loi, il ne
peut donc pas juger s’il faut retourner la loi au Parlement ou saisir le
Conseil constitutionnel. En tout cas, il ne le fera jamais, puisque c’est « sa »
loi.
On nage dans l’absurde ! Les
parlementaires et les leaders libanais font comme si de rien n’était. L’Etat libanais
se montre impitoyable avec un pauvre citoyen qui ne paye pas les droits de
succession, son eau ou sa place de stationnement, mais, d’une tolérance incroyable pour les fatwa constitutionnelles.
Comment demander aux citoyens libanais de respecter la législation, quand les
politiciens ne respectent pas la Constitution ? Pitoyable.
Ceci étant, il faut savoir que le lobby immobilier est aujourd’hui pressé
d’en finir par tous les moyens avec les locataires anciens. Ce qui menace le plus les Libanais de la
classe moyenne de nos jours, ce ne sont ni les armes du Hezbollah, ni la
barbarie de Daech, encore moins la tyrannie des Assad et le nucléaire
iranien, mais la loi de libéralisation
des loyers anciens. Au moment où le gouvernement libanais de Tammam Salam,
ainsi que le Parlement qui lui accorde la confiance, ne parvient même pas à
augmenter le salaire minimum libanais -qui s’élève à 450 $/mois sachant qu’un
abonnement électrique privé peut engloutir jusqu’à 150 $/mois pour quelques misérables
ampères, dans le pays des doubles factures au royaume du privé, où il n'existe aucune protection sociale digne de ce nom- aller comprendre par quelle bêtise, on a décidé de libéraliser les
loyers anciens.
La
libéralisation sauvage des loyers anciens au Liban, telle qu’elle a
été décidée par le Parlement libanais, malgré les rafistolages de la commission
parlementaire, aura de graves conséquences
au pays du Cèdre, dont voici les grandes lignes.
1. La violation
des droits séculaires des locataires libanais pour l’achat de leurs
appartements avec une décote (30 à 50 %), et à l’indemnisation en cas d’expulsion
(du même ordre),
contrairement à ce qui se pratiquait depuis des décennies en application des
lois libanaises en vigueur. Cette pratique de l’achat des appartements anciens
à moitié prix au Liban, s’approche des pratiques
françaises qui découlent de la loi de 1948 et qui concernent encore en 2015, plus de 200 000
foyers à Paris où le prix moyen du mètre carré se situe autour de 8 000 € et peut atteindre les 15 000 € dans certains quartiers. Rien
n’interdisait au Liban de continuer à suivre la France en matière du logement,
sauf la volonté politique et le lobbying des promoteurs, évidemment.
2. La
violation de la décision du Conseil constitutionnel qui a recommandé au gouvernement et aux députés
libanais d’établir le plan d’une véritable politique du logement qui doit
garantir aux Libanais le droit au logement, en précisant bien que celles-ci
devraient être mises en œuvre avant l’entrée en vigueur de la nouvelle
législation sur les locations. Il n’y a pas l’ombre d’un plan ! Pire encore,
la Caisse bidon qui devrait venir en
aide aux plus démunis, et qui ne concernera qu’une minorité des locataires
anciens, n’a même pas vu le jour. Et pour cause, on prévoit de la renflouer
avec les donations. Tabarrou3ett, une
première mondiale ! De toute façon, la caisse est amenée à disparaitre
dans 9 à 12 ans. Après, c’est la loi de la jungle en matière de logement au Liban.
3. L’expulsion
immédiate,
dès mercredi, sans indemnités, de
milliers de locataires, quel que soit leur revenu, en vertu d’une
interprétation biaisée de l’article 29
de la nouvelle loi, en refusant la transmission automatique du bail aux enfants
dont les parents locataires sont décédés après 1992.
4. L’augmentation
progressive des loyers pour des centaines de milliers de Libanais, jusqu’à 1 000
$/mois,
soit 12 000 $/ans, d’ici 5 ans.
5. L’expulsion
potentiellement programmée de presque la totalité des locataires anciens au
Liban, d’ici 9 ans, notamment des natifs de Beyrouth et de Tripoli, sans indemnités,
soit près d’un million de personnes au total, des logements qu’ils occupent
depuis des lustres. Les Libanais de la classe moyenne seront remplacés
par des gens de la classe aisée, libanaise et arabe, changeant radicalement le profil socio-économique de Beyrouth. L’exode
économique transcommunautaire sera amplifié par la présence de 1,5 million de réfugiés syriens. Il n’y
a plus un seul logement « bon marché » à louer sur tout le territoire libanais.
6. La ségrégation
sociale et spatiale des Libanais, ce qui est contraire au principe de la
Constitution libanaise, en renvoyant les locataires expulsés de la classe
moyenne, s’entasser dans les périphéries, dans le but de mettre la ville de Beyrouth (notamment ses beaux quartiers d’Achrafieh,
de Verdun, de Hamra, etc.), à la disposition des
promoteurs sans vergogne et de la classe aisée.
7. La destruction
totale du parc immobilier ancien, des immeubles de deux à six étages (la
majorité des immeubles anciens), et la construction
de tours d’une dizaine d’étages avec des appartements à vendre neufs à 3
000, 5 000 ou 10 000 $/m², aujourd’hui ou dans 9 ans, ou à louer à des prix
exorbitants, 1 500, 2 000 ou 2 500 $/mois. Avec la nouvelle loi, nous pouvons
donc dire adieu aux bâtiments à taille humaine à Beyrouth, à l’architecture
typique de la ville, aux immeubles aux trois arcs et à tout ce qui fait le
charme de la capitale libanaise.
8. Une
spéculation immobilière sauvage qui rendra Beyrouth inaccessible à la majorité
des Libanais, même ceux qui ne sont pas concernés par la loi de libéralisation des loyers anciens.
La loi de libéralisation des loyers anciens
a été votée par plus de 90 députés
libanais (sur 128), de toutes tendances politiques et appartenances communautaires
confondues. Parmi les défenseurs zélés,
on retrouve Robert Ghanem (Futur/Hariri), Samir el-Jisr (Futur/Hariri),
Neemtallah Abi-Nasr (CPL/Aoun) et Ghassan Moukheibir (CPL/Aoun). S'y opposent les députés des Kataeb
(Samy Gemayel, Nadim Gemayel, Elie Marouni, Fady Haber) et divers députés du 8M (Hagop Pakradounian/Tachnag, Kassem Hachem/Baath, Abdellatif Zein/bloc Berri), notamment
du Hezbollah (Nawaf Moussaoui, Walid Succariyé, Bilal Farhat) et du CPL (Ziad Assouad et
Elie Aoun). Les députés des Forces libanaises (Geagea) et du Parti socialiste
progressiste (Joumblatt) sont aux abonnés absents.
Si la libéralisation des locations
anciennes est mise en œuvre comme le souhaitent les promoteurs de la loi, le Liban devra se préparer à une véritable
catastrophe sociale, au plus grand exode transcommunautaire de son
histoire, à une défiguration du tissu urbain et social de Beyrouth et à un rejet de toute
la classe politique actuelle, notamment du Courant du Futur, des Forces
libanaises et du Courant patriotique libre, ceux qui se partagent la ville de Beyrouth sur le plan politique. Pour en savoir plus, rendez-vous ce soir sur New TV à 20h30, dans
l’émission de Rima Karaki, « Lel nacher ». Wajih Damerji, le Zorro des locataires, affrontera Joseph Zgheib,
le sergent Garcia des propriétaires, pour un débat passionné et passionnant.