Je sais depuis longtemps qu’on ne
peut pas parler d’écologie à quelqu’un
qui a du mal à joindre les deux bouts. Franchement, qu’est-ce que vous
voulez expliquer à une personne plongée dans des difficultés financières qui ne voit même pas que les arbres du trottoir qu'il prend tous les jours sont taillés en de ridicules boules décoratives alors qu’il suffoque
de la pollution ambiante et sa nuque est cramée sous un soleil de plomb ? Déjà ceux qui
joignent les deux bouts et refont le monde à longueur de colonne et de nappe, dans
une atmosphère air-conditionné, ne le remarquent pas. C’est pour vous dire,
peine perdue.
Je sais aussi qu’on ne peut pas proposer de l’eau à quelqu’un qui a faim.
Une affirmation valide à contresens. Même pas du San Pellegrino. Ni de brioche
d’ailleurs, si on tient à sa nuque, et à moins de 250 lieues de la Conciergerie de Paris.
Je sais également que quiconque perdu dans un désert, est prêt à
payer la canette de cola 33 $, alors qu’elle ne coûte que 1 $ en ville. Comme
quoi, la valeur des choses est toute relative. Tout dépend des besoins du moment
et des conditions de survie. Je sais encore que la sagesse libanaise a mille fois raison, 3asfour
bel 2id wala 3achra 3al chajra, mieux
vaut un oiseau dans la main que dix sur l'arbre, et qu’il est préférable enno néqol 3enab wala né2toul el natour,
manger du raisin que de tuer le gardien.
Enfin, sauf votre respect, wou bala toul siré, je me demande aujourd’hui, comment peut-on motiver 4,2 millions de
Libanais -notamment ces centaines de milliers de compatriotes en attente d’expulsion
de leurs logements ou condamnés par les députés à payer, progressivement dès le mois d’octobre,
1 000 $ de plus par mois pour y rester- à
s’intéresser un tant soit peu à l’enjeu de l’élection présidentielle au
Liban, une échéance électorale qui ne changera rien à leur vie quotidienne,
sachant de plus, que le président de la République libanaise, qui a perdu
toutes ses prérogatives avec l’Accord de Taëf, est élu au suffrage indirect par
les parlementaires ?
Tâche difficile, je l’avoue, voire mission impossible.
Ceci dit, je n’ai pas l’intention de
décourager Samir Geagea, le président du parti des Forces libanaises, dans sa
course à la présidence de la République. Son excellent programme, annoncé
aujourd’hui, poussera sans doute Michel Aoun, Boutros Harb, Ziad Baroud et les nombreux
prétendants non-déclarés au trône de la République, à emboiter le pas et à élaborer
des programmes ambitieux, au lieu de se contenter de quelques slogans creux comme
à l’accoutumée dans le passé. C’est déjà une excellente chose. Seule la compétition peut pousser
le niveau vers le haut, ou vers le bas d’ailleurs. Que le meilleur gagne,
serions-nous tentés de dire. Sauf que ce n’est pas comme ça que ça se passe au pays du Cèdre. Une entente politicienne préalable entre
les partis politiques libanais sous des directives syro-irano-saoudiennes à
peine voilées, désignera l’heureux élu. La procédure d’élection est purement
symbolique. Voilà pourquoi jusqu’à ce jour, et malgré le fait que la première
séance électorale est fixée au mercredi 23 avril, dans une semaine jour pour
jour, aucun parti politique n’a osé apporter son soutien à la candidature du chef
des FL, pas même son allié, le Futur, qui dit-on, depuis des mois, renoue les
contacts avec Michel Aoun, ennemi juré de Samir Geagea. Comprenne qui pourra.
Mais, à
supposer que les Libanais, ceux qui sont menacés d’expulsion à Beyrouth et
dans les autres régions libanaises, ainsi que les autres Libanais mécontents
pour mille et une raisons, daignent s’intéresser
aux candidatures de Samir Geagea, de Michel Aoun, d’Amine Gemayel, de
Boutros Harb, de Sleiman Frangié, de Ziad Baroud et même de Robert Ghanem (lol, cet énergumène est le rédacteur de
cette sinistre loi d’expulsion), qu’est-ce
qui leur prouve que tout ce qu’ils entendront et liront ici et là,
aujourd’hui ou demain, comme hier d’ailleurs, n’est pas que palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el7aké ?
Quel est
l’élément qui doit donner aux Libanais confiance dans leurs leaders et dans
l’avenir ? Est-ce le
sprint législatif honteux engagé depuis le 1er avril 2014, avec
la complicité des députés de Saad Hariri comme de Nabih Berri, de Samir Geagea
comme de Hassan Nasrallah, de Walid Joumblatt
comme de Michel Aoun, de Samy Gemayel comme de Sleiman Frangié ? On
voit bien que tout le monde se dépêche avant la tempête et la menace de blocage
de l’Etat libanais à cause de l’élection présidentielle et des hypothétiques élections législatives qui doivent lui succéder. « Nos » députés, tous sans exception, votent à la
hâte, sans véritable débat démocratique et sans état d’âme, les unes
après les autres, les lois les plus
injustes sur le plan social, comme la libéralisation des loyers anciens, qui
expulsera des centaines de milliers de personnes de la classe moyenne de leurs
logements, notamment à Beyrouth, et les
plus irresponsables sur le plan économique, comme la grille des salaires, qui
coûtera 2 milliards de dollars à un Etat au bord de la faillite, alors que le financement n'est même pas assuré. Les débats ont
été ajournés de 15 jours pour cela.
Comment peut-on
encore faire confiance à des candidats dont les députés ont avalisé à
l’unanimité svp, la libéralisation des loyers anciens, concoctée par Robert Ghanem & Co (bloc du Futur), qui ne sont pas capables de protéger femmes et enfants
des violences domestiques pour des prétextes bidon, impuissants pour débarrasser les Libanais de la loi électorale féodale
de 1960 et qui s’autorisent un allongement
de mandat d’un an et demi, faute de consensus sur une nouvelle loi
électorale, sans l’approbation du Conseil constitutionnel, mais qui n’abordent plus le sujet après le vote de l’autoprorogation
en juin dernier, il y a presqu'un an ? On croit rêver !
Comment peut-on
toujours faire confiance à des candidats dont les députés ne sont pas fichus de
voter le budget de l’Etat libanais depuis 2005, mais qui se sont
entendus pour augmenter leurs salaires et prévoir des milliards de dollars de
dépenses supplémentaires, on en est à 6 milliards en quelques jours, dans un pays endetté à hauteur de
64 milliards de dollars et qui accueille 1,5 million de réfugiés syriens, avec
de misérables aides de la part de la communauté internationale ? Le Liban est au bord du dépôt de bilan à
cause de l’incompétence de ses responsables politiques, toutes tendances
politiques et appartenances communautaires confondues.
Faute de
réponses concrètes aux attentes légitimes du peuple libanais, tout n’est que
palabres, vanité et poursuite de vent, pour les gens de la classe moyenne. Autant leur parler du sexe des anges, voire du nouveau taboulé « in », où le persil et la menthe sont
remplacés par les feuilles fraiches de cannabis. On pourrait même virer le yansounn national (graines d’anis vert), et
promouvoir les infusions de marijuana du
pays, sous la marque « classe », Marie-Jeanne
de la Bekaa. Le cannabis sauvera donc le Liban de la banqueroute. Et
pourquoi pas, puisque la culture ancestrale de hachichit el keif pourrait être sérieusement légalisée pour financer la hausse des salaires
des fonctionnaires libanais. Un politicien l’a même proposé. Tenez, on pourra même
indemniser les locataires anciens. A défaut, elle permettrait d’oublier l’incompétence des députés
libanais. De toute façon, ils ne sont plus à une stupidité près. Quand ceux qui sont censés représenter le peuple et défendre ses intérêts, cessent de remplir leurs fonctions, il est du devoir des citoyens de les licencier et de les remplacer. Je pense aux 128 députés libanais sans exception. Aucun ne mérite de retrouver son siège à la prochaine législature. Préparons nos candidatures. Ne vous inquiétez pas, on ne pourra pas faire pire !
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