Ce que je m’apprête à vous conter est inspiré fidèlement d’une histoire vraie qui s’est déroulée ces derniers jours dans notre contrée d’Orient avec un dénommé Wary Fox. Nooon, ce n’est pas en rapport avec l’incident survenu dans le Mont-Liban. Oubliez Gebrane Bassil, au moins pour l'instant. Au fait, nooon, ne l’oubliez pas du tout, parce que c'est en partie de sa faute. Les autres politiques ne sont pas en reste, ils partagent pleinement cette responsabilité.
Wary Fox vient de perdre son réfrigérateur après cinq années de bons et loyaux services. Cela fait des mois que l’appareil tente de reste actif et digne de la marque qu’il représente, Blomberg. Mais à quel prix ! Ses signaux de détresse ont créé un boucan d’enfer qui a agacé tout un quartier de Beyrouth. Et pourtant, quand il l’a acheté, le renard n’a pas résigné sur le prix, il voulait de la qualité et de la durée. Ce fut une grave erreur, la première du genre. Il croyait bonnement qu’un bon appareil résistera mieux aux aléas techniques. Où ça ? Au Liban, hehehe. Raté.
En toute logique et toute confiance, il a commencé sa mésaventure de réparation en appelant le vendeur, un grec-orthodoxe de Beyrouth qui a encore un réseau social à l’ancienne. Sans-façon et sans nuance il lui a conseillé d’emblée de ne pas se compliquer la vie car comme on dit, kholso zeitéto lal berrad (il n'a plus d’huile). Il vaut mieux acheter un nouveau, la réparation serait compliquée et couteuse. Bon, disons que c'est la musique classique qu'on entend dans tous les commerces.
Un coup de fil plus tard, un ami lui donne le numéro d’un excellent technicien arménien de Bourj Hammoud, qui fait le déplacement aussitôt. A peine arrivé, le diagnostic tombe. Le compresseur est foutu, il faut le remplacer. L’ennui c’est qu’a priori, on ne trouve pas ce type de compresseur au Liban, le R600. Au pays du Cèdre, il n’y a à priori que du R134. Et ce n’est pas tout. Le technicien arménien ne garantit pas le fonctionnement normal du réfrigérateur avec le remplacement du R600 par du R134. Génial. Il lui conseille d’investir dans un nouveau réfrigérateur ou de contacter un autre technicien qui accepterait de le faire, une certaine déontologie l’empêche d'accomplir cette sale besogne. Commercial quand même, mais avec plus de subtilité.
A ce stade, l’idée est inenvisageable pour Wary Fox. D’une part, parce qu’il est méfiant et il connait bien ses congénères, et d’autre part, parce qu’il est soucieux de son environnement. Jeter un appareil qui a l’air neuf est un crime contre la nature. Un coup de fil plus tard, on lui conseille un pro en haute montagne. Tout le monde jure par lui. Wary Fox s’arme de patience et se met en route. Deux heures d’embouteillage plus tard, le technicien maronite lui affirme, sans voir le réfrigérateur, que tout ce qu'on lui a dit est faux et qu’en principe, le remplacement du compresseur R600 par un autre du type R134 fonctionne très bien à condition de veiller à changer toute la tuyauterie de refroidissement qui va avec. Notez la nouvelle expression du génie commercial libanais et ne perdez par le nord, Wary Fox est déjà au 3e avis.
Méfiant comme il est, il décide d’aller chez un grand vendeur d’électroménagers, Khoury Home. Le conseiller chiite, comme son compatriote orthodoxe, lui conseille d'office de ne pas se compliquer la vie et lui certifie qu’il n’y a aucun problème de mettre un R134 à la place d’un R600 puisqu’ils le font tout le temps, blablabla et patati et patata. Pas besoin de test d'ADN, ce technicien est surement originaire de Tyr et il a des gènes phéniciens.
Wary Fox est retourné dans son terrier d’Achrafieh profondément triste et tourmenté. Quatre avis techniques divergents et contradictoires pour une panne de réfrigérateur dont l'origine est parfaitement identifié. Triste mais content d'avoir enfin compris avec un simple appareil électroménager pourquoi rien absolument rien ne fonctionne normalement dans son pays. A qui des techniciens-conseillers doit-il faire confiance, à l’orthodoxe, l’arménien, le maronite ou le chiite ? Par souci d'unité nationale et pour avoir le cœur net, il s'est décidé d'étendre ses consultations vers le quartier de Basta et la région du Chouf, pour voir un conseiller sunnite et un technicien druze, maintenant qu'il a la preuve que la vie au Liban n'est que panne, farce et résilience.
Au Liban, on importe des appareils électroménagers sans les pièces détachées pour les réparer. Soit. Au pays du Cèdre, on a des techniciens qui ne maitrisent pas vraiment leur domaine de travail. Soit, aussi. Dans notre pays, la malhonnêteté est monnaie courante. Soit, également. Mais ce que je ne comprends pas, c’est cette majorité de Libanais qui s’est acclimatée si bien aux problèmes, qu’elle a oublié l’essentiel. Wary Fox n’est pas le seul Libanais en panne, loin de là. Réfrigérateur, lave-linge, lave-vaisselle, ordinateur, télévision, voiture électrique, smartphone, batteries, climatiseur, et j’en passe et des meilleurs. Le cimetière des appareils électroménagers et électroniques au Liban est jonché de victimes innocentes mis hors d'usage prématurément à cause d'une classe politique défaillante.
Tous ces appareils souvent de grandes marques ne rendent l’âme au pays du Cèdre que parce que dans notre pays, les dirigeants n’ont pas été fichus, 30 ans après la fin de la guerre civile, à assurer aux Libanais une électricité de qualité 24h/24. Les coupures intempestives et un courant électrique d’une qualité médiocre ont raison des meilleurs appareils électroménagers et électroniques du monde.
Et dire, qu'on a osé imaginer une centrale nucléaire pour résoudre le problème électrique au Liban ! Ah si, l'ex-ministre libanais de la Défense, Yacoub Sarraf, a évoqué le sujet sur mon mur, en octobre dernier, suite à la polémique autour de l'offre Siemens. « Le président Hollande était venu avec la brillante PDG d'AREVA et elle avait proposé à l'époque une offre pour une centrale nucléaire qui couvrirait tous nos besoins pour les 50 ans à venir. » On croit rêver devant autant de naïveté. Ce n'est pas possible, des responsables libanais lui ont soufflé l'idée à l'oreille, j'en suis persuadé. Quoique, avec Hollande, on ne sait jamais.
Dans tous les cas de figure, comme depuis onze ans, le ministère de l’Energie est entre les mains du Courant patriotique libre, je conseille à Wary Fox et à ses amis de la jungle libanaise, d’envoyer désormais leurs factures au plus illustre des ministres qui ont totalement foiré leurs missions ministérielles, Gebrane Bassil.
Toujours est-il qu’aujourd’hui, à la fraiche vers 18h, le conseil municipal de Beyrouth s’est réuni en grande pompe pour débattre d’un dossier important qui, s’il est mené à bien, achèvera ce qui reste de la qualité de vie des Libanais en général et des Beyrouthins en particulier. Les conseillers municipaux guidés par Jamal Itani sont déterminés ni plus ni moins à installer un incinérateur d’ordures ménagères à Beyrouth. Ils vont allouer un budget pour cela et décideront de la façon de procéder pour financer leur projet sordide. Il y aura sans doute beaucoup d’argent des gentils contribuables libanais et peut-être des dons des gentils contribuables arabes et occidentaux, et bien sûr, l’argent de l’incontournable « majliss el enme2 wal e3mar wel tekhrib », qui est déjà à l’œuvre pour détruire la magnifique prairie de Marj Basri au Sud-Liban pour y construire un aberrant barrage dans un pays qui fuit de partout et qui n'a pas de compteurs d'eau ! Enfin bref, nous serons face à un extraordinaire gaspillage de l’argent public, dans le but de construire une usine qui aura forcément un impact négatif sur l’environnement et la santé humaine. C’est un comble.
La municipalité de Beyrouth s’apprête aussi à demander au Conseil des ministres de mettre à sa disposition 60 000 m2 pour y construire son incinérateur d’ordures ménagères. Ah tiens, où va-t-on trouver une telle surface vacante sur le territoire qui dépend de la municipalité de la capitale ? Nulle part, enfin si. Faisons court, de trois choses l’une : du côté de la Quarantaine, un secteur pestilentiel qui incommode les Beyrouthins de jour comme de nuit tout au long de l’année, du côté du Bois des Pins, dont le bétonnage progresse à vue d’œil, ou pourquoi pas, sur le territoire d’une autre municipalité en dehors du périmètre administratif de la ville.
Et ce n’est pas tout. La municipalité de Beyrouth s’apprête à demander au gouvernement libanais d’autoriser le ministère de l’Energie à racheter l’électricité produite dans la future usine de traitement des déchets. La meilleure ! D’ailleurs, c’est l’argument de vente de ce projet toxique aux Libanais. Là où le monde entier investit massivement dans l’énergie propre, durable et renouvelable, au Liban les (ir)responsables comptent sur les ordures ménagères pour produire de l’électricité 24h/24, tout en continuant à gaspiller l’argent public sur l’aberrante idée des centrales flottantes ! Le génie libanais encore à l’action.
Et le pire est comme toujours pour la fin. La municipalité de Beyrouth est sur le point de s’octroyer le droit de conclure ce marché sans passer ni par un appel d’offres (procédure jugée trop longue) ni par un appel à candidatures (procédure jugée contraignante). Comme ça, à la tête du client, de gré à gré. Ahhh la liberté d’action n’a pas de prix ! Justement. Un mot s’impose, we2’7inn, ils sont sans-gênes.
Si le projet d’incinérateur de la municipalité de Beyrouth voit le jour, jusqu’à 200 tonnes de déchets pourraient être brûlés chaque jour aux nez des Libanais en général et des Beyrouthins en particulier. L’incinérateur de la capitale fera naturellement des bébés, un peu partout au Liban. Alors que le pays du Cèdre est déjà un des pays les plus pollués au monde, comme je l’ai dénoncé dans un article récent, notamment par le dioxyde d’azote (le gaz brun-rouge à l’horizon, produit par les voitures, les moteurs, les usines, etc. !), avec les incinérateurs nous pourront devenir les champions du monde, notamment pour la production de dioxines. Remarquez l’avantage d’une telle situation, c’est que la municipalité de Beyrouth sera dispensée à l’avenir de pulvériser toutes les rues de la ville avec ses insecticides, un scandale que j’ai dénoncé également. Ah soyez certains, qui veut laisser le Liban dans un meilleur état que celui dans lequel il l'a trouvé, ne chômera pas !
On vous dira évidemment qu’il y aura des « filtres », qu’on sera dans les « normes » et que nous ferons comme en « Suède ». Foutaises. Nous vivons dans un pays négligeant au plus haut degré, où les normes ne sont jamais respectées, rongé par la corruption, ravagé par l’incompétence, guidé par l’ignorance, surendetté à hauteur de 150 % de son PIB, ayant une densité humaine général de près de 600 habitants par km2 (sachant qu’une grande partie du territoire libanais n’est pas habité), alors qu'ils nous disent comment peuvent-ils imaginer dans ces conditions que les incinérateurs libanais seront gérés comme les incinérateurs suédois ?
Si je me suis étalé dans l’introduction sur les aventures de Wary Fox, ce n'est pas seulement pour amuser la galerie, mais c’est pour souligner l’incapacité congénitale que nous avons au Liban à résoudre les plus simples des problèmes : fournir un courant électrique continu de qualité aux citoyens et assurer une vie convenable à un appareil électroménager, de son importation, à sa maintenance et à sa mise au rebut.
Retournons aux affaires. La municipalité de Beyrouth tente depuis un an déjà, la dernière fois il y a un peu plus d’un mois, d’affecter 83 900 $ HT, de l’argent des contribuables, à la société de com’ « Noise » qui travaille depuis des années pour redorer le blason de la municipalité (dans le cadre d’un contrat obtenu de gré à gré !), pour produire un film documentaire de 15 minutes, au Liban et en France, afin de « mettre en lumière les solutions suivies (à l’étranger) pour transformer les déchets en énergie ». Affligeant. Ils auraient mieux fait de commander un documentaire sur le tri des ordures ménagères en Suisse par exemple où tout est trié jusqu’à l’huile de friture par les gens eux-mêmes qui se rendent avec leurs déchets, en voiture, dans des centres spécialement dédiés à cet effet. Mais justement, et c’est là où le bât blesse, le tri n’intéresse pas la municipalité de Beyrouth, pas plus qu’il n’intéresse le ministère de l’Environnement et même le gouvernement libanais.
Une loi votée en automne 2018 a imposé à ces deux derniers d’élaborer avant le printemps 2019 une « stratégie nationale » pour assurer une bonne gestion des ordures ménagères qui se base notamment sur le « tri à la source » et le respect des « normes environnementales ». Autant pisser dans un violon et aller prêcher dans le désert, ils n’ont rien fait de tout cela. Pas encore, on vous dira. Mais voyons, pourquoi se presser, la crise des déchets n’a que quatre ans !
A vrai dire, en réfléchissant bien, il y a clairement une cohérence dans le jeu de rôle entre la municipalité de Beyrouth et le gouvernement libanais. A quoi serviront les incinérateurs de demain si nous commençons à trier nos déchets ? A rien, ce n’est pas rentable pour les rapaces d’investisseurs. Comment voulez-vous produire de l’électricité ? Ma3 kéchirr el batata, wel leimoun, wel battikh ? Avec les épluchures des pommes de terre, des oranges et des pastèques ? Mais non voyons ! Il faut des cartons, du plastique et même des pneus. Les Libanais doivent le savoir, les incinérateurs des déchets en tout genre et le tri-recyclage des ordures ménagères sont incompatibles, l’un doit l’emporter sur l’autre. Hélas, la municipalité de Beyrouth et le gouvernement semblent privilégier la première solution au détriment de la seconde. Il est encore temps d’agir pour inverser la tendance. Mais il est urgent de le faire savoir haut et fort car le jour viendra où il sera demandé aux Libanais de faire un effort dans la surconsommation pour produire plus de déchets, afin d’alimenter les montres qu’ils ont créé, les fourneaux des incinérateurs installés aux quatre coins du territoire libanais. Cette solution de facilité est morbide. Elle aura un cout exorbitant sur l’environnement, l’écosystème et la santé humaine au Liban. Nous perdrons ce qui nous reste comme qualité de vie pour ne gagner au final que qu’une explosion des maladies respiratoires et cardiovasculaires et des cas de cancers.
Pour une gestion saine, responsable et durable des déchets, nous devons :
. Primo, prendre conscience que notre belle Planète bleue, la Perle de l'Univers, est dans un état lamentable à cause des activités de la plus stupide espèce que la Terre a jamais connu en 4,5 milliards d’années : pollution environnementale (« responsable de 8,8 millions de morts prématurées par an dans le monde »), changement climatique conduisant à des vagues de grand froid et de fortes chaleurs (« en l'absence de réduction drastique des émissions de CO2, jusqu'à 75 % des habitants de la planète pourraient être victimes de vagues de chaleur meurtrières à l'horizon 2100 »), sixième extension des espèces (100 fois plus dévastatrice que celles d’avant où « 75% des espèces animales sont vouées à disparaître durant les siècles à venir »), épuisement des ressources renouvelables annuelles de la Terre (« Jour du dépassement : à partir du 10 mai, l'Union européenne a épuisé toutes ses ressources annuelles », on ne parle pas des Etats-Unis !), etc.
. Secundo, recycler tous les déchets produits sur Terre. C’est la solution la moins chère et la plus saine, pour l’environnement et pour la santé humaine, à condition que les pouvoirs publics le veuillent bien et que les citoyens fassent des efforts. Je l’ai expliqué dans un article dans le passé en prenant l’exemple d’une commune en Suisse. Il faut que les très riches municipalités libanaises aménagent de nombreux terrains pour y installer des bennes de recyclage, pour tout, à charge des citoyens de ramener les déchets à recycler, et d’acheminer régulièrement les matières à recycler vers les sociétés spécialisées.
. Tertio, réduire la production de déchets par tous les moyens possibles et imaginables. Sans la réduction de notre train de vie, on ne s’en sortira jamais. C’est valable pour l’argent comme pour l’eau, l’électricité et les ordures ménagères.
Avant qu’il ne soit trop tard, disons NON aux incinérateurs d’ordures ménagères au Liban, OUI au recyclage et à la réduction du volume des déchets. Personnellement, je suis carrément pour la décroissance au niveau mondial. Sinon, nous devons nous préparer à assumer les conséquences morbides de l’installation de ces fourneaux en bas de nos fenêtres.
Incinérateur de déchets à Strasbourg Photo Antoine Taveneaux (Wikimedia Commons 2006) |
Wary Fox vient de perdre son réfrigérateur après cinq années de bons et loyaux services. Cela fait des mois que l’appareil tente de reste actif et digne de la marque qu’il représente, Blomberg. Mais à quel prix ! Ses signaux de détresse ont créé un boucan d’enfer qui a agacé tout un quartier de Beyrouth. Et pourtant, quand il l’a acheté, le renard n’a pas résigné sur le prix, il voulait de la qualité et de la durée. Ce fut une grave erreur, la première du genre. Il croyait bonnement qu’un bon appareil résistera mieux aux aléas techniques. Où ça ? Au Liban, hehehe. Raté.
En toute logique et toute confiance, il a commencé sa mésaventure de réparation en appelant le vendeur, un grec-orthodoxe de Beyrouth qui a encore un réseau social à l’ancienne. Sans-façon et sans nuance il lui a conseillé d’emblée de ne pas se compliquer la vie car comme on dit, kholso zeitéto lal berrad (il n'a plus d’huile). Il vaut mieux acheter un nouveau, la réparation serait compliquée et couteuse. Bon, disons que c'est la musique classique qu'on entend dans tous les commerces.
Un coup de fil plus tard, un ami lui donne le numéro d’un excellent technicien arménien de Bourj Hammoud, qui fait le déplacement aussitôt. A peine arrivé, le diagnostic tombe. Le compresseur est foutu, il faut le remplacer. L’ennui c’est qu’a priori, on ne trouve pas ce type de compresseur au Liban, le R600. Au pays du Cèdre, il n’y a à priori que du R134. Et ce n’est pas tout. Le technicien arménien ne garantit pas le fonctionnement normal du réfrigérateur avec le remplacement du R600 par du R134. Génial. Il lui conseille d’investir dans un nouveau réfrigérateur ou de contacter un autre technicien qui accepterait de le faire, une certaine déontologie l’empêche d'accomplir cette sale besogne. Commercial quand même, mais avec plus de subtilité.
A ce stade, l’idée est inenvisageable pour Wary Fox. D’une part, parce qu’il est méfiant et il connait bien ses congénères, et d’autre part, parce qu’il est soucieux de son environnement. Jeter un appareil qui a l’air neuf est un crime contre la nature. Un coup de fil plus tard, on lui conseille un pro en haute montagne. Tout le monde jure par lui. Wary Fox s’arme de patience et se met en route. Deux heures d’embouteillage plus tard, le technicien maronite lui affirme, sans voir le réfrigérateur, que tout ce qu'on lui a dit est faux et qu’en principe, le remplacement du compresseur R600 par un autre du type R134 fonctionne très bien à condition de veiller à changer toute la tuyauterie de refroidissement qui va avec. Notez la nouvelle expression du génie commercial libanais et ne perdez par le nord, Wary Fox est déjà au 3e avis.
Méfiant comme il est, il décide d’aller chez un grand vendeur d’électroménagers, Khoury Home. Le conseiller chiite, comme son compatriote orthodoxe, lui conseille d'office de ne pas se compliquer la vie et lui certifie qu’il n’y a aucun problème de mettre un R134 à la place d’un R600 puisqu’ils le font tout le temps, blablabla et patati et patata. Pas besoin de test d'ADN, ce technicien est surement originaire de Tyr et il a des gènes phéniciens.
Wary Fox est retourné dans son terrier d’Achrafieh profondément triste et tourmenté. Quatre avis techniques divergents et contradictoires pour une panne de réfrigérateur dont l'origine est parfaitement identifié. Triste mais content d'avoir enfin compris avec un simple appareil électroménager pourquoi rien absolument rien ne fonctionne normalement dans son pays. A qui des techniciens-conseillers doit-il faire confiance, à l’orthodoxe, l’arménien, le maronite ou le chiite ? Par souci d'unité nationale et pour avoir le cœur net, il s'est décidé d'étendre ses consultations vers le quartier de Basta et la région du Chouf, pour voir un conseiller sunnite et un technicien druze, maintenant qu'il a la preuve que la vie au Liban n'est que panne, farce et résilience.
Au Liban, on importe des appareils électroménagers sans les pièces détachées pour les réparer. Soit. Au pays du Cèdre, on a des techniciens qui ne maitrisent pas vraiment leur domaine de travail. Soit, aussi. Dans notre pays, la malhonnêteté est monnaie courante. Soit, également. Mais ce que je ne comprends pas, c’est cette majorité de Libanais qui s’est acclimatée si bien aux problèmes, qu’elle a oublié l’essentiel. Wary Fox n’est pas le seul Libanais en panne, loin de là. Réfrigérateur, lave-linge, lave-vaisselle, ordinateur, télévision, voiture électrique, smartphone, batteries, climatiseur, et j’en passe et des meilleurs. Le cimetière des appareils électroménagers et électroniques au Liban est jonché de victimes innocentes mis hors d'usage prématurément à cause d'une classe politique défaillante.
Tous ces appareils souvent de grandes marques ne rendent l’âme au pays du Cèdre que parce que dans notre pays, les dirigeants n’ont pas été fichus, 30 ans après la fin de la guerre civile, à assurer aux Libanais une électricité de qualité 24h/24. Les coupures intempestives et un courant électrique d’une qualité médiocre ont raison des meilleurs appareils électroménagers et électroniques du monde.
Une centrale nucléaire au Liban! |
Dans tous les cas de figure, comme depuis onze ans, le ministère de l’Energie est entre les mains du Courant patriotique libre, je conseille à Wary Fox et à ses amis de la jungle libanaise, d’envoyer désormais leurs factures au plus illustre des ministres qui ont totalement foiré leurs missions ministérielles, Gebrane Bassil.
Monticule d'ordures ménagères dans le quartier d’Achrafieh à Beyrouth, lors de la crise des déchets en 2015 (Photo Wary Fox) |
Toujours est-il qu’aujourd’hui, à la fraiche vers 18h, le conseil municipal de Beyrouth s’est réuni en grande pompe pour débattre d’un dossier important qui, s’il est mené à bien, achèvera ce qui reste de la qualité de vie des Libanais en général et des Beyrouthins en particulier. Les conseillers municipaux guidés par Jamal Itani sont déterminés ni plus ni moins à installer un incinérateur d’ordures ménagères à Beyrouth. Ils vont allouer un budget pour cela et décideront de la façon de procéder pour financer leur projet sordide. Il y aura sans doute beaucoup d’argent des gentils contribuables libanais et peut-être des dons des gentils contribuables arabes et occidentaux, et bien sûr, l’argent de l’incontournable « majliss el enme2 wal e3mar wel tekhrib », qui est déjà à l’œuvre pour détruire la magnifique prairie de Marj Basri au Sud-Liban pour y construire un aberrant barrage dans un pays qui fuit de partout et qui n'a pas de compteurs d'eau ! Enfin bref, nous serons face à un extraordinaire gaspillage de l’argent public, dans le but de construire une usine qui aura forcément un impact négatif sur l’environnement et la santé humaine. C’est un comble.
La municipalité de Beyrouth s’apprête aussi à demander au Conseil des ministres de mettre à sa disposition 60 000 m2 pour y construire son incinérateur d’ordures ménagères. Ah tiens, où va-t-on trouver une telle surface vacante sur le territoire qui dépend de la municipalité de la capitale ? Nulle part, enfin si. Faisons court, de trois choses l’une : du côté de la Quarantaine, un secteur pestilentiel qui incommode les Beyrouthins de jour comme de nuit tout au long de l’année, du côté du Bois des Pins, dont le bétonnage progresse à vue d’œil, ou pourquoi pas, sur le territoire d’une autre municipalité en dehors du périmètre administratif de la ville.
Et ce n’est pas tout. La municipalité de Beyrouth s’apprête à demander au gouvernement libanais d’autoriser le ministère de l’Energie à racheter l’électricité produite dans la future usine de traitement des déchets. La meilleure ! D’ailleurs, c’est l’argument de vente de ce projet toxique aux Libanais. Là où le monde entier investit massivement dans l’énergie propre, durable et renouvelable, au Liban les (ir)responsables comptent sur les ordures ménagères pour produire de l’électricité 24h/24, tout en continuant à gaspiller l’argent public sur l’aberrante idée des centrales flottantes ! Le génie libanais encore à l’action.
Et le pire est comme toujours pour la fin. La municipalité de Beyrouth est sur le point de s’octroyer le droit de conclure ce marché sans passer ni par un appel d’offres (procédure jugée trop longue) ni par un appel à candidatures (procédure jugée contraignante). Comme ça, à la tête du client, de gré à gré. Ahhh la liberté d’action n’a pas de prix ! Justement. Un mot s’impose, we2’7inn, ils sont sans-gênes.
Ordre du jour du Conseil municipal de Beyrouth pour le 4 juillet 2019, tel qu'il a été publié par la députée Paula Yacoubian, il y a quelques jours |
Si le projet d’incinérateur de la municipalité de Beyrouth voit le jour, jusqu’à 200 tonnes de déchets pourraient être brûlés chaque jour aux nez des Libanais en général et des Beyrouthins en particulier. L’incinérateur de la capitale fera naturellement des bébés, un peu partout au Liban. Alors que le pays du Cèdre est déjà un des pays les plus pollués au monde, comme je l’ai dénoncé dans un article récent, notamment par le dioxyde d’azote (le gaz brun-rouge à l’horizon, produit par les voitures, les moteurs, les usines, etc. !), avec les incinérateurs nous pourront devenir les champions du monde, notamment pour la production de dioxines. Remarquez l’avantage d’une telle situation, c’est que la municipalité de Beyrouth sera dispensée à l’avenir de pulvériser toutes les rues de la ville avec ses insecticides, un scandale que j’ai dénoncé également. Ah soyez certains, qui veut laisser le Liban dans un meilleur état que celui dans lequel il l'a trouvé, ne chômera pas !
On vous dira évidemment qu’il y aura des « filtres », qu’on sera dans les « normes » et que nous ferons comme en « Suède ». Foutaises. Nous vivons dans un pays négligeant au plus haut degré, où les normes ne sont jamais respectées, rongé par la corruption, ravagé par l’incompétence, guidé par l’ignorance, surendetté à hauteur de 150 % de son PIB, ayant une densité humaine général de près de 600 habitants par km2 (sachant qu’une grande partie du territoire libanais n’est pas habité), alors qu'ils nous disent comment peuvent-ils imaginer dans ces conditions que les incinérateurs libanais seront gérés comme les incinérateurs suédois ?
Si je me suis étalé dans l’introduction sur les aventures de Wary Fox, ce n'est pas seulement pour amuser la galerie, mais c’est pour souligner l’incapacité congénitale que nous avons au Liban à résoudre les plus simples des problèmes : fournir un courant électrique continu de qualité aux citoyens et assurer une vie convenable à un appareil électroménager, de son importation, à sa maintenance et à sa mise au rebut.
Retournons aux affaires. La municipalité de Beyrouth tente depuis un an déjà, la dernière fois il y a un peu plus d’un mois, d’affecter 83 900 $ HT, de l’argent des contribuables, à la société de com’ « Noise » qui travaille depuis des années pour redorer le blason de la municipalité (dans le cadre d’un contrat obtenu de gré à gré !), pour produire un film documentaire de 15 minutes, au Liban et en France, afin de « mettre en lumière les solutions suivies (à l’étranger) pour transformer les déchets en énergie ». Affligeant. Ils auraient mieux fait de commander un documentaire sur le tri des ordures ménagères en Suisse par exemple où tout est trié jusqu’à l’huile de friture par les gens eux-mêmes qui se rendent avec leurs déchets, en voiture, dans des centres spécialement dédiés à cet effet. Mais justement, et c’est là où le bât blesse, le tri n’intéresse pas la municipalité de Beyrouth, pas plus qu’il n’intéresse le ministère de l’Environnement et même le gouvernement libanais.
Une loi votée en automne 2018 a imposé à ces deux derniers d’élaborer avant le printemps 2019 une « stratégie nationale » pour assurer une bonne gestion des ordures ménagères qui se base notamment sur le « tri à la source » et le respect des « normes environnementales ». Autant pisser dans un violon et aller prêcher dans le désert, ils n’ont rien fait de tout cela. Pas encore, on vous dira. Mais voyons, pourquoi se presser, la crise des déchets n’a que quatre ans !
A vrai dire, en réfléchissant bien, il y a clairement une cohérence dans le jeu de rôle entre la municipalité de Beyrouth et le gouvernement libanais. A quoi serviront les incinérateurs de demain si nous commençons à trier nos déchets ? A rien, ce n’est pas rentable pour les rapaces d’investisseurs. Comment voulez-vous produire de l’électricité ? Ma3 kéchirr el batata, wel leimoun, wel battikh ? Avec les épluchures des pommes de terre, des oranges et des pastèques ? Mais non voyons ! Il faut des cartons, du plastique et même des pneus. Les Libanais doivent le savoir, les incinérateurs des déchets en tout genre et le tri-recyclage des ordures ménagères sont incompatibles, l’un doit l’emporter sur l’autre. Hélas, la municipalité de Beyrouth et le gouvernement semblent privilégier la première solution au détriment de la seconde. Il est encore temps d’agir pour inverser la tendance. Mais il est urgent de le faire savoir haut et fort car le jour viendra où il sera demandé aux Libanais de faire un effort dans la surconsommation pour produire plus de déchets, afin d’alimenter les montres qu’ils ont créé, les fourneaux des incinérateurs installés aux quatre coins du territoire libanais. Cette solution de facilité est morbide. Elle aura un cout exorbitant sur l’environnement, l’écosystème et la santé humaine au Liban. Nous perdrons ce qui nous reste comme qualité de vie pour ne gagner au final que qu’une explosion des maladies respiratoires et cardiovasculaires et des cas de cancers.
Pour une gestion saine, responsable et durable des déchets, nous devons :
. Primo, prendre conscience que notre belle Planète bleue, la Perle de l'Univers, est dans un état lamentable à cause des activités de la plus stupide espèce que la Terre a jamais connu en 4,5 milliards d’années : pollution environnementale (« responsable de 8,8 millions de morts prématurées par an dans le monde »), changement climatique conduisant à des vagues de grand froid et de fortes chaleurs (« en l'absence de réduction drastique des émissions de CO2, jusqu'à 75 % des habitants de la planète pourraient être victimes de vagues de chaleur meurtrières à l'horizon 2100 »), sixième extension des espèces (100 fois plus dévastatrice que celles d’avant où « 75% des espèces animales sont vouées à disparaître durant les siècles à venir »), épuisement des ressources renouvelables annuelles de la Terre (« Jour du dépassement : à partir du 10 mai, l'Union européenne a épuisé toutes ses ressources annuelles », on ne parle pas des Etats-Unis !), etc.
. Secundo, recycler tous les déchets produits sur Terre. C’est la solution la moins chère et la plus saine, pour l’environnement et pour la santé humaine, à condition que les pouvoirs publics le veuillent bien et que les citoyens fassent des efforts. Je l’ai expliqué dans un article dans le passé en prenant l’exemple d’une commune en Suisse. Il faut que les très riches municipalités libanaises aménagent de nombreux terrains pour y installer des bennes de recyclage, pour tout, à charge des citoyens de ramener les déchets à recycler, et d’acheminer régulièrement les matières à recycler vers les sociétés spécialisées.
Il y a toujours un emplacement pour n’importe quel produit recyclable. Laax / Grisons (Suisse) |
Recyclage du textile et du bois à Laax / Grisons (Suisse) |
. Tertio, réduire la production de déchets par tous les moyens possibles et imaginables. Sans la réduction de notre train de vie, on ne s’en sortira jamais. C’est valable pour l’argent comme pour l’eau, l’électricité et les ordures ménagères.
Avant qu’il ne soit trop tard, disons NON aux incinérateurs d’ordures ménagères au Liban, OUI au recyclage et à la réduction du volume des déchets. Personnellement, je suis carrément pour la décroissance au niveau mondial. Sinon, nous devons nous préparer à assumer les conséquences morbides de l’installation de ces fourneaux en bas de nos fenêtres.