D'abord ils sont quatorze
et non dix ! Il est déjà là le premier manquement. On
a tout simplement oublié de joindre au cortège funèbre, même
symboliquement, les deux militaires libanais décapités
par les terroristes de Daech/Etat islamique, et les deux
soldats libanais exécutés par balle
par les terroristes de Fateh-Cham/Front al-Nosra, peu de
temps après leur enlèvement en août 2014, les quatre tués avec barbarie
en captivité aussi. En tout cas, le Liban rend aujourd'hui
un dernier hommage à dix soldats libanais exécutés
en captivité par l'organisation terroriste Daech, en février
2015 a priori, après leur enlèvement en août 2014, et dont les
restes ont été ramenés aux familles et à la nation, au cours de
l'opération menée par l'armée libanaise, Fajr el-Jouroud, qui
s'est achevée le 27 août 2017. La cérémonie s'est déroulée au
ministère de la Défense, en présence de Michel Aoun, Saad Hariri
et Nabih Berri, respectivement président de la République, premier
ministre et président du Parlement.
Dernier hommage du Liban aux soldats de l'armée libanaise exécutés par Daech Ministère de la Défense. Photo Marwan Assaf |
On me le reprochera sans
doute, mais j'y tiens quand même. Les quatorze militaires
libanais exécutés en captivité par les deux organisations
terroristes à dominante syrienne, sont tous de confession musulmane. Les militaires de confession chrétienne
kidnappés le même jour, ont été libérés ultérieurement.
Accordez à cette info l'importance que vous voulez, mais j'ai tenu à
vous en faire part. Par les temps qui courent dans nos contrées
d'Orient, ça pourrait mettre les pendules à l'heure dans certains
esprits.
Les tests ADN étant
formels, les familles des militaires kidnappés et exécutés
pourront en conséquence enterrer leurs fils et commencer leur deuil.
Certes, la nation les accompagnera, avec sincérité et des
chaudes larmes pour les uns et hypocrisie et des larmes de crocodile pour les autres. Mais, pour les uns et les autres, le deuil de la
nation ne durera que la journée, alors que celui des familles, une
éternité.
En dépit de la solennité
de l'événement et de l'affliction de circonstance, cet hommage
est manqué car il n'est pas accompagné d'une réflexion profonde à la hauteur du sacrifice de ces jeunes
militaires. On les tuera deux fois si nous ne posons pas aujourd'hui
à chaud et dans l'émotion, les vraies questions qui dérangent et
que le monde politique fait tout son possible pour les ignorer.
Sous l'impulsion du
président de la République, le ministre de la Justice, Salim
Jreissati a demandé au procureur général près de la Cour de
cassation d'engager des poursuites contre X afin de déterminer
les responsabilités de tous ceux qui ont participé et incité à
l'enlèvement et à la mort des militaires libanais. On ne peut
que s'en réjouir. Dans le collimateur de certains, on retrouve Tammam Salam, ex-Premier ministre,
Jean Kahwagé, ex-commandant de l'armée libanaise, Nouhad Machnouk, actuel
ministre de l'Intérieur, ainsi que les leaders du 14-Mars en général
et ceux du Courant du Futur en particulier.
Il n'est pas dans mon
intention de défendre particulièrement "ces accusés", mais force est
de constater que cette enquête qui est soi-disant souhaitée
et impartiale, prend des tournures politiciennes qui sont le
moins qu'on puisse dire louches.
Disons d'emblée qu'il
n'échappe à personne qu'une telle enquête sera longue, complexe
et difficile. Sans se livrer à la divination, tout le monde sait
aussi qu'elle ne conduira à aucune révélation fracassante au pays des consensus. Faut pas rêver. Par contre, il y a quatre certitudes basiques
dans ce dossier que nul d'honnête et de sensé ne peut remettre
en question.
. Primo, si l'armée
libanaise était déployée à la frontière entre le Liban et la
Syrie, la tenant d'une main de
fer, interdisant aux hommes et aux armes de passer dans les deux sens
depuis le début de la révolte syrienne en mars 2011, les deux
organisations terroristes Daech et de Nosra, n'auraient pas pu
s'installer sur la chaine de montagnes de l'Anti-Liban. On ne
peut pas s'étonner d'avoir été volé et agressé quand on a laissé
les portes et les fenêtres de sa maison grandes ouvertes. Qui est le
coupable dans ce volet de l'histoire? Yé3né bel 3arabé el
mchabra7, qui a laissé les portes et les fenêtres du Liban grandes
ouvertes? Ce sont les forces politiques du 8-Mars et du 14-Mars. Qu'importe les justifications des uns et des autres, depuis le retrait du dernier soldat syrien le 26 avril 2005, les deux camps n'ont pas été capables quand ils ont gouverné seuls ou ensemble, d'atteindre cet objectif. Et pourtant, le 8-Mars porte une plus lourde responsabilité car du fait de son positionnement politique, pro-Assad et
pro-Hezb, ce camp s'est toujours
opposé à ce déploiement militaire et à ce mot d'ordre. Il ne
voulait pas entraver la libre circulation du Hezbollah entre le
Liban et la Syrie. D'ailleurs, rappelons-le encore une fois,
l'essentiel des jihadistes se sont installés dans les Jouroud entre
2012 et 2014, à une époque où le Liban était exclusivement
gouverné par les forces politiques du 8-Mars, le gouvernement Mikati
(Hezbollah, Courant patriotique libre, Amal, Parti socialiste, etc.). Hélas, il a fallu attendre ce vendredi 8 septembre 2017, pour qu'enfin, « le Conseil supérieur de la défense (...) charge le commandement de l'armée libanaise de prendre les mesures nécessaires pour assurer le déploiement des troupes frontalières terrestres » à la frontière orientale du pays du Cèdre. Aucun (com)patriote libanais ne peut retenir sa joie aujourd'hui, sauf que cette décision historique arrive avec douze ans de retard, pour ne pas dire 71 ans même, et quatorze tragédies, pour ne pas dire davantage, qui auraient pu être parfaitement évitées, si la troupe s'était déployée au moins au moment du déclenchement de la guerre civile syrienne.
. Secundo, on peut palabrer
sur cette affaire d'Etat encore longtemps et jusqu'au jour où les
poules auront des dents. On peut aussi y mettre un terme en se
plongeant dans les archives. Le Hezbollah a
non seulement été un opposant farouche au déploiement de l'armée
libanaise à la frontière syro-libanaise, mais il a
toujours été contre toute négociation de l'Etat libanais avec les
groupes terroristes, en vue de la libération de la trentaine de
soldats kidnappés, alors que la milice chiite libanaise et le
régime syrien se livraient à ces pratiques depuis des années en
Syrie. Eh oui, des négociations auraient pu conduire à la libération
des soldats libanais.
. Tertio, l'Etat libanais
savait depuis février 2015 que les militaires enlevés par Daech ont
été exécutés. On disposait même des photos des corps. Le
chef de la Sureté générale libanaise, Abbas Ibrahim, l'a répété
à trois reprises. Mais alors pourquoi un militaire de ce rang, chargé de ce dossier, commet
cette bourde qui n'en est pas une bien évidemment? Sans doute pour
soulager sa conscience, mais aussi et surtout, pour que ça se sache.
Ainsi, des responsables ET des leaders libanais, en place
depuis février 2015, ont décidé de ne pas révéler l'info aux
familles et à la nation, et de garder le silence. Qui sont-ils et
pourquoi ils l'ont fait?
. Quarto, qu'importe les
justifications à cinq piastres avancées par ces défenseurs
hypocrites et zélés de la troupe, et indépendamment de la
libération héroïque de la terre par l'armée libanaise, les
jihadistes de Daech et de Nosra ont été exfiltrés en Syrie sous la
bonne garde du Hezbollah et des régimes syrien et iranien. Tout ce beau monde y tient tellement qu'il a appelé la communauté internationale à venir en aide aux terroristes bloqués au beau milieu du désert syrien par les avions américaines de la Coalition internationale. Alors résumons un peu ce cas surréaliste: on
cherche à savoir qui au Liban a rendu l'enlèvement et la mort des
militaires libanais possible (volet complexe et auteurs non
identifiés), mais on s'en fout royalement de savoir qui a permis
aux assassins des enfants de la patrie de se soustraire à la
justice libanaise et de rentrer tranquillement chez eux (volet
simple et auteurs principaux bien identifiés, le Hezbollah et le régime
syrien). On croit rêver!
Du
côté du Hezbollah, la situation est désespérée,
du fait de l'engagement milicien auprès du régime de Bachar
el-Assad. La communauté chiite libanaise et les miliciens
hezbollahis ont été durement éprouvés par les six années de
guerre en Syrie et les 2 000 combattants morts prématurément « dans
l'accomplissement du devoir jihadiste » comme le
disait la milice chiite. Ses opérations Anti-Liban 1 (contre
al-Nosra au Liban au mois de juillet) et Anti-Liban 2 (contre Daech en Syrie au mois d'août) visaient deux objectifs principaux, qu'il n'arrive pas à
atteindre complètement : remonter le moral de ses troupes et de
ses partisans, et imposer le rétablissement de relations normales
entre le gouvernement libanais et le régime syrien. Sa situation
était si désespérée qu'il s'est précipité avec indécence pour fêter la « deuxième libération » du Liban de Daech etde Nosra, alors qu'il n'avait pas tiré une balle contre l'Etat islamique, que l'armée libanaise, les familles et la nation
toute entière n'avaient pas encore enterré leurs héros et qu'une partie des
Libanais étaient déjà à la « quatrième libération »,
après les libérations palestinienne (1982), israélienne (2000) et
syrienne (2005).
De côté de l'Etat
libanais, la situation est tout aussi désespérée, du fait de
l'attention accordée aux jihadistes assassins des soldats libanais
et leur exfiltration sains et saufs vers la Syrie, comme si de rien
n'était. On ne sait plus comment détourner l'attention des
Libanais et du monde de ce scandale abject. Dernière tentative
en date, la déclaration du ministre libanais de la Défense,
Yakoub Sarraf, prononcée hier soir sur la chaine LBCI : « Il
n'y a eu aucune autorisation d'une quelconque
partie libanaise pour permettre ne serait-ce qu'à un porteur de
couteau de quitter jurd Ersal ». Pour être encore plus
clair, il a rajouté : « Saad Hariri n'a pas
l'info! » Cette déclaration est grave pour au
moins trois raisons.
. D'abord, parce qu'elle
signifie que les dirigeants de l'Etat libanais étaient passifs,
alors qu'ils sont les principaux concernés. Ils se sont vraiment
contentés comme je le disais avec sarcasme il y a quelques jours,
d'assurer la sécurité et le bien-être des randonneurs et des
retraités de Daech, pour qu'ils aillent rejoindre les bus climatisés
la compagnie Hezb & Assad Tour et qu'ils aient leur part d'eau de
Cologne et de glace à l'eau de rose.
. Ensuite, parce qu'elle
signifie de facto que la souveraineté libanaise est effectivement
privatisée et se trouve actuellement entre les mains de Hassan Nasrallah et Bachar
el-Assad.
. Enfin, parce qu'elle
contredit les déclarations du Premier ministre au journal Le Monde (1er septembre): « Moi-même et le président Michel Aoun,
nous les avons laissé franchir la frontière (les jihadistes de Daech),
mais leur transport en bus vers l’est de la Syrie a été décidé
par le Hezbollah et les Syriens. » Si on croit Yacoub Sarraf,
cela signifie que le chef du gouvernement libanais, qui selon la
Constitution commande l'armée libanaise, n'a pas été mis au
courant de ce qui allait se passer.
Rappelons à tout hasard que
Yacoub Sarraf, le ministre de la Défense dont dépend l'armée
libanaise et le tribunal militaire, qui était autrefois un proche
d'Emile Lahoud, ainsi que Salim Jreissati, le ministre de la
Justice, et Michel Aoun, le président de la République,
initiateurs de l'enquête en cours, sont tous les trois issus du
Courant patriotique libre, un parti qui a conclu le fameux « Document
d'entente » avec le Hezbollah en 2006, et dont le
président, Gebran Bassil, ministre des Affaires étrangères, avait déclaré texto le 31 août, à
la fin de l'opération Fajr el-Jouroud : « Il n'est pas permis
que le pays exempte tout responsable du sang des martyrs, mais j'ai
le droit de demander au courant (patriotique libre) de ne pas
attaquer certains dans les médias, afin de ne pas perdre l'objectif
et que le grand responsable ne s'échappe ». Quelle impressionnante détermination ! Mais alors, qui est donc ce
mystérieux « grand responsable » qui devrait trembler devant les 140 caractères tweetés par le gendre du président de la République ?
A chacun son idée, mais ce n'est surement pas celui auquel nous
pensons. Enfin, une couche de surréalisme de plus, ça ne fera de
mal à personne. Au point où on est avec le ridicule, c'est encore la suite de la suite et ainsi de suite !
Alors, soder ra7et el 7alkoum lal hakim wou lal cheikh, un plateau de loukoums pour Geagea et Hariri qui ne méritent évidemment pas un plateau de baklawa. Ils ont soutenu des candidats à la présidentielle qui avaient une si bonne opinion du Hezbollah et de Bachar el-Assad, Michel Aoun et Sleiman Frangié, sans aucune contrepartie à un moment où rien ne les obligeait à le faire. On en payera le prix encore longtemps. A ce propos, sachez que le ministre d'Etat aux Affaires du Golfe d'Arabie saoudite, Samer al-Sabhane a prévenu il y a quelques jours: « Ce que fait le parti de Satan (Hezbollah) comme crimes inhumains dans notre nation (notamment en Syrie), se répercutera sur le Liban forcément. Les Libanais doivent donc choisir s'ils sont avec ou contre lui. Le sang des Arabes vaut cher. » On peut juger la déclaration odieuse, il n'empêche que les dirigeants libanais ne pourront pas l'ignorer. Ils sont prévenus. L'annulation du plan d'aide militaire saoudienne au Liban, en février 2016, d'un montant global de 4 milliards de dollars, initialement destiné à l'armée libanaise et aux forces de sécurité intérieure, était déjà un avertissement grave pour les chefs du parti des Forces libanaises et du Courant du Futur. En vain. En octobre 2016, les députés des deux formations ont élu comme si de rien n'était le chef du Courant patriotique libre, le fidèle allié du Hezbollah, comme président de la République. La situation peut s'aggraver dramatiquement si le Liban, sous la pression actuelle du parti chiite libanais, s'aligne davantage sur l'axe Téhéran-Damas. Plus de 400 000 expatriés libanais travaillent dans les pays du Golfe. Et c'est sans parler des investissements colossaux des pays du Golfe au pays du Cèdre. On pourrait s'en foutre comme de l'an quarante, sauf que le Liban n'est pas le Qatar !
Alors, soder ra7et el 7alkoum lal hakim wou lal cheikh, un plateau de loukoums pour Geagea et Hariri qui ne méritent évidemment pas un plateau de baklawa. Ils ont soutenu des candidats à la présidentielle qui avaient une si bonne opinion du Hezbollah et de Bachar el-Assad, Michel Aoun et Sleiman Frangié, sans aucune contrepartie à un moment où rien ne les obligeait à le faire. On en payera le prix encore longtemps. A ce propos, sachez que le ministre d'Etat aux Affaires du Golfe d'Arabie saoudite, Samer al-Sabhane a prévenu il y a quelques jours: « Ce que fait le parti de Satan (Hezbollah) comme crimes inhumains dans notre nation (notamment en Syrie), se répercutera sur le Liban forcément. Les Libanais doivent donc choisir s'ils sont avec ou contre lui. Le sang des Arabes vaut cher. » On peut juger la déclaration odieuse, il n'empêche que les dirigeants libanais ne pourront pas l'ignorer. Ils sont prévenus. L'annulation du plan d'aide militaire saoudienne au Liban, en février 2016, d'un montant global de 4 milliards de dollars, initialement destiné à l'armée libanaise et aux forces de sécurité intérieure, était déjà un avertissement grave pour les chefs du parti des Forces libanaises et du Courant du Futur. En vain. En octobre 2016, les députés des deux formations ont élu comme si de rien n'était le chef du Courant patriotique libre, le fidèle allié du Hezbollah, comme président de la République. La situation peut s'aggraver dramatiquement si le Liban, sous la pression actuelle du parti chiite libanais, s'aligne davantage sur l'axe Téhéran-Damas. Plus de 400 000 expatriés libanais travaillent dans les pays du Golfe. Et c'est sans parler des investissements colossaux des pays du Golfe au pays du Cèdre. On pourrait s'en foutre comme de l'an quarante, sauf que le Liban n'est pas le Qatar !
Toujours est-il que
l'hommage rendu aujourd'hui par
les dirigeants et les politiciens de l'Etat libanais aux soldats
enlevés et exécutés sauvagement par les terroristes de l'Etat
islamique est un acte manqué. Il
le restera tant que l'enquête qui sera menée ne répondra
pas au scandale soulevé dans les quatre points évoqués
précédemment. Et là nous sommes nombreux à nous
demander si cette enquête qui s'annonce longue, complexe et difficile
ne vise pas réellement, comme à l'accoutumée au pays du Cèdre, à
noyer le poisson et faire oublier dans ce cas précis, le deal
géo-politico-terroriste conclu entre quatre entités terroristes
pour l'écrasante majorité des pays du monde, le Hezbollah et Bachar el-Assad
d'une part, et Daech (Etat islamique) et Fateh el-Cham (Nosra)
d'autre part. D'ailleurs, l'enquête ne concernera aucun de ces
quatre points, comme par hasard. Aujourd'hui, et afin de ne pas
trahir nos soldats, pour la troisième fois -après les
négligences qui ont mené à leur enlèvement et les ratés qui ont
conduit à leur exécution- les
Libanais sont en droit d'exiger d'une part, de juger ceux qui se sont
permis de conclure le deal de la honte qui a conduit à
l'exfiltration des assassins de nos soldats en Syrie sans jugement, le
Hezbollah et les régimes syrien et iranien, et d'autre part, de
savoir si ces derniers ont des complices au sein de l'Etat libanais?