lundi 13 octobre 2014

Quand cheikh Naïm Kassem, qui appelle à fonder un « Etat islamique » au Liban, s’inquiète pour « Jounieh » (Art.247)


Cheikh Naïm Kassem est sans aucun doute un homme intelligent. Ce n’est pas par hasard qu’il est le numéro deux du ‪‎Hezbollah‬. Mais, et ce n’est pas de sa faute, il porte un turban blanc, ce qui signifie qu’il ne descend pas de Mahomet, le Prophète de l’islam. Par conséquent, il est un homme faillible. Ceci dit, on sait que l’habit ne fait pas le moine. La preuve, le turban noir de sayyed Hassan Nasrallah, qui signifie le contraire, ne met pas celui qui le porte, à l’abri des erreurs stratégiques. Toujours est-il que cheikh ‪‎Naïm Kassem‬ nous a récemment gâté avec deux déclarations édifiantes qui confirment que l’homme est bel et bien faillible.

Avec tout ce qui se passe au Moyen-Orient, la première information dont je vous ferai part, est insignifiante pour beaucoup de gens. Mais, elle résume bien l’anomalie que constitue le Hezbollah au Liban. Après l’arrestation de deux citoyens qui ont agressé un des gendarmes libanais stationnés à Chebaa la semaine dernière, des miliciens du Hezbollah ont encerclé le commissariat du village pour protester contre l’agissement des représentants de l’Etat libanais. Enfin, c’est comme ça qu’il faut le (com)prendre ! Il a fallu de nombreux contacts et l’intervention de l’armée libanaise pour mettre un terme à ce délire. Sur ce, et comme si pour les Libanais, à chaque jour ne suffisait pas sa peine, cheikh Naïm Kassem profite de l’occasion pour envoyer un message subliminal aux autorités libanaises : « Les gendarmes à Chebaa sont les invités de la Résistance (autodésignation du Hezbollah). Nous les protégerons avec les cils de nos yeux ». Notez bien le choix du mot, « invités ». Eza heik, baleha ya cheikh, erte7 wou raïyi7. Une telle déclaration a de quoi sortir n’importe quel gouvernement souverain de ses gonds. Mais pas le gouvernement libanais. Et pour cause !

Cette histoire scandaleuse m’a tout de suite rappelé la tragédie du lieutenant Samer Hanna. Nous sommes le 28 août 2008. Alors que des soldats s’entraînent sur les hauteurs d’Iqlim el-Touffah au Liban-Sud, à Tallet Soujod, un hélicoptère qui porte clairement les couleurs de l’armée libanaise, est pris pour cible par des miliciens du Hezbollah. Bien qu’il ne s’agisse pas de la première mission d’entrainement dans la région, l’hélicoptère est abattu. Une fois au sol, les miliciens du Hezbollah encerclent l’appareil et interdisent à des éléments de l’armée libanaise dans la région de s’y approcher. Le lieutenant Samer Hanna, alors âgé de 26 ans, est touché à la tête. Il meurt des suites de sa blessure. L’assassin, Moustafa el-Mokaddam, appartenait au Hezbollah. Il fut emprisonné pendant quelques mois puis relâché dans la nature contre une caution de 6 666 $ et 66 cents. Il s’est payé le luxe de ne pas répondre à plusieurs convocations du tribunal militaire. Par la suite, le général Michel Aoun, ancien commandant de l’armée libanaise (entre 1984 et 1990) et allié de la milice chiite (depuis 2006), s’est ingénié pour minimiser l’incident. Dans un premier temps, il a souhaité savoir qui avait donné l’ordre à l’hélicoptère de l’armée libanaise de se rendre dans une région contrôlée par la milice chiite, sans l’en informer au préalable. Dans un deuxième temps, il a considéré la mort de Samer Hanna comme relevant de la fatalité. Quant à la position du Hezbollah, elle a été résumée magistralement devant le tribunal militaire par un membre du Comité de liaison et de coordination entre le Hezbollah et l’armée libanaise pour la région du Sud-Liban, Mohammad Ali Khalifa : « L’armée libanaise n’était pas autorisée d’atterrir à Soujod à cause de la présence dans la région de centres appartenant à la Résistance ». Wlak, ya3ich el cha3eb wel jaiych wel mouqewamé, ya3ich !

Le temps passe et voilà qu’on apprend au début du mois d’août de cette année, que l’assassin du lieutenant libanais est mort quelque part entre jurd Ersal et la Syrie, « dans l’accomplissement de son devoir djihadiste », comme on a coutume de dire au sein de la milice chiite. En apprenant la mort de l’assassin de son fils, la mère de Samer Hanna a déclaré : « J’ai perdu ce qu’il y a de plus cher à mon cœur (...) En l’absence d’une justice sur Terre, la justice du Ciel a été plus forte ! » Et puisqu’on est y est, sachez que le membre du Hezbollah qui a tenté d’assassiner le député Boutros Harb le 5 juillet 2012, Mahmoud Hayek, un homme qui n’a jamais été inquiété par la justice terrestre du Liban, avait lui aussi été emporté par la « justice divine » de la mère de Samer Hanna, deux mois auparavant. Et dans la foulée, rappelons aux amnésiques par conviction et par omission, que cinq membres du Hezbollah, élevés au rang de « saints » par sayyed Hassan Nasrallah, sont recherchés par le Tribunal Spécial pour le Liban, dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri.

Pour la deuxième déclaration fracassante de cheikh Naïm Kassem, là, je vous préviens, vous allez adorer. Mardi 7 octobre, une info-dynamite fait le tour des médias et des réseaux sociaux du 8 Mars. Une « source libanaise bien informée » - notez bien cette formulation à la mode de la miss de l’OLJ, qui n’a rien inventé, il faut le reconnaitre- a rapporté au quotidien libanais al-Safir, que Bechara Raï, le 77e patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient, a déclaré devant un « cercle restreint » -ah la chance que nous avons eue!- que « si on interrogeait les chrétiens du Liban sur ce qui se passe aujourd’hui, ils répondraient tous que sans le Hezbollah, Daech serait arrivé à Jounieh ». Du pain bénit pour la milice chiite et pour son allié chrétien, Michel Aoun, sauf que le lendemain, Bkerké dément l’information au quotidien al-Moustaqbal et la qualifie de « faillite morale ».

J’ai rapporté les deux infos précédentes avec le statut suivant : « Ô ‘source anonyme’, que de crimes sont commis en ton nom au Liban ! » J’ai rajouté dans un des commentaires : « On sait très bien qui est à l’origine de ce genre de rumeur. C’est quelqu'un qui pense -et surtout fait croire- que la milice du Hezbollah protège le Liban et les régions chrétiennes, et veut se donner du crédit sur le dos du patriarche maronite (...) Il fait référence à la sinistre déclaration d’Abou Ayad, à l’époque du délire palestinien, quand la libération de Jérusalem devait passer par Ouyoun el-Simane et par Jounieh (la "capitale du réduit chrétien" pour reprendre la terminologie occidentale pendant la guerre civile libanaise). Le propagandiste veut conditionner les Chrétiens du Liban afin d’accepter l’alliance des minorités avec la milice chiite libanaise, le régime alaouite syrien et le régime iranien des mollahs. Il veut aussi justifier l’enlisement du Hezbollah en Syrie, faire oublier que cette intervention aux côtés de Bachar el-Assad motive Daech et al-Nosra à agir au Liban et que le Hezbollah se trouve dans l’incapacité de contrer l’action des organisations terroristes. Notre propagandiste veut également faire diversion pour faire oublier aux Libanais que seul le déploiement de l’armée libanaise le long de la frontière syro-libanaise et son contrôle d’une main de fer, dans les deux sens, permettra de protéger le Liban en général, les chrétiens en particulier, et Jounieh tout spécialement, puisqu’il y tient ! »

Eh bien, je ne croyais pas si bien dire. Comme par hasard, cheikh Naïm Kassem, déclare deux jours plus tard, le vendredi 10 octobre, texto : « Sans le Hezbollah, Daech aurait achevé son émirat à la frontière orientale du Liban et installé des barrages de contrôle à Jounieh, Beyrouth, Saïda et dans toutes les régions du Liban ». Haram cheikh Naïm Kassem, Jounieh l’empêche de dormir ! Faire croire que la milice chiite peut faire mieux que l’armée libanaise, ou qu’elle est même complémentaire de l’armée libanaise, relève de cette propagande avec laquelle les miliciens du Hezbollah gavent les Libanais depuis 1982, pour s’imposer comme les Gardiens de la Révolution islamique au Liban, c’est-à-dire, une organisation paramilitaire qui évolue en parallèle avec l’armée nationale et qui ne répond à aucune autorité libanaise, mais seulement au Wali al-faqih, Ali Khamenei, le Guide suprême de la République islamique d’Iran. D’ailleurs, cheikh Naïm Kassem le mentionne noir sur blanc dans son livre Le Hezbollah. La voie, l’expérience, l’avenir : « L’engagement du Hezbollah dans wilayat al-faqih représente un anneau de cette chaine et s’inscrit dans le cadre de l’islam et de l’application de ses jugements selon l’orientation et les règles fixées par wali al-faqih (...) Nous appelons à fonder un Etat islamique et nous encourageons les autres à l’accepter en tant que source de bonheur pour l’être humain. »

Ahhhhhhh BB, comme tu es mauvaise langue et de mauvaise foi, il y a Etat islamique et Etat islamique, voyons ! C’est très gentil de la part de Naïm Kassem de s'intéresser à l'épanouissement de ses compatriotes, mais « son bonheur » ne nous intéresse pas. Le Hezbollah appelle clairement à fonder un Etat islamique (chiite) dans ce livre publié en juin 2010 et qui est à sa 7e édition svp, puis vient disserter sur l’émirat (sunnite) de Daech qui serait déjà à Jounieh si la milice chiite n’était pas allée en Syrie, blablabla et patati patata. C'est quand même hallucinant ! Il y a pire encore. Pendant ce temps, le député chrétien maronite de Jounieh justement, Michel Aoun, ne trouve rien à redire, à part maintenir son alliance avec ceux qui appellent à fonder cet Etat islamique au Liban, bloquer l’élection du président de la République libanaise et ne pas rater une seule occasion pour défendre l’indéfendable. Des loups sont rentrés dans la bergerie il y a belle lurette, et certains comme le Général, continuent à regarder de l’autre côté de la barrière, comme si de rien n'était. A bon entendeur chrétien de Jounieh, salut !