De même que « l’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », comme le
disait si bien l’humoriste français Pierre Desproges, je suis convaincu que l’on
peut débattre de tout, mais pas avec tout le monde. Cet article est le premier d’une trilogie que je consacre au général
Michel Aoun. J’aime les articles-trilogies qui me permettent d’attaquer un
problème sous trois angles différents ou complémentaires. Je ne suis pas à mon
premier essai. J’ai eu recours à ce procédé à plusieurs reprises dans le passé, notamment au sujet de l’élection présidentielle libanaise.
C’est navrant d’en arriver là. Mais, quand des leaders dépassent les bornes, wou ma bé7isso 3a dammoun mennoun la 7aloun, il est du devoir des citoyens de leur fixer des limites. Avec cet énoncé irritant, beaucoup se doutent déjà où BB veut en venir. Mais, ce n’est pas aussi simple. Laissez-moi vous expliquez l’origine de cette réflexion, vous pourrez alors mieux suivre le cheminement de ma pensée.
C’est navrant d’en arriver là. Mais, quand des leaders dépassent les bornes, wou ma bé7isso 3a dammoun mennoun la 7aloun, il est du devoir des citoyens de leur fixer des limites. Avec cet énoncé irritant, beaucoup se doutent déjà où BB veut en venir. Mais, ce n’est pas aussi simple. Laissez-moi vous expliquez l’origine de cette réflexion, vous pourrez alors mieux suivre le cheminement de ma pensée.
Tout a
commencé en regardant Michel Aoun le
mardi de la semaine dernière. La
veille de la 7e séance électorale, le candidat permanent à la
présidence de la République libanaise since
1988 affirme que « la présidence pour les chrétiens
n’est pas à mendier ». Bon, disons qu’il n’y a rien d’étonnant dans
une telle déclaration, pour un populiste
de la trempe du général. Pas le reste. Dans cette longue interview qu’il a
accordée à OTV, la chaine du Courant patriotique libre où il était assuré de la
docilité du journaliste, il ajoute avec un air solennel à faire rire tous
ceux qui ont de la mémoire : « Tout le monde doit comprendre, des États-Unis,
à la Russie, à nos voisins arabes et à nos confrères de l’intérieur : je
ne mendie pas la présidence d’eux, je suis le plus fort grâce à ceux que je
représente. » Parole de candidat consensuel, n’est-ce pas ? Lol ! La dernière fois que le général Michel Aoun a tenu des propos aussi grotesques et mégalomanes, presque
mot à mot !, c’était quelque temps
après sa désastreuse nomination comme Premier ministre intérimaire, le 22
septembre 1988, justement dans un contexte semblable à celui d’aujourd’hui,
en pleine vacance de la présidence de la République libanaise. À l’époque
aussi, pour le général, tout le monde devait comprendre, 3antariyett contre les mêmes États-Unis, bahwariyett contre les mêmes pays arabes, wa 7ouroub elgha tous azimuts, avant de prendre le premier tank en
direction de l’ambassade de France, aux premiers grondements des Sukhoï syriens dans le ciel de Beyrouth
au matin du 13 octobre 1990, trois-quarts d’heure seulement après l’entrée des
troupes syriennes dans les régions chrétiennes libres, accompagnées de la
milice du Hezbollah dans certaines zones, pour la première fois depuis l’occupation
du Liban par la Syrie en 1976.
Ce
rapprochement m’a amené à effectuer une recherche sur la vacance
présidentielle dans l’histoire de la jeune République libanaise. Comme vous le
verrez, c’est très instructif. Notre
pays a connu quatre périodes de vacance au niveau de la magistrature suprême,
avec celle que nous vivons actuellement. Nous
avons été sans président, officiellement ou de facto, pendant 969 jours en 70
ans d’indépendance, soit près de 2,7 ans pour un compteur arrêté au 23 juin
2014. Eh bien, figurez-vous, mes chers compatriotes, que Michel Aoun est impliqué directement dans 3 des 4 périodes de vacance présidentielle,
soit au total dans 964 jours de vacance qui représentent 99,48 % des jours de vacance du
pouvoir que nous avons connue. Certes, il ne porte pas seul cette responsabilité,
mais sa contribution à ce dysfonctionnement grave de notre démocratie est
impressionnante. Voici les détails.
La première période de vacance
présidentielle s’est déroulée à une époque où les institutions libanaises fonctionnaient
correctement, au moins à ce niveau. Le jeudi 18 septembre 1952, Fouad Chehab,
commandant de l’armée libanaise, est nommé comme Premier ministre intérimaire
avec pour mission d’organiser des élections présidentielles de toute urgence.
La mission fut accomplie avec succès grâce à l’élection de Camille Chamoun, le
lundi d’après. C'est à peine croyable ! La
vacance de la présidence de la République sous Fouad Chehab en 1952 n’a duré
que 5 jours, sans aucune conséquence notable ni pour notre pays ni pour ses
citoyens.
Pour la seconde période de vacance, ce n’est
pas la peine de préciser les mois, encore moins les jours de la semaine. Juste
pour info, le 22 septembre 1988, à la surprise générale, pour éviter à « choisir entre Mikhaël Daher et le
chaos » -et Dieu sait qu’avec le recul, tous les
« patriotes » ont eu tort d’ignorer les mises en garde de l’émissaire
de Ronald Reagan (que beaucoup regrettent et pourtant !), il fallait
incontestablement choisir Michaël Daher- le président sortant Amine Gemayel,
nomma le commandant de l’armée libanaise, le général Michel Aoun, comme Premier
ministre intérimaire avec pour mission d’organiser des élections présidentielles
de toute urgence. Hélas, n’est pas Fouad Chehab qui veut, mais qui peut ! Michel Aoun ne s’est jamais occupé de ce
qu’exigeaient de lui le devoir patriotique et la Constitution du Liban.
Bien au contraire, tout était bon pour se dérober à sa mission et rester au
pouvoir par tous les moyens, avec de très graves conséquences pour le Liban et
le peuple libanais, notamment pour les communautés chrétiennes, qu’il prétend
aujourd’hui défendre. Après une refonte de la Constitution et des prérogatives
du « président maronite », deux guerres dévastatrices pour les
« régions chrétiennes libres » et deux ans de désolation plus tard,
il fut délogé de Baabda par les troupes syriennes du premier tyran des Assad.
Non seulement, Michel Aoun n’a pas rempli sa mission, organiser l’élection d’un
nouveau président, mais pire encore, il était officiellement sur le plan
national et international en « rébellion » contre l’État libanais. Il n’a
permis, ni à René Mouawad, élu président de la République libanaise le 5
novembre 1989, ni à son successeur, Elias Hraoui, élu après l’assassinat du
premier le 24 novembre 1989, de s’installer à Baabda. La vacance de la « présidence à Baabda » sous Michel Aoun comme Premier
ministre en 1988 a duré de facto 751 jours au total. Plus de 2 ans, le
record.
La troisième période de
vacance est intervenue à une époque où la nouvelle Constitution libanaise issue de
l’accord de Taëf (1989) prévoit que le Conseil des ministres hérite des prérogatives présidentielles et qu'il revient au Premier
ministre en exercice d’assurer l'expédition des affaires courantes du pays et la tenue de nouvelles élections présidentielles conjointement avec le président du Parlement.
Mais, en novembre 2007, face au blocage des forces du 8 Mars -les troupes de Hassan Nasrallah, de Nabih
Berri et de Michel Aoun, campaient place Riyad el-Solh au pied du Grand Sérail
pour faire tomber le gouvernement libanais et Nabih Berri avait fermé les
portes du Parlement à double tour !- on n’a pas réussi à accomplir
convenablement cette tâche sous le gouvernement de Fouad Siniora. Il a fallu
l’invasion de Beyrouth et du Mont-Liban par les miliciens du 8 Mars, du Hezbollah
et du Parti National Syrien, et la grave menace de guerre civile qui planait à
ce moment critique de notre histoire, pour dégager un consensus autour du
commandant de l’armée libanaise de l’époque, Michel Sleiman, qui sera élu le 25
mai 2008. La vacance de la présidence en
2007 a duré 183 jours.
Quant à la quatrième période de vacance, elle vient
juste de commencer, le 25 mai 2014. Une façon de parler ! Tout
indique qu’elle ne sera pas de courte durée, un paramètre connu depuis la
nomination de Tammam Salam en avril 2013, et qui prouve aujourd’hui, que Samir
Geagea n'aurait pas dû exclure son parti, les Forces libanaises, du gouvernement de
Tammam Salam, en février 2014, alors qu’il projetait se porter candidat à la présidence de la République. Comme
en 2007, le Premier ministre en exercice, Tammam Salam, est censé expédier les
affaires courantes et assurer de toute urgence, conjointement avec le président
du Parlement, l’élection d’un président à la tête de la République libanaise,
mais absolument pas, de gouverner comme si de rien n’était, comme il le fait actuellement
et comme le souhaitent la pie, le caméléon, le renard et tant d’autres. Mais là
aussi, comme en 2007, les forces du 8 Mars -les députés de Hassan Nasrallah, de Nabih Berri et de Michel Aoun- bloquent
la situation, boycottent les séances électorales du Parlement et attendant un
vent d’Est plus favorable. La vacance du pouvoir en 2014 dure depuis 30
jours.
Notre démocratie garantit à chaque
citoyen le droit de penser ce qu’il veut de Michel Aoun, de Samir Geagea, d’Amine
Gemayel, de Sleiman Frangié, de Boutros Harb, d'Henri Helou, de Dory Chamoun, de Carlos Eddé, d'Emile Rahmé, de Jean Obeid, de Ziad Baroud, de Riad Salamé, de
Nadine Moussa et de Bakhos Baalbaki. On peut les adorer, les apprécier, les négliger, les mépriser
ou les haïr. On peut émettre des hypothèses sur leurs choix politiques. On peut
disserter et disséquer leurs alliances. Mais, nul ne peut contester les faits résumés dans le graphe inséré au
début de cet article. De tous ces candidats déclarés ou potentiels à la présidence de la République libanaise, seul Michel
Aoun est impliqué dans 99,48 % des 969 jours de vacance du pouvoir, en seulement 70 ans d’indépendance (1943-2014). Eh na3am !
Le général a sans doute une tonne d'excuses bidon à fournir.
Mais dans ce contexte, je voudrais rappeler quand même quelque chose de
fondamental. À force de se perdre dans les méandres et les impasses de la
politique libanaise, on oublie parfois l’évidence. Le
président de la République est le seul haut personnage de l’État qui prête
serment au Liban. Ni le Premier ministre, ni le président de l’Assemblée,
ni aucun des ministres ou des députés, ne le fait. Certes, ses prérogatives ont
été limitées par l’accord de Taëf, il n’empêche que l’article 49 de la
Constitution libanaise précise clairement que seul « le Président de la République (...)
veille au respect de la Constitution ». C’est son devoir, comme on
peut le lire dans l’article 50. « Avant
de prendre possession de ses fonctions, le Président de la République prête
serment de fidélité, devant le Parlement, à la Nation Libanaise et à la
Constitution, dans les termes suivants: "Je jure par Dieu Tout-Puissant,
d’observer la Constitution et les lois du Peuple libanais, de maintenir
l’indépendance du Liban et l’intégrité du territoire". » Elle est
là l’évidence ! Le fait que le « candidat
Michel Aoun » soit impliqué aussi massivement dans la vacance du pouvoir,
à hauteur de 99,48 %, ce qui constitue une violation grave de la Constitution, le rend tout simplement inapte pour « prêter serment de fidélité à la Constitution », pour « observer la Constitution »
et pour « veiller au respect de la
Constitution ». Il devrait donc être déclaré tout simplement inéligible
par le Parlement libanais et considéré comme tel par le chef du 14 Mars, Saad
Hariri. Assez de tergiversations !