Je
ne me lancerai pas dans des éloges littéraires et poétiques à la libanaise. Wissam
el-Hassan mérite davantage. Je ne me lancerai pas non plus dans des accusations
gratuites. C’est indigne d’un homme de résultats comme Wissam el-Hassan. On peut
penser ce qu’on veut de ce général sunnite. Quoi qu’il en soit, c’était un
homme dévoué pour son pays n’en déplaise à certains, n’en déplaise à beaucoup même.
Les renseignements des Forces de sécurité
intérieure ce sont les enquêtes sur tous les assassinats politiques
commis au cours de la Révolution du Cèdre (de Rafic Hariri à Wissam Eid), le démantèlement régulier des réseaux
d’espionnage israélien au Liban (qui a conduit à l’arrestation de Fayez
Karam, un proche collaborateur de Michel Aoun) et la lutte anti-terroriste (qui a mené à la détention d’un ancien
ministre du 8 Mars, Michel Samaha).
Je
comprends qu’on essaye d’être consensuel et rassembleur un jour tragique comme le
19 octobre après l'attentat à la voiture piégée contre le convoi du général Wissam el-Hassan à Achrafieh qui a fait plusieurs morts et une centaine de bléssés. Il n’empêche qu’une nouvelle
fois une personnalité libanaise est morte non de vieillesse, de maladie ou de
sport extrême, mais pour ce qu’elle représente : sa couleur politique, 14 Mars/Courant
du Futur, et ses fonctions, directeur de la branche des renseignements des
Forces de sécurité intérieure (FSI).
Avec
ces tirs de joie qu’on a entendus dans certaines régions libanaises après la
mort de Wissam el-Hassan, tout comme la distribution de baklawas après celle de
Gebran Tuéni, on saisit bien à quel point l’ignoble ne connait ni limites ni
scrupules. Oui, il faut le reconnaitre, des libanais aussi primaires que primitifs
se réjouissent de la mort de leurs adversaires politiques. Notre pays restera maudit tant que tous les acteurs sur l’échiquier
libanais ne pensent pas que la fin ne justifie pas tous les moyens, tant que ce
peuple n’arrive pas à opposer un « non » unanime à l’ignoble et tant
que la justice n'est pas rendue. Or, hélas et trois fois hélas, aucun de ces
objectifs n’a été atteint dans aucun de la vingtaine d’assassinats et
tentatives d’assassinat commis au Liban depuis novembre 2004 contre des
personnalités du 14 Mars exclusivement.
Etant
donné ses fonctions on peut bien imaginer combien Wissam el-Hassan était prudent dans ses déplacements.
Officiellement, il n’était pas au Liban. Mais entre Berlin et Paris !
Personne, pas même le général Achraf Rifi, chef des FSI, n’était au courant de son arrivée la veille au Liban... par
avion à l’aéroport de Beyrouth sous un faux nom. Etrange ! Encore
une personnalité du 14 Mars éliminée moins de 24h seulement après son arrivée à
l’aéroport de Beyrouth, comme Gebran Tuéni (assassiné le 12 décembre 2005) et comme Antoine Ghanem (lui aussi est arrivé sous un faux nom ; assassiné le
19 septembre 2007). Face à ces deux dernières coïncidences qui ne devaient rien
au hasard, le gouvernement de Fouad
Siniora décida le 5 mai 2008 de démettre Wafic Choucair, responsable de la
sécurité de l’aéroport de Beyrouth, il était proche du parti chiite, et d’enquêter
sur le réseau illégal de communication de la milice libanaise. Hassan Nasrallah
considéra alors la décision du Premier ministre libanais, comme une
« déclaration de guerre ». Il riposta en lançant ses hommes dans les
rues de Beyrouth. Après une centaine de morts lors de combats de rues de
plusieurs jours, l’Etat libanais a cédé devant la terreur de la milice chiite. Finalement,
Wafic Choucair est resté à l’aéroport de Beyrouth et personne n’a plus jamais osé
évoquer le réseau illégal de télécommunications du Hezbollah.
L’assassinat de
Wissam el-Hassan nous fait comprendre deux choses essentielles. Tout ce weekend,
une question m’a taraudé l’esprit. Comment on a pu atteindre un homme aussi
prudent qu’un chef des services de renseignements ? Mettre tout sur le dos
du régime syrien relève de l’amateurisme analytique habituel du 14 Mars. Alors
zappons. Une évidence s’impose, ceux qui
ont organisé cet assassinat sont non seulement sur le terrain, donc
« libanais depuis plus de 10 ans », pour reprendre l’expression
de l’état civil, mais surtout ils sont aussi
puissants, si ce n’est plus, que les services de renseignements de l’Etat
libanais ! C’est inquiétant en soi, mais il y a pire. Je me suis aussi
demandé pourquoi Wissam el-Hassan, Antoine Ghanem et Gebran Tuéni ont été assassiné
tous les trois moins de 24h après leur retour de l’étranger, sous de faux noms pour les deux premiers. En y réfléchissant j'ai pris conscience que l’aéroport de
Beyrouth qui est un passage obligatoire pour partir et pour revenir, est le
meilleur moyen de pister une cible ! A partir de l’instant où la cible
est identifiée visuellement à son départ du Liban, qu'importe sous quelle identité, un « plan d’élimination » peut
être mis en œuvre. Toute personnalité libanaise a des points de chute au Liban.
Les itinéraires pour les atteindre sont étudiés méticuleusement. Plusieurs
voitures piégées peuvent être préparées et mises en place sur les différents
itinéraires. La suite est un jeu criminel d’enfant. A partir de l’instant où la personnalité est identifiée à son retour au
Liban, le « pistage visuel » de la cible est actionné. Celle-ci n’est
plus lâchée des yeux jusqu’à l’ouverture d’une « fenêtre de tir », le
moment où les conditions pour son élimination sont optimales. Ce modus
operandi exige l’élimination de la cible dans les 24h, faute de quoi elle
risque de ne plus être localisée formellement.
Il ne faut pas oublier non plus le pistage de la cible par les moyens de télécommunications. Tout appel émis ou reçu permet de localiser approximativement une cible. Et comme les données de télécommunications sont complémentaires des données visuelles, cela soulève donc une autre question fondamentale : qui contrôle les données téléphoniques au Liban et surtout qui peut avoir accès à ces données et avec quelle facilité ? Enfin, il est évident qu'aucun assassinat de cette importance, d’un chef de renseignements, et de cette complexité, qui fait appel à des dizaines d'intervenants sur le terrain pour garantir l’exécution minutieuse du plan d’élimination, ne peut se faire aisément sans des intervenants libanais et sans un réseau de communication efficace pour assurer la coordination entre tous les intervenants. Quels sont les réseaux qui ont été utilisés dans le pistage de Wissam el-Hassan ? Téléphone fixe, téléphone cellulaire, réseau privée, internet, etc. Ce point soulève par ailleurs la question de la coopération du ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, et du ministre des Télécommunications, Nicolas Sehnaoui, avec les enquêteurs. Il faut dire que l’ensemble des données téléphoniques concernant les tentatives d’assassinat de Samir Geagea et de Boutros Harb, n’ont été remises aux services de sécurité chargés des enquêtes en question qu’après une longue bataille technique, juridique et politique.
Il ne faut pas oublier non plus le pistage de la cible par les moyens de télécommunications. Tout appel émis ou reçu permet de localiser approximativement une cible. Et comme les données de télécommunications sont complémentaires des données visuelles, cela soulève donc une autre question fondamentale : qui contrôle les données téléphoniques au Liban et surtout qui peut avoir accès à ces données et avec quelle facilité ? Enfin, il est évident qu'aucun assassinat de cette importance, d’un chef de renseignements, et de cette complexité, qui fait appel à des dizaines d'intervenants sur le terrain pour garantir l’exécution minutieuse du plan d’élimination, ne peut se faire aisément sans des intervenants libanais et sans un réseau de communication efficace pour assurer la coordination entre tous les intervenants. Quels sont les réseaux qui ont été utilisés dans le pistage de Wissam el-Hassan ? Téléphone fixe, téléphone cellulaire, réseau privée, internet, etc. Ce point soulève par ailleurs la question de la coopération du ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, et du ministre des Télécommunications, Nicolas Sehnaoui, avec les enquêteurs. Il faut dire que l’ensemble des données téléphoniques concernant les tentatives d’assassinat de Samir Geagea et de Boutros Harb, n’ont été remises aux services de sécurité chargés des enquêtes en question qu’après une longue bataille technique, juridique et politique.
Reste
la question de fond, pourquoi on
a voulu éliminer le chef des renseignements des FSI ? Diverses raisons l’expliquent
sans doute. J’en vois cinq importantes :
1. Eliminer un
élément gênant qui enquête sur des dossiers sensibles qui concernent le
Hezbollah et la Syrie,
mais aussi les réseaux d’espionnage israélien qui incluent des éléments du 8
Mars, du Hezbollah et du Courant patriotique libre. C’est aussi pour éviter d’autres
« affaires Samaha », en éliminant le cerveau de l’opération policière
et en dissuadant quiconque des renseignements de s’aventurer sur cette voie.
2. Se débarrasser de
la tête des renseignements, pro-14 Mars, avant le changement de gouvernement à l’issue
des prochaines élections législatives (printemps 2013).
3. Se débarrasser de
celui qui devait en toute logique succéder à Achraf Rifi dans quelques mois.
4. Créer un climat
de terreur pour museler les opinions et cadrer la marge de manœuvre des
opposants la veille des élections législatives.
5. Dissuader Saad
Hariri de revenir au Liban à quelques mois des élections législatives pour guider
la bataille électorale.
Face
aux graves conséquences de cet assassinat,
le 14 Mars se trouve acculer à cinq actions immédiates, outre le vain appel
à la démission du gouvernement Mikati et l’indignation du mouvement devant le
soutien occidental au gouvernement libanais :
1. Exiger, et surtout
obtenir, que le remplaçant du chef des
renseignements des FSI soit de la même trempe que Wissam el-Hassan, ayant le même
patriotisme et surtout la même couleur politique. C’est quand on connaitra le
nom du remplaçant que nous saurons si les assassins ont réussi leur opération
ou pas.
2. Demander de
confier l’enquête sur la mort de Wissam el-Hassan aux services de renseignements
des FSI
en priorité, presqu’en exclusivité.
3. Apporter un
soutien sans faille au Tribunal Spécial pour le Liban (TSL). On fait
presque oublier à ce peuple, que 4 membres du Hezbollah sont accusés par la
plus haute juridiction internationale de l’assassinat de l’ex-Premier ministre
libanais, Rafic Hariri. C’est à peine si le 14 Mars se donne la peine de
rappeler au gouvernement Mikati qu’il est censé arrêter les accusés et les
remettre au TSL.
4. Préparer
sérieusement les prochaines élections législatives, qui quoi qu’il
advienne, auront lieu tôt ou tard. Plus que jamais il ne faut pas se perdre ni
dans les palabres ni dans les impulsions du moment ni dans les actions sans
lendemain. Il faut être pleinement conscient que seules les élections législatives
permettront au Liban de sortir de la tourmente et au 14 Mars de revenir au
pouvoir. Cela exige une bonne loi électorale qui garantira la meilleure
représentativité des libanais.
5. Présenter à ce
peuple au plus vite un programme électoral commun, loin des slogans creux, avec des engagements
concrets et réalistes, qui lui donne espoir dans un avenir meilleur.
Nota
bene
Rencontre de Walid Joumblatt avec Hassan Nasrallah le lendemain du coup d'Etat (13 janvier 2011) |
Réf.
Dix réflexions après les obsèques du général Wissam el-Hassan (Art.81) par Bakhos Baalbaki