1. Alors que le 8 Mars était en black-out le jour de l’assassinat du chef des services de renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI) le 19 octobre, on a cru pendant un laps de temps que c’était par la décence des circonstances. Hélas, on a vite déchanté. Pour Al-Manar la chaine du Hezbollah, « les forces du 14 Mars ont exploité jusqu’au dernier souffle les funérailles du chef des services de renseignements des FSI... Le défunt était encore en train d’être inhumé à la mosquée Mohammad al-Amine, au moment où les partisans du Futur, des Forces libanaises de Samir Geagea et de certains groupes salafistes ont reçu l’ordre de prendre d’assaut le Sérail. » Même son de cloche du côté de Michel Aoun qui a dénoncé « une exploitation du martyr du général el-Hassan à des fins politiques ». Il l’a même considéré comme « le martyr de tout le Liban », feignant d’oublier qu’il n’y pas si longtemps déjà il avait prévenu le chef des renseignements : « on ne touche pas à la haute tension en restant en vie... qui touche à la haute tension risque d’être carbonisé ». Pas de bol, internet a une mémoire ! Personne n’est dupe des manœuvres 8 marsiennes. Il est clair qu’Aoun et le Hezbollah auraient préféré que les forces du 14 Mars enterrent un des leurs en catimini, sans doute pour éviter au peuple libanais de prendre conscience de quatre éléments inquiétants qui ressortent de cet acte criminel : la reprise des assassinats politiques des personnalités du 14 Mars la veille des élections législatives, la remise en question de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth, le contrôle des télécommunications au Liban et la certitude de la participation d’éléments libanais à cet assassinat.
2.
Les médias du 8 Mars, du Hezbollah et de
Michel Aoun, se sont offusqués par ailleurs, des routes coupées le weekend
funeste, de l’apparition durant la journée des obsèques de drapeaux syrien et
islamiste, de l’attaque des barrages qui protègent le Sérail et des accrochages
armés à Beyrouth et à Tripoli. As-Safir annonce d'ores et déjà un « suicide politique pour l’opposition ». Al-Akhbar a le
culot de parler de « coup d’Etat raté » ! Et bien, disons qu'il est parfois très difficile de camoufler
la mauvaise foi ! Celle-ci a quelque chose d’extraordinaire c’est qu’elle
ne résiste jamais longtemps à l’examen des faits. Certes, nous devons dénoncer
le mélange des genres (la pagaille des drapeaux partisans et les drapeaux
intrus... il y avait même un drapeau brésilien !) et les violations de la
loi (les routes coupées, l’attaque du Sérail, les accrochages armés...). Toutefois,
il ne peut échapper aux saintes
nitouches du 8 Mars que les
incidents cités sont des éléments secondaires (noyés dans la douleur et la
rage d’une grande partie des libanais à l’assassinat d’un patriote et dans
la masse pacifique des drapeaux du Liban et des partis politiques libanais), spontanés (non prévus par le 14 Mars), contrôlés (malgré tout, puisque tout
rentre dans l’ordre progressivement) et limités (ils ne concernent qu'une centaine de personne selon le 8 Mars lui-même!). Dans toute manifestation, surtout après
un assassinat, même dans les pays démocratiques occidentaux, il y a des
débordements. Ils ne sont que des DETAILS
de l’histoire qui s’écrit. Le seul élément particulièrement grave, quel que
soit son importance, reste l’accrochage armé, qui nous rappelle une fois de
plus la nécessité de dissoudre et de
désarmer toutes les milices et groupes armés au Liban (Hezbollah,
salafistes, palestiniens...).
3.
Tout cela n’aurait pas été grave si cette mauvaise foi ne s’est pas fixée un
but particulièrement méprisable par sa bassesse : celui de faire
diversion alors qu’il y a mort d’homme ! Les détails, aussi répréhensibles qu'ils soient, ne doivent jamais faire oublier
l'ESSENTIEL. Le 21 octobre des
milliers de libanais sont venus place des Martyrs, essentiellement pour rendre
un dernier hommage lors de funérailles nationales à un haut fonctionnaire de
l'Etat libanais, le général Wissam el-Hassan, assassiné de la manière la plus
lâche et la plus odieuse, avec préméditation et dans des conditions abominables,
parce qu'il est proche du 14 Mars et du Courant du Futur, et parce qu'il enquête
sur des dossiers sensibles impliquant le Hezbollah et la Syrie ! Tout le
reste n’est qu’un bordel de foutaises.
4.
Le seul point de ce « détail » qui mérite un commentaire c’est sans
doute l’appel du journaliste Nadim
Koteich : « Falyaskot Nagib Mikati...
Ya chabeb wo ya sabaya, yalla yalla 3al saraya... Sayaskot Nagib Mikati el
yaom... 3al saraya ». On ne peut qu'être contre toute forme de violence, quelle que soit
sa nature, son expression et ses motivations. De l’ignoble humour sur May
Chidiac à l’assassinat odieux de Wissam el-Hassan. La violence est d’autant
plus condamnable qu’elle transgresse la loi ! Oui, Nadim Koteich a été "impulsif" et s'est laissé emporter par son émotion. Oui, ses propos peuvent être
considérés "irréfléchis" et prêtent à confusion. Il n’empêche que la gravité de ses propos
est proportionnelle à la gravité de la situation ! Pour la énième fois
depuis novembre 2004, une personnalité du 14 Mars est visée à cause de son
appartenance politique. Il faut peut-être s’en souvenir de temps à autre. Devant
l’abjection de certaines propagandes du 8 Mars, c’est à se demander si ce camp
en a cure !
5.
Cheikh Mohammad Rachid Kabbani, le mufti de la République, a entièrement
raison, comme naguère le patriarche Mar Nasrallah Boutros Sfeir (à propos de la
volonté du 14 Mars d’expulser par la force Emile Lahoud du palais de Baabda
entre 2005 et 2008), les institutions
libanaises représentées par les hommes politiques ne doivent pas tombées sous
la vindicte populaire ! Pas parce que ces derniers ne le méritent pas,
mais tout simplement par respect de la Constitution libanais et parce que les clivages communautaire et clanique au Liban
ne le permettront pas. Une crise ado-anarchiste n’est dans l’intérêt de
personne. La seule fois où cela a eu lieu, en 1958, des « émeutes musulmanes »
ont voulu destituer le président chrétien de la République, Camille Chamoun, une crise
de pouvoir sans précédent a conduit à des ingérences étrangères (syrienne,
égyptienne et américaine) et s’est soldée par une brève guerre civile.
6.
L’occupation pacifique de la place des
Martyrs aujourd’hui par le 14 Mars a peu de chance de conduire à la chute du
gouvernement Mikati. Alors que la Syrie est enlisée dans une longue
tragédie sans fin, tout mouvement contre la « légalité libanaise »
n’a aucune chance d’obtenir le moindre soutien des pays arabes et occidentaux. D’ailleurs
les principaux concernés n’ont pas tardé à le faire savoir.
7.
Vouloir refaire des remakes du « 28
février 2005 » (où la pression politique a abouti à la démission du
gouvernement Omar Karamé qui s’est rétracté définitivement le 13 avril
2005 pour céder la place, justement, à Nagib Mikati) et du « 14 mars 2005 » (où la pression populaire a conduit
au retrait des troupes syriennes du Liban le 26 avril 2005) sera très difficile car tous les
paramètres, absolument tous, sont différents. De la personnalité de Rafic
Hariri (le plus grand leader libanais sunnite de l’histoire du Liban), à la
détermination des communautés sunnite, chrétienne et druze et à la prédisposition
favorable de la communauté internationale... sans oublier un élément capital,
l’armée syrienne était une force d’occupation étrangère rejetée par la majorité
des communautés libanaises (mise à part la communauté chiite) alors que le
Hezbollah est une milice libanaise qui bénéficie du soutien massif de la
communauté chiite libanaise, de la communauté druze de Walid Joumblatt et d’une
partie de la communauté chrétienne de Michel Aoun.
8.
Il n’est pas inutile de rappeler que le
Hezbollah, avec la participation du Courant patriotique libre, a mis tout son
poids pour faire tomber le gouvernement Siniora, entre 2005 et 2008, en vain.
La milice chiite est allée jusqu’à installer un campement dans le centre-ville
de Beyrouth et des centaines de tentes ont été dressées aux pieds du Sérail,
pendant 18 mois (déc. 2006 - mai 2008), sans y parvenir. En parallèle, Nabih
Berri a même fermé le Parlement libanais durant cette longue période. Mais
rien, absolument rien, n’a eu raison du gouvernement Siniora à l’exception des
armes miliciennes du Hezbollah qui ont fait régner la terreur à Beyrouth et
dans le Mont-Liban durant le fameux « jour glorieux des jours la
Résistance au Liban » (propos de Hassan Nasrallah lors du 1e
anniversaire du 7 mai 2008). Comment le
14 Mars peut-il espérer réussir là où le 8 Mars a échoué à faire tomber un
gouvernement pacifiquement malgré tous les moyens déployés ?
9.
La pression du 14 Mars pour faire tomber le gouvernement Mikati arrive
tardivement et n’a aucune chance d’aboutir sauf si le 14 Mars s’attaque à la
source du problème ! Et la source du problème du gouvernement Mikati,
c’est justement Walid Joumblatt. Seul le Bek a permis au Hezbollah de réussir
son coup d’Etat le 12 janvier 2011 (par opportunisme, les armes n’y étaient
pour rien) et seul le Bek permet au gouvernement Mikati de rester au pouvoir
jusqu’aux prochaines élections législatives. Si le 14 Mars souhaite vraiment faire tomber le gouvernement Mikati, il
doit sommer Walid Joumblatt à choisir son camp et à couper les ponts avec le
Hezbollah !
10.
Se lancer dans une procédure hasardeuse pour la démission d’un gouvernement à 7
mois d’une échéance électorale n’a aucun sens dans une démocratie, même
mafieuse. C’est une perte d’énergie. Seules
les prochaines élections législatives permettront de changer de majorité et de gouvernement. Dans ce but le 14 Mars est acculé à travailler dans deux
directions : obtenir la loi
électorale la plus représentative possible des libanais, notamment des
communautés chrétiennes, qui de par leur division, 14 Mars (Forces libanaises, Kataeb, Ahrar...) et 8 Mars (Courant patriotique libre / Michel Aoun), décideront de la majorité parlementaire aux
prochaines élections législatives (printemps 2013), et élaborer
un programme électoral commun ambitieux, loin des slogans creux, avec des
engagements concrets et réalistes. C’est la seule planche de salut.
Réf.
Réf.