A
l'heure où un vent de liberté souffle sur les pays arabes, au pays du
Cèdre c'est l'inverse qui se produit. Bien que le pays se trouve à
quelques semaines de la publication de l'acte d'accusation par le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), Walid Joumblatt,
chef du Parti Socialiste Progressiste (PSP), a pris position en faveur
du changement de gouvernement qui vient d'avoir lieu. Pour lui il
s'agit d'un processus banal de la vie politique libanaise, feignant
d'ignorer que ce changement démocratique en trompe-l'œil s'est fait
sous la pression des armes du Hezbollah. Joumblatt, comme le parti
chiite d'ailleurs, a déclaré clairement qu'il faut cesser de coopérer
avec le TSL car non seulement il serait politisé, mais en plus il
menacerait la paix civile. Si l'on suit ce raisonnement jusqu'au bout,
ce qui en découle est d'une grande gravité.
1. Nul besoin
d'expert en droit international pour savoir qu'espérer une annulation
du TSL serait une gageure. C'est toute la crédibilité de l'ONU, du
Conseil de sécurité, des pays occidentaux et de la Justice
internationale qui sera remise en cause.
2. Le TSL a été créé par le Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies (Résolution 1757). Cesser de coopérer, non seulement ne l'arrêtera pas mais en plus, il exposerait le Liban à des sanctions.
3. Prétendre que le TSL est politisé,
revient à douter de la Justice internationale et cela suppose non
seulement que les dirigeants occidentaux auraient la volonté et la
capacité d'influencer les juges et les enquêteurs, mais aussi que ces
derniers ainsi que toute l'équipe du TSL accepteraient l'ingérence des
politiciens. Une telle équation est à la limite de la médisance pour les
hommes politiques occidentaux et pour toute l'équipe du TSL.
4. Prétendre que le TSL menace la paix civile est un point révoltant car il présente le problème à l'envers.
- Ce qui a menacé
la paix civile, c'est d'abord d'avoir assassiner Rafiq Hariri une des
grandes personnalités de l'histoire contemporaine du Liban pour des
raisons politiques.
- Ce qui a menacé
aussi cette paix civile ce sont ensuite les assassinats commis entre
2004 et 2008, de l'écrivain-journaliste Samir Kassir, de l'ancien
secrétaire du Parti communiste Georges Haoui, du député-journaliste
Gibran Tuéni, du ministre-député Pierre Gemayel, des députés Walid Eido
et Antoine Ghanem, du général François Hajj et du lieutenant Wissam
Eid; ainsi que les tentatives d'assassinats du membre du PSP Marwan
Hamadé, du ministre Elias Murr et de la journaliste May Chidiac. Ces
personnalités font partie de l'alliance dite du "14 mars", elles
étaient toutes contre le régime syrien, la majorité contre le Hezbollah
aussi.
- Ce qui a menacé
la paix civile et la menace toujours, c'est l'épée de Damoclès que
représentent les manœuvres d'intimidation du parti islamiste de laisser
entendre qu'il pourrait recourir à un nouveau 7 mai en cas de besoin.
- Enfin, ce qui
menace réellement la paix civile c'est d'accepter devant ce "nettoyage
politique" planifié, de remplacer la justice par l'impunité!
Ce positionnement de Walid Joumblatt apparaît en contradiction avec les valeurs socialistes affirmées dans la Charte éthique de l'Internationale Socialiste (IS).
Etant membre de cette organisation, Walid Joumblatt s'engage d'après la charte d'une part, "à défendre un système judiciaire impartial et indépendant fondé sur le droit", et d'autre part "à rejeter et à s’opposer résolument à toute dérive autoritariste et à tout système politique qui tolère ou pratique la violation des droits de la personne humaine pour conquérir ou asseoir son pouvoir, tels que les assassinats politiques, la torture…".
Or aujourd'hui on ne peut que s'interroger longuement sur les déclarations et les positions politiques de Walid Joumblatt.
- Que justice soit faite est-elle une valeur socialiste?
- Faut-il obtenir la coopération de l'accusé avant de le poursuivre en justice?
- Céder aux menaces du Hezbollah d'occuper Beyrouth, fait-il partie du processus démocratique?
- Est-ce que Walid
Bey (titre officiel) peut-il expliquer vers quelle justice le peuple
libanais doit-il se retourner concernant les assassinats et les
tentatives d'assassinats de 12 personnalités libanaises, dont une
franco-libanaise (Samir Kassir), pour des raisons politiques:
la justice syrienne, dirigée par le régime de Bachar Al-Assad, qui
poursuit plus d'une trentaine de personnalités libanaises actuellement par une tentative désespérée de faire contrepoids au TSL ou
la justice libanaise, qui est toujours en convalescence après 29 ans
d'occupation syrienne, et qui n'a jamais été capable de poursuivre
sérieusement les assassins du chef du PSP Kamal Joumblatt (1977), du
président de la République Bachir Gemayel (1982), du mufti Hassan Khaled
(1989), du président de la République René Mouawad (1989) et de tant
d'autres?
- Est-ce que le
Liban respectera les résolutions de l'ONU ou va-t-il décider de se
mettre au ban de la communauté internationale, s'alignant sur les
positions de la Syrie et de l'Iran?
- Pour mesurer la
gravité de la position de Joumblatt, peut-on imaginer une seconde le PS
français ou serbe contre le Tribunal Pénal International pour
l'ex-Yougoslavie, arguant que celui-ci est politisé et menace la paix
civile dans les pays de l'ex-Yougoslavie? Inconcevable!
Ainsi, je me demandais avec des amis, s'il ne serait pas souhaitable de dépêcher un émissaire de la part de l'IS auprès de Walid Joumblatt, pour que ce dernier apporte des réponses claires aux interrogations d'un grand nombre de socialistes libanais et français!