Acte
I
Octobre 23, début d'après-midi
Hassan Rohani, homme religieux, mortel quand même, « voileur » de l'immortelle Vénus capitoline de
Rome et président de la République islamique chiite d'Iran à ses
heures perdues: « Il n'est pas possible de prendre une
mesure décisive en Irak, en Syrie, au Liban, en Afrique du Nord et
dans la région du Golfe Persique, sans l'Iran. »
Octobre 23, 24 et 25
Michel Aoun, président de la République
libanaise, le « père de tous », le seul Libanais qui a
juré devant Dieu tout puissant de veiller au respect de la
Constitution : RAS, tout baigne, mer calme, ciel dégagé, les
cigales chantent pendant que les fourmis sont à pied d'oeuvre.
Octobre 23, dans la soirée
Saad Hariri, le chef du gouvernement
libanais, reçoit un message par Whatsapp de MBS, via son Apple
watch, lui ordonnant de tweeter immédiatement le texte suivant : «
Déclaration inacceptable. Le Liban est un Etat arabe indépendant
qui n'acceptera aucune tutelle et qui refuse qu'on porte atteinte à
sa dignité ». Il se connecte sur son compte et copy-paste, clique, puis
répond à MBS: « Done ».
Octobre 24
Gebran Bassil, ministre libanais des Affaires étrangères,
chef du Courant patriotique libre et gendre de Michel Aoun, devant
des étudiants du Hezbollah de l'Université Saint-Joseph, très
inquiets pour l'avenir de la milice chiite : « La
diabolisation du Hezbollah est une recette contre l'unité nationale,
c'est quelque chose d'artificiel et de contraire à la réalité ». Bonne nuit à tous, faites de beaux rêves et à bientôt.
Acte
II
Octobre 30
Pour souffler sa première bougie à Baabda, à l'âge de
84 ans, Michel Aoun s'entoure de plusieurs chefs de rédaction.
L'homme qui est capable de « voir l'avenir un peu »,
comme il dit, parce que Dieu lui a « accordé ce don »
et parce qu'il « analyse », explique qu'il y a deux
raisons qui ne permettent pas à l'armée libanaise d'avoir le
monopole de la détention d'armes au Liban: le « déficit
financier du Liban » et les « problèmes du Moyen-Orient ».
Ah parce que l'abondance est programmé pour lundi en huit et les
soucis de notre contrée seront réglés en un claquement de doigts !
Et pour ceux qui ont un QI d'huitre qui les empêche de comprendre,
il ajoutera : « C'est une solution (globale) au Moyen-Orient qui
aboutira à une solution chez nous (concernant l'anomalie du
Hezbollah) ». Wou ntorr ya kdich, ta yénboutt el 7achich.
Bon, disons que malgré son don, Michel Aoun n'a pas vu venir que son Premier ministre filera à l'anglaise en Arabie saoudite.
Novembre 4, début d'après-midi
De Riyad, Saad Hariri est convoqué
par MBS, son Apple watch confisquée à sa descente d'avion, Nemo, son
poisson de compagnie est placé en quarantaine. On lui demande de
lire un texte. Il croit tout bonnement que c'est sur la sixième et
plus grave extinction des espèces, qui conduira à la disparition de
la moitié des espèces vivantes d'ici 2100, à cause des activités
destructrices irresponsables de l'espèce la plus stupide sur Terre,
l'espèce humaine, où l'on verra les autruches triompher sur les
singes, crocodiles et rapaces pulluler aux quatre coins de la Planète
bleue et les éléphants roses dominés les cieux d'Orient et
d'Occident. Il commence à lire. Dès les premiers mots, il ne croit
pas ses yeux. On lui demande de démissionner, le réchauffement
climatique est le cadet des soucis de l'Arabie ! « Des groupes
(le Hezbollah)... soutenus par l'étranger (l'Iran)... s'en sont pris
aux autorités (libanaises), ont créé un Etat dans l'Etat, et ont
fini par prendre le contrôle de l'Etat (libanais)... Le Hezbollah a
réussi à imposer un fait accompli au Liban grâce à des armes...
L'Iran, partout où il s'immisce, il sème la discorde, la
destruction et la ruine. » Le Premier ministre libanais met
en garde ses compatriotes, « le Liban et les Libanais sont
aujourd'hui dans l'oeil du cyclone, exposés aux condamnations
internationales et aux sanctions économiques, à cause de l'Iran et
de son bras, le Hezbollah. » Hélas, la 7ayata limann
tounadi.
Acte
III
Novembre 4, fin de soirée
Un des premiers descendants des singes
menacés d'extinction à réagir, c'est Bakhos Baalbaki. Le jour
même, il lance une campagne d'envergure pour soutenir la démission
du Premier ministre libanais et lutter contre la sixième extinction des espèces
et éviter ses conséquences désastreuses sur Terre. « 7amlit
tanbiz 3al kel » est née.
Novembre 10, fin de soirée
Gebran Bassil annonce solennellement que
« le président de la République a lancé aujourd'hui la
campagne diplomatique pour récupérer le chef de notre gouvernement,
(et assurer) son retour (au Liban) par sa décision libre et son
choix libre ». Le 15, alors qu'il est en tournée pour
promouvoir le point de vue du président libanais, son beau-père, il
ajoutera : « Qu'il (Hariri) retourne (au Liban) pour
exprimer son opinion librement ».
Novembre 16
Avec gravité, le ministre des Affaires étrangères,
Gebran Bassil, fait savoir que nous sommes face à « une affaire de
libertés, de conventions internationales... et de souveraineté de
l'Etat libanais ». Ça y est, enfin, le mot est lâché, et
c'est la pagaille dans l'Arche de Noé. Aussitôt rassemblés autour
des singes, les autruches, les crocodiles et les rapaces, demandèrent
tout étonnés: « Non mais, qu'est-ce que c'est que tout ce
charabia? » Ayant déjà percé le concept, les primates,
« qui occupent la première place » d'après le
latin, répondirent avec une grande fierté : « D'après le
Centre national de Ressources Textuelles et Lexicales des humains, ce
mot curieux pour de nombreuses espèces libanaises désigne "la qualité propre à l'État qui possède le pouvoir suprême
impliquant l'exclusivité de la compétence sur le territoire
national (souveraineté interne) et sur le plan international,
l'indépendance vis-à-vis des puissances étrangères (limitée par
les conventions ou par le droit international), ainsi que la plénitude
des compétences internationales (souveraineté externe)" ».
Et de nouveau c'est la panique dans l'Arche. Relax, en gros, la
souveraineté libanaise désigne le pouvoir politique suprême dont
jouit l'État libanais, indépendamment du Hezbollah, de la Syrie, de
l'Iran, de l'Arabie saoudite, des Etats-Unis, etc. En d'autres termes, les
zones de non-droit de la Banlieue-Sud de Beyrouth (fief de la milice
chiite) et les ingérences rohaniennes de l'Iran sur les « mesures
décisives » libanaises (via le Hezbollah), constituent de
graves atteintes à la souveraineté du Liban.
Acte
IV
Novembre 21
La veille du 74e anniversaire de l'Indépendance du
Liban, le président de la République, Michel Aoun, déclare que
« la crise est passée », l'averse aussi, RAS,
tout baigne, mer calme et ciel dégagé. Il zappera du coup les
problèmes de fond. « Le Liban s'est distancié (du conflit
en Syrie), pas les autres ». Pour lui, il n'y a que l'Etat
hébreux qui viole la souveraineté du pays du Cèdre. «
L'histoire d'Israël avec le Liban, depuis sa création, est pleine
d'agressions et de guerres destructrices. » Quant à
l'anomalie constitutionnelle du Hezbollah, celui qui a juré de
veiller au respect de la Constitution pense « qu'il est
préférable que la communauté internationale adopte une nouvelle
approche basée sur... le droit des peuples à décider de leur
destin, où l'on pourra traiter à travers elle, le dossier des armes,
de l'armement, et des guerres ». Et de nouveau, ntorr ya
kdich, ta yéndoutt el 7achich.
Novembre 22
De retour au pays du Cèdre et du cœur de Baabda, le
Premier ministre libanais annonce : « J'ai présenté ma
démission au président Aoun ». Il met fin à 18 jours de
délire et donne le coup de grâce à la théorie du complot
concoctée dans une officine du Hezbollah et propagée par ses alliés
libanais du Courant patriotique libre sur la rétention de Saad
Hariri en Arabie saoudite, qui n'était soi-disant pas libre de ses
mouvements et de ses décisions. Assumant pleinement ses
responsabilités, il ajoutera, « le président Aoun m'a demandé
de patienter avant de la remettre officiellement (la démission), en
vue de plus de concertations... J'ai accepté cette requête, afin
qu'un dialogue soit mis en place dans le but de régler les
divergences ». S'adressant directement à l'Arche de Noé,
il précisera : « Nous devons appliquer une politique de
distanciation à l'égard des conflits dans la région et de tout ce
qui pourrait perturber les relations avec les pays arabes. »
Novembre 23
Et voilà que c'est au tour de Mohammad Ali Jaafari, le chef des Pasdaran (depuis
2007), de préciser que « le Hezbollah doit être armé pour lutter
contre l’ennemi de la nation libanaise qu’est Israël ». A
Beyrouth sans doute, comme entre 2006-2008 (pour faire tomber le
gouvernement Siniora), en mai 2008 (pour faire plier le gouvernement
Siniora sur deux décisions souveraines) et en janvier 2011 (pour
faire tomber le gouvernement Hariri). A moins que ça ne soit à
Damas, depuis 2012, pour prolonger l'espérance de vie de la maudite
tyrannie des Assad, qui martyrise les Libanais et les Syriens depuis
1970. Toujours est-il que pour le chef des Gardiens de la Révolution
islamique chiite d'Iran, « naturellement, il (le Hezbollah)
doit avoir les meilleures armes... cette question n’est pas
négociable ». Cette déclaration abjecte prouve d'une part, la
dépendance du Hezbollah de l'Iran, et d'autre part, les ingérences
iraniennes dans les affaires libanaises. Dans les deux sens, il
s'agit d'une double violation de la souveraineté du Liban.
Novembre 23, 24, 25
Du côté du président de la République,
Michel Aoun, toujours RAS, tout baigne, mer calme, ciel dégagé, les cigales
chantent, les fourmis travaillent et zéro caractère engagé sur
Twitter pour remettre Mohammad Ali Jaafari à sa place, dans le golfe Persique et non sur les côtes méditerranéennes. Novembre 26, un
tweet quand même : « Ensemble contre la violence sous toutes ses formes. Si
la morale ne permet pas de dissuader (les gens de passer à l'acte),
que les lois le fassent.
#Journée_internationale_pour_en_finir_avec_la
violence_faite_aux_femmes ».
Novembre 23
En dépit des déclarations graves de Mohammad Ali Jaafari, le Premier ministre démissionnaire mais en
« stand-by », publie un tweet pour rassurer les Libanais:
« Pour ceux qui se demandent où est Okab Sakr, il est là avec
moi ». Ouf, ye7re2 7arichak ya cheikh saad, nous étions morts
d'inquiétude ! Nous nous demandions qu'est devenu celui qui était
grassement payé par les contribuables libanais en tant que député
chiite de Zahlé, élu du bloc parlementaire du Courant du Futur
(Hariri) depuis 2009, qui avait disparu de la circulation entre 2011
et 2016, et qui était soupçonné un temps de sillonner les palaces
des deux bords du Bosphore et d'être impliqué dans un trafic de
cure-dents et de couches-culottes avec les rebelles syriens ! Il faut
dire qu'il était grand temps de rappeler son nom aux électeurs de
Zahlé, la veille des prochaines élections législatives de mai 2018.
En attendant, Okab Sakr, ce député de la nation, ferait bien de relire la Constitution de la République libanaise, avant de sortir une ânerie constitutionnelle le 18 novembre : « Le ministre des Affaires étrangères (Gebran Bassil) est un employé gouvernemental, il doit appliquer la politique du gouvernement ». Ah non mon coco, tu as tout faux. Tu devrais d'ailleurs insister sur les articles 65 et 66, tu découvriras que nul ne peut contester le pouvoir et l'autonomie dont dispose tout ministre de l'Etat libanais, même s'il s'appelle Gebran bassil, surement pas un député qui ignore la Constitution, qui a brillé par son absence durant deux mandats et qui n'est réapparu que par miracle, la veille des élections législatives, pour sauver son siège parlementaire.
En attendant, Okab Sakr, ce député de la nation, ferait bien de relire la Constitution de la République libanaise, avant de sortir une ânerie constitutionnelle le 18 novembre : « Le ministre des Affaires étrangères (Gebran Bassil) est un employé gouvernemental, il doit appliquer la politique du gouvernement ». Ah non mon coco, tu as tout faux. Tu devrais d'ailleurs insister sur les articles 65 et 66, tu découvriras que nul ne peut contester le pouvoir et l'autonomie dont dispose tout ministre de l'Etat libanais, même s'il s'appelle Gebran bassil, surement pas un député qui ignore la Constitution, qui a brillé par son absence durant deux mandats et qui n'est réapparu que par miracle, la veille des élections législatives, pour sauver son siège parlementaire.
Novembre 23, 24, 25, 26 et 27
Saad Hariri tweete à plusieurs
reprises sur divers sujets. Les relations entre le Liban et les pays
arabes, l'économie libanaise, le théâtre, l'attaque terroriste
islamiste odieuse en Egypte, l'indépendance du Liban et une photo
datant du 25, accompagnée d'un éclairage fort utile : « Très
sensible et reconnaissant au Président @EmmanuelMacron et son épouse
Brigitte d’avoir invité ma femme Lara et nos enfants Louloua et
Abdelaziz à l’Élysée aujourd’hui. Merci pour ce geste d’amitié
familiale. » Et alors? On s'en fout royalement. C'est qu'il faut savoir que les adeptes
de la théorie du complot avaient vu dans l'absence des jeunes
enfants des Hariri lors du passage du couple à Paris (avant de se
rendre à Beyrouth le 22), une confirmation à leur théorie bidon et une
preuve que MBS retenait les mômes en otage pour garder le Premier ministre
libanais sous pression. Enfin bref, la théorie du complot est
définitivement enterrée, ce qui n'a pas empêché Gebran Bassil de
ressasser encore et encore: « Le chef de notre gouvernement
est revenu au Liban libre, fort, et héros en conséquence ». Avec toutes les salutations de Don Quichotte !
Les Pasdaran (Gardiens de la Révolution islamique en Iran) vs. Hezbollah (la Résistance islamique au Liban) |
EPILOGUE
La
crise politique délirante aiguë qui affecte le Liban depuis un
mois, a commencé avec le président iranien, Hassan Rohani, et se
termine pour l'instant, avec le chef des Gardiens de la Révolution
islamique d'Iran, Mohammad Ali Jaafar. Entretemps, beaucoup d'eau a
coulé sous les ponts. Le Premier ministre libanais est
démissionnaire, mais en stand-by, ce qui a également fait couler beaucoup d'encre, de salive et d'octets. Alors que les
propos de Rohani ont suscité une réaction hostile de la part de
Saad Hariri, ceux de Jaafar font l'unanimité du pouvoir libanais, du
président de la République au ministre des Affaires étrangères,
du Premier ministre au président de l'Assemblée nationale. Si le Parti socialiste, les Kataeb et les Forces libanaises ont protesté, RAS du côté du pouvoir
libanais, tout baigne, mer calme, ciel dégagé, les cigales chantent
et les fourmis travaillent. Ni Michel Aoun ni Gebran Bassil ni Saad Hariri ni Nabih Berri n'a jugé nécessaire et utile de les commenter. Et dire que tout ce beau monde s'ingénie depuis 30 jours pour prouver aux Libanais leur attachement à la souveraineté libanaise !
Le
corps des Gardiens de la Révolution islamique en Iran, les Pasdaran, est une
milice armée qui dépend directement du Guide suprême de la
République islamique chiite d'Iran, al-wali el-fakih, Ali Khameneï.
Elle évolue complètement en parallèle avec l'armée iranienne. Il
n'y a même pas un commandement unifié! Elle possède une marine, une armée
de l'air et des forces terrestres. C'est elle qui contrôle les
missiles balistiques, l'armée régulière n'a aucun droit de
regard sur ce programme. Elle contrôle aussi les groupes al-Qods,
ces cellules qui gèrent les opérations clandestines de l'Iran dans
le monde, au Liban, comme au Yémen, en Syrie comme en Irak. Plus
grave encore, pour financer ses activités miliciennes, les Pasdaran
contrôlent les ports et les aéroports de l'Iran, ainsi que diverses
entreprises dans les secteurs militaire, immobilier et
télécommunication (qui sont actuellement touchés par les sanctions américaines
et européennes). Ils détiennent par exemple 50% de Telecommunication
Company of Iran. Pardon, quels étranges similitudes avec le Hezbollah
au Liban, hein? Il faut vraiment descendre des autruches pour
ne pas comprendre que la milice chiite iranienne des Pasdaran
constitue LE modèle pour la milice chiite libanaise du Hezbollah,
qui, je le rappelle pour la énième fois, n'a jamais caché ses
intentions de vouloir établir une république islamique chiite au
Liban, la dernière étant dans une interview du numéro deux du
Hezb, Naïm Qassem, en 2016 svp, propos passés quasiment dans
l'indifférence générale. Et dire encore que tout ce beau monde nous gave avec l'union nationale et nous mette en garde contre la hantise du monde arabe en général et du Liban en particulier, la discorde.