lundi 27 novembre 2017

Chronique d'une crise politique délirante aiguë autour de la souveraineté du Liban (Art.490)


 Acte I 

 Octobre 23, début d'après-midi 

Hassan Rohani, homme religieux, mortel quand même, « voileur » de l'immortelle Vénus capitoline de Rome et président de la République islamique chiite d'Iran à ses heures perdues: «  Il n'est pas possible de prendre une mesure décisive en Irak, en Syrie, au Liban, en Afrique du Nord et dans la région du Golfe Persique, sans l'Iran. »

 Octobre 23, 24 et 25 

Michel Aoun, président de la République libanaise, le « père de tous », le seul Libanais qui a juré devant Dieu tout puissant de veiller au respect de la Constitution : RAS, tout baigne, mer calme, ciel dégagé, les cigales chantent pendant que les fourmis sont à pied d'oeuvre.

 Octobre 23, dans la soirée 

Saad Hariri, le chef du gouvernement libanais, reçoit un message par Whatsapp de MBS, via son Apple watch, lui ordonnant de tweeter immédiatement le texte suivant : « Déclaration inacceptable. Le Liban est un Etat arabe indépendant qui n'acceptera aucune tutelle et qui refuse qu'on porte atteinte à sa dignité ». Il se connecte sur son compte et copy-paste, clique, puis répond à MBS: « Done ».

 Octobre 24 

Gebran Bassil, ministre libanais des Affaires étrangères, chef du Courant patriotique libre et gendre de Michel Aoun, devant des étudiants du Hezbollah de l'Université Saint-Joseph, très inquiets pour l'avenir de la milice chiite : « La diabolisation du Hezbollah est une recette contre l'unité nationale, c'est quelque chose d'artificiel et de contraire à la réalité ». Bonne nuit à tous, faites de beaux rêves et à bientôt.


 Acte II 

 Octobre 30 

Pour souffler sa première bougie à Baabda, à l'âge de 84 ans, Michel Aoun s'entoure de plusieurs chefs de rédaction. L'homme qui est capable de « voir l'avenir un peu », comme il dit, parce que Dieu lui a « accordé ce don » et parce qu'il « analyse », explique qu'il y a deux raisons qui ne permettent pas à l'armée libanaise d'avoir le monopole de la détention d'armes au Liban: le « déficit financier du Liban » et les « problèmes du Moyen-Orient ». Ah parce que l'abondance est programmé pour lundi en huit et les soucis de notre contrée seront réglés en un claquement de doigts ! Et pour ceux qui ont un QI d'huitre qui les empêche de comprendre, il ajoutera : « C'est une solution (globale) au Moyen-Orient qui aboutira à une solution chez nous (concernant l'anomalie du Hezbollah) ». Wou ntorr ya kdich, ta yénboutt el 7achich. Bon, disons que malgré son don, Michel Aoun n'a pas vu venir que son Premier ministre filera à l'anglaise en Arabie saoudite.

 Novembre 4, début d'après-midi 

De Riyad, Saad Hariri est convoqué par MBS, son Apple watch confisquée à sa descente d'avion, Nemo, son poisson de compagnie est placé en quarantaine. On lui demande de lire un texte. Il croit tout bonnement que c'est sur la sixième et plus grave extinction des espèces, qui conduira à la disparition de la moitié des espèces vivantes d'ici 2100, à cause des activités destructrices irresponsables de l'espèce la plus stupide sur Terre, l'espèce humaine, où l'on verra les autruches triompher sur les singes, crocodiles et rapaces pulluler aux quatre coins de la Planète bleue et les éléphants roses dominés les cieux d'Orient et d'Occident. Il commence à lire. Dès les premiers mots, il ne croit pas ses yeux. On lui demande de démissionner, le réchauffement climatique est le cadet des soucis de l'Arabie ! « Des groupes (le Hezbollah)... soutenus par l'étranger (l'Iran)... s'en sont pris aux autorités (libanaises), ont créé un Etat dans l'Etat, et ont fini par prendre le contrôle de l'Etat (libanais)... Le Hezbollah a réussi à imposer un fait accompli au Liban grâce à des armes... L'Iran, partout où il s'immisce, il sème la discorde, la destruction et la ruine. » Le Premier ministre libanais met en garde ses compatriotes, « le Liban et les Libanais sont aujourd'hui dans l'oeil du cyclone, exposés aux condamnations internationales et aux sanctions économiques, à cause de l'Iran et de son bras, le Hezbollah. » Hélas, la 7ayata limann tounadi.


 Acte III 

 Novembre 4, fin de soirée 

Un des premiers descendants des singes menacés d'extinction à réagir, c'est Bakhos Baalbaki. Le jour même, il lance une campagne d'envergure pour soutenir la démission du Premier ministre libanais et lutter contre la sixième extinction des espèces et éviter ses conséquences désastreuses sur Terre. « 7amlit tanbiz 3al kel » est née.

 Novembre 10, fin de soirée 

Gebran Bassil annonce solennellement que « le président de la République a lancé aujourd'hui la campagne diplomatique pour récupérer le chef de notre gouvernement, (et assurer) son retour (au Liban) par sa décision libre et son choix libre ». Le 15, alors qu'il est en tournée pour promouvoir le point de vue du président libanais, son beau-père, il ajoutera : « Qu'il (Hariri) retourne (au Liban) pour exprimer son opinion librement ».

 Novembre 16 

Avec gravité, le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, fait savoir que nous sommes face à « une affaire de libertés, de conventions internationales... et de souveraineté de l'Etat libanais ». Ça y est, enfin, le mot est lâché, et c'est la pagaille dans l'Arche de Noé. Aussitôt rassemblés autour des singes, les autruches, les crocodiles et les rapaces, demandèrent tout étonnés: « Non mais, qu'est-ce que c'est que tout ce charabia? » Ayant déjà percé le concept, les primates, « qui occupent la première place » d'après le latin, répondirent avec une grande fierté : « D'après le Centre national de Ressources Textuelles et Lexicales des humains, ce mot curieux pour de nombreuses espèces libanaises désigne "la qualité propre à l'État qui possède le pouvoir suprême impliquant l'exclusivité de la compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et sur le plan international, l'indépendance vis-à-vis des puissances étrangères (limitée par les conventions ou par le droit international), ainsi que la plénitude des compétences internationales (souveraineté externe)" ». Et de nouveau c'est la panique dans l'Arche. Relax, en gros, la souveraineté libanaise désigne le pouvoir politique suprême dont jouit l'État libanais, indépendamment du Hezbollah, de la Syrie, de l'Iran, de l'Arabie saoudite, des Etats-Unis, etc. En d'autres termes, les zones de non-droit de la Banlieue-Sud de Beyrouth (fief de la milice chiite) et les ingérences rohaniennes de l'Iran sur les « mesures décisives » libanaises (via le Hezbollah), constituent de graves atteintes à la souveraineté du Liban. 


 Acte IV 

 Novembre 21 

La veille du 74e anniversaire de l'Indépendance du Liban, le président de la République, Michel Aoun, déclare que « la crise est passée », l'averse aussi, RAS, tout baigne, mer calme et ciel dégagé. Il zappera du coup les problèmes de fond. « Le Liban s'est distancié (du conflit en Syrie), pas les autres ». Pour lui, il n'y a que l'Etat hébreux qui viole la souveraineté du pays du Cèdre. « L'histoire d'Israël avec le Liban, depuis sa création, est pleine d'agressions et de guerres destructrices. » Quant à l'anomalie constitutionnelle du Hezbollah, celui qui a juré de veiller au respect de la Constitution pense « qu'il est préférable que la communauté internationale adopte une nouvelle approche basée sur... le droit des peuples à décider de leur destin, où l'on pourra traiter à travers elle, le dossier des armes, de l'armement, et des guerres ». Et de nouveau, ntorr ya kdich, ta yéndoutt el 7achich.

 Novembre 22 

De retour au pays du Cèdre et du cœur de Baabda, le Premier ministre libanais annonce : « J'ai présenté ma démission au président Aoun ». Il met fin à 18 jours de délire et donne le coup de grâce à la théorie du complot concoctée dans une officine du Hezbollah et propagée par ses alliés libanais du Courant patriotique libre sur la rétention de Saad Hariri en Arabie saoudite, qui n'était soi-disant pas libre de ses mouvements et de ses décisions. Assumant pleinement ses responsabilités, il ajoutera, « le président Aoun m'a demandé de patienter avant de la remettre officiellement (la démission), en vue de plus de concertations... J'ai accepté cette requête, afin qu'un dialogue soit mis en place dans le but de régler les divergences ». S'adressant directement à l'Arche de Noé, il précisera : « Nous devons appliquer une politique de distanciation à l'égard des conflits dans la région et de tout ce qui pourrait perturber les relations avec les pays arabes. »

 Novembre 23 

Et voilà que c'est au tour de Mohammad Ali Jaafari, le chef des Pasdaran (depuis 2007), de préciser que « le Hezbollah doit être armé pour lutter contre l’ennemi de la nation libanaise qu’est Israël ». A Beyrouth sans doute, comme entre 2006-2008 (pour faire tomber le gouvernement Siniora), en mai 2008 (pour faire plier le gouvernement Siniora sur deux décisions souveraines) et en janvier 2011 (pour faire tomber le gouvernement Hariri). A moins que ça ne soit à Damas, depuis 2012, pour prolonger l'espérance de vie de la maudite tyrannie des Assad, qui martyrise les Libanais et les Syriens depuis 1970. Toujours est-il que pour le chef des Gardiens de la Révolution islamique chiite d'Iran, « naturellement, il (le Hezbollah) doit avoir les meilleures armes... cette question n’est pas négociable ». Cette déclaration abjecte prouve d'une part, la dépendance du Hezbollah de l'Iran, et d'autre part, les ingérences iraniennes dans les affaires libanaises. Dans les deux sens, il s'agit d'une double violation de la souveraineté du Liban.

 Novembre 23, 24, 25 

Du côté du président de la République, Michel Aoun, toujours RAS, tout baigne, mer calme, ciel dégagé, les cigales chantent, les fourmis travaillent et zéro caractère engagé sur Twitter pour remettre Mohammad Ali Jaafari à sa place, dans le golfe Persique et non sur les côtes méditerranéennes. Novembre 26, un tweet quand même : « Ensemble contre la violence sous toutes ses formes. Si la morale ne permet pas de dissuader (les gens de passer à l'acte), que les lois le fassent. #Journée_internationale_pour_en_finir_avec_la violence_faite_aux_femmes ».

 Novembre 23 

En dépit des déclarations graves de Mohammad Ali Jaafari, le Premier ministre démissionnaire mais en « stand-by », publie un tweet pour rassurer les Libanais: « Pour ceux qui se demandent où est Okab Sakr, il est là avec moi ». Ouf, ye7re2 7arichak ya cheikh saad, nous étions morts d'inquiétude ! Nous nous demandions qu'est devenu celui qui était grassement payé par les contribuables libanais en tant que député chiite de Zahlé, élu du bloc parlementaire du Courant du Futur (Hariri) depuis 2009, qui avait disparu de la circulation entre 2011 et 2016, et qui était soupçonné un temps de sillonner les palaces des deux bords du Bosphore et d'être impliqué dans un trafic de cure-dents et de couches-culottes avec les rebelles syriens ! Il faut dire qu'il était grand temps de rappeler son nom aux électeurs de Zahlé, la veille des prochaines élections législatives de mai 2018.


En attendant, Okab Sakr, ce député de la nation, ferait bien de relire la Constitution de la République libanaise, avant de sortir une ânerie constitutionnelle le 18 novembre : « Le ministre des Affaires étrangères (Gebran Bassil) est un employé gouvernemental, il doit appliquer la politique du gouvernement ». Ah non mon coco, tu as tout faux. Tu devrais d'ailleurs insister sur les articles 65 et 66, tu découvriras que nul ne peut contester le pouvoir et l'autonomie dont dispose tout ministre de l'Etat libanais, même s'il s'appelle Gebran bassil, surement pas un député qui ignore la Constitution, qui a brillé par son absence durant deux mandats et qui n'est réapparu que par miracle, la veille des élections législatives, pour sauver son siège parlementaire.

 Novembre 23, 24, 25, 26 et 27 

Saad Hariri tweete à plusieurs reprises sur divers sujets. Les relations entre le Liban et les pays arabes, l'économie libanaise, le théâtre, l'attaque terroriste islamiste odieuse en Egypte, l'indépendance du Liban et une photo datant du 25, accompagnée d'un éclairage fort utile : « Très sensible et reconnaissant au Président @EmmanuelMacron et son épouse Brigitte d’avoir invité ma femme Lara et nos enfants Louloua et Abdelaziz à l’Élysée aujourd’hui. Merci pour ce geste d’amitié familiale. » Et alors? On s'en fout royalement. C'est qu'il faut savoir que les adeptes de la théorie du complot avaient vu dans l'absence des jeunes enfants des Hariri lors du passage du couple à Paris (avant de se rendre à Beyrouth le 22), une confirmation à leur théorie bidon et une preuve que MBS retenait les mômes en otage pour garder le Premier ministre libanais sous pression. Enfin bref, la théorie du complot est définitivement enterrée, ce qui n'a pas empêché Gebran Bassil de ressasser encore et encore: « Le chef de notre gouvernement est revenu au Liban libre, fort, et héros en conséquence ». Avec toutes les salutations de Don Quichotte !



Les Pasdaran (Gardiens de la Révolution islamique en Iran)
vs. Hezbollah (la Résistance islamique au Liban)


 EPILOGUE 

La crise politique délirante aiguë qui affecte le Liban depuis un mois, a commencé avec le président iranien, Hassan Rohani, et se termine pour l'instant, avec le chef des Gardiens de la Révolution islamique d'Iran, Mohammad Ali Jaafar. Entretemps, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Le Premier ministre libanais est démissionnaire, mais en stand-by, ce qui a également fait couler beaucoup d'encre, de salive et d'octets. Alors que les propos de Rohani ont suscité une réaction hostile de la part de Saad Hariri, ceux de Jaafar font l'unanimité du pouvoir libanais, du président de la République au ministre des Affaires étrangères, du Premier ministre au président de l'Assemblée nationale. Si le Parti socialiste, les Kataeb et les Forces libanaises ont protesté, RAS du côté du pouvoir libanais, tout baigne, mer calme, ciel dégagé, les cigales chantent et les fourmis travaillent. Ni Michel Aoun ni Gebran Bassil ni Saad Hariri ni Nabih Berri n'a jugé nécessaire et utile de les commenter. Et dire que tout ce beau monde s'ingénie depuis 30 jours pour prouver aux Libanais leur attachement à la souveraineté libanaise !

Le corps des Gardiens de la Révolution islamique en Iran, les Pasdaran, est une milice armée qui dépend directement du Guide suprême de la République islamique chiite d'Iran, al-wali el-fakih, Ali Khameneï. Elle évolue complètement en parallèle avec l'armée iranienne. Il n'y a même pas un commandement unifié! Elle possède une marine, une armée de l'air et des forces terrestres. C'est elle qui contrôle les missiles balistiques, l'armée régulière n'a aucun droit de regard sur ce programme. Elle contrôle aussi les groupes al-Qods, ces cellules qui gèrent les opérations clandestines de l'Iran dans le monde, au Liban, comme au Yémen, en Syrie comme en Irak. Plus grave encore, pour financer ses activités miliciennes, les Pasdaran contrôlent les ports et les aéroports de l'Iran, ainsi que diverses entreprises dans les secteurs militaire, immobilier et télécommunication (qui sont actuellement touchés par les sanctions américaines et européennes). Ils détiennent par exemple 50% de Telecommunication Company of Iran. Pardon, quels étranges similitudes avec le Hezbollah au Liban, hein? Il faut vraiment descendre des autruches pour ne pas comprendre que la milice chiite iranienne des Pasdaran constitue LE modèle pour la milice chiite libanaise du Hezbollah, qui, je le rappelle pour la énième fois, n'a jamais caché ses intentions de vouloir établir une république islamique chiite au Liban, la dernière étant dans une interview du numéro deux du Hezb, Naïm Qassem, en 2016 svp, propos passés quasiment dans l'indifférence générale. Et dire encore que tout ce beau monde nous gave avec l'union nationale et nous mette en garde contre la hantise du monde arabe en général et du Liban en particulier, la discorde.