Tout au long de la semaine dernière, la dramatisation était à son comble. Après
huit attaques-suicides survenues en moins de 24 heures, le Liban s’est retrouvé scindé
en plusieurs clans.
D’un côté, il y avait les tenants et aboutissants de l’apocalypse. Ils répétaient
en boucle à une fréquence de 33 hertz, que les
Chrétiens étaient menacés d’expulsion de leurs terres. A une fréquence de
66 hertz, qui je rappelle est une unité pour mesurer le nombre de répétition
d’un phénomène par seconde, certains affirmaient que les gens de Qaa ont même sauvé les Libanais d’un carnage. Comme si
c’était vrai, comme si c’était nouveau, comme s’ils étaient les seuls, au
choix. Ce qui se tramait à Qaa était grave, mais je ne suis pas de l’avis ni
des uns ni des autres, comme je l’ai expliqué dans mon dernier article. Ni la
communauté chrétienne ni la communauté chiite n’était visée directement. C’est
l’Etat libanais à Qaa, représenté par le nouveau Conseil municipal, le
gouverneur de Baalbek-Hermel et l’armée libanaise, qui était dans le
collimateur de Daech. L’objectif
principal des vagues d’attaques-suicides du 27 juin, serait de porter un coup
fatal à la lutte contre l’infiltration des camps de réfugiés syriens dans la
région de Qaa par l’organisation terroriste « Etat islamique »
(EI).
De l’autre côté, comme après chaque
« événement » depuis 1975, les
adeptes de la mythologie « on peut skier et nager le même jour au
Liban » et les partisans du « Liban est une fête », clamaient fièrement que leurs espèces descendent
des autruches, et non des singes comme les évolutionnistes ou d’Adam & Ève comme
les créationnistes. Sur les traces d’une frange de la génération
soixante-quizarde qui les a précédés, et qui s’enorgueillait que la guerre ne l’empêchait
pas d’aller en boite, au sens figuré comme au sens propre, tout un beau monde veut
vaincre le terrorisme par la « résistance culturelle », cette
invention de petits bourgeois qui refusent surtout qu’on puisse modifier le plan-plan
de leur train-train de vie.
Entre ces deux clans principaux, la société
libanaise est apparue comme une mosaïque. A la base de la pyramide, il y avait
comme d’habitude une majorité qui
souffrait en silence ou en priant, pendant que le reste de la population se
donnait en spectacle et sur les réseaux. Les syrophobes n’allaient pas rater une si belle occasion pour déverser leur haine sur les réfugiés
syriens. Un esprit criminel de sexe féminin, une solitaire quand même, est
allée jusqu’à appeler les Neandertal qui la suivaient, à bruler les tentes qui
les abritent, sans que le ministère publique ne bouge. Les syrophiles ne pouvaient toujours pas saisir l’opportunité pour dénoncer l’infiltration de certains camps
de réfugiés syriens par Daech & Co, comme ils étaient incapables depuis
plus de cinq ans de dénoncer l’infiltration de la révolution syrienne par les
islamistes et les djihadistes de tout poil. Allez, mettons tout sur le dos d’Obama,
c’est plus commode et il part bientôt.
Sur le front des selfies retentissants, Antoine Zahra s’est immortalisé en
garde-à-vous, sourire radieux, fusil d’assaut au bras, bien huilé comme au bon
vieux temps. Certes, il est un peu bedonnant, mais enfin, il faut bien tenir compte
à la fois des années qui passent, des plaisirs de la cuisine libanaise et de la
reconversion en député sédentaire. Kerch elwajeha, comme on dit au Liban. Cet
étalage des armes par la population de Qaa a irrité à juste titre et à
juste raison, des citoyens du pays du Cèdre, ainsi que des médias et des officiels libanais, qui étrangement avalent leur langue et font
vœux de silence, dès que les excités de la gâchette se révèlent d’obédience
chiite. En théorie, rien ne justifie
l’éruption armée, puisque les troupes libanaises sont présentes dans la
région. Cela permet de comprendre où peut conduire la logique de la triade
« peuple, armée, résistance » prônée par le Hezbollah et les
gouvernements libanais depuis 1990, officieusement ou officiellement, de gré ou
de force, sous la pression de la tyrannie des Assad père et fils ou de la
milice chiite toute seule : à la hezbollahisation des esprits, à la dissémination des armes au Liban, à la privatisation de la souveraineté libanaise
et au retour des milices. En pratique, tout pouvait mener à cette soudaine manifestation civile armée. Il suffit d’imaginer en
rentrant chez vous ce soir, que huit illuminés viennent de se faire sauter dans
votre quartier et que d’autres tarés rodent aux alentours, alors que votre
maison se situe à quelques kilomètres des terroristes de Daech et de la
tyrannie des Assad, et que la frontière qui vous sépare d’eux est comme une
passoire ! Eh bien, il y a de quoi vous
rendre dubitatifs, n’est-ce pas ?
Vous peut-être, mais pas le manitou du Grand Empire de Nowheristan, ce monde imaginaire créé
par Michel Eléftériadès ou disons, l’adaptation libre d’Alice au pays des
merveilles du Moyen-Orient. Bien qu’il soit de sensibilité aouniste, le
fondateur du Music Hall de Beyrouth ne se sent pas concerné par le Pacs Melhem
Riachi - Ibrahim Kenaan. Et pourtant, malgré le titre pompeux qu’il s’est
auto-octroyé un jour de 2005, l’homme d’affaires libanais aurait pu apprécier
la chanson ringarde « Ntebeh 3a
kheiyak » (Fais attention à ton frère), un hymne de mauvais goût dédié
à la réconciliation interchrétienne entre Samir Geagea et Michel Aoun,
puisqu’il est lui-même artiste-producteur à ses heures perdues.
Toujours est-il que ce mégalomane de la gauche caviar libanaise, qui saute du coq à
l’âne et s’est même associé à la production de « Film Ktir Kbir » de Mir-Jean Bou Chaaya, a passé les 48 heures qui ont suivi le drame de Qaa à faire un montage
puéril pour amuser la galerie, où
l’on voit la photo d’Antoine Zahra et ses friends armés devant un étalage de
pain libanais, titré « Urgent.
Les takfiristes (djihadistes) se retirent de la montagne désertique, après une
rupture complète des stocks de pain ». Le partisan de la première
heure de Michel Aoun, dès les années 1980, fait allusion à une histoire fantasmée
transmise de génération en génération, dès le stade de biberon, sur la confiscation
de rabtat el-khebez (les paquets de
pain libanais) par Zahra himself lors de la guerre civile libanaise, sur
le mythique barrage de Barbara tenu par la milice des « Forces
libanaises » et qui séparait le « réduit chrétien » des
territoires libanais du Nord, occupés par les troupes syriennes.
Nous
nous serions enroulés par terre pour mourir de rire, heureux de notre destin d'être bénis des dieux à ce point, si celui qui s’obstine désespérément
pour qu’on le prenne sérieusement pour un disciple du Che n’avait pas déclaré sa flamme pour l’AK-47 le jour de la mort de Mikhaïl
Kalachnikov, le 23 décembre 2013. « L'homme
que je considère comme mon beau-père, vient de décéder. Mes pensées vont à ma fidèle compagne depuis 25 ans, ici en photo ».
61 minutes plus tard, le cœur brisé il tweetait de nouveau « j’aime ma kalachnikov » avec trois points d'exclamation svp. Et
puisqu’on y est sachez qu’à la fin de l’année 2012, quand le Hezbollah a
commencé à s’impliquer massivement dans la guerre civile syrienne, celui qui se
considère comme un grand défenseur de l’armée libanaise a partagé un article
dont le titre reflète une pensée répandue dans un certain milieu politique
libanais : « Dans le bastion du Hezbollah, les chrétiens libanais trouvent le
respect, la stabilité ». Eh bien, pas à Qaa on dirait !
Actuellement, Michel Eléftériadès est poursuivi pour satanisme. On l'accuserait d'avoir une source d’inspiration diabolique pour sculpter. Non mais on peut reprocher beaucoup de choses à son altesse, mais il ne faut quand même pas rentrer dans ses délires. On aurait tout vu au Moyen-Orient. Enfin, que
Dieu soit loué et qu’Allah soit remercié, le ridicule ne tue pas, il nous fait
rire aux éclats, malgré toutes les tragédies que nous vivons.