jeudi 27 octobre 2016

Michel Aoun n'a aucune chance d'être élu sauf dans le cadre d'une « transaction politicienne » qui n'est pas dans l'intérêt du peuple libanais (Art.395)


 1  Précisons d'emblée, Michel Aoun n'a aucune chance sérieuse d'accéder à la présidence de la République libanaise par la voie de la compétition démocratique. Cela fait 26 ans qu'il essaie, en vain. Il ne pourra y parvenir que par la voie d'une « transaction politicienne » dont voici les grandes lignes.

 2  Le seul véritable pouvoir entre les mains du président de la République libanaise est celui que lui confère trois alinéas de l'article 53 de la Constitution : « Le Président de la République nomme le Chef du gouvernement (...) Il promulgue seul le décret de nomination du Président du Conseil des ministres (...) Il promulgue, en accord avec le Président du Conseil des ministres, le décret de formation du Gouvernement ». Ainsi, Michel Aoun président contrôlera dans les moindres détails la formation et la composition de son prochain gouvernement. Rien dans ce bas monde, à moins d'un usage de la force, ne l'empêchera de bloquer ad vitam aeternam le fonctionnement démocratique des institutions libanaises de nouveau, si le vent ne souffle pas comme le voudraient ses navires.

 3  S'il y a vraiment un consensus pour élire Michel Aoun le 31 octobre, nous pouvons être sûrs qu'il y a eu forcément un « deal » entre les protagonistes sur le court terme de l'après-élection. Oubliez le gouvernement de transition, le gouvernement de Tammam Salam pourrait rester en place jusqu'aux prochaines élections législatives censées avoir lieu avant le 20 juin 2017. Donc, le court terme après l'élection de Michel Aoun concernera essentiellement le gouvernement post-Salam.

 4  Le gouvernement post-Salam qui prendra place entre novembre 2016, au lendemain de l'élection d'Aoun, et juin 2017, à la fin du mandat de l'actuel Parlement, dépendra des résultats des élections législatives. Et encore, il faut bien que ces élections aient lieu. Mais encore, si elles ont lieu, il faut bien savoir selon quelle loi électorale elles se dérouleront. Depuis 2009 svp, les 128 prodiges représentants du peuple libanais sont penchés sur la question. Il est donc illusoire de croire encore que le peu de temps qui reste permettra de se débarrasser de la loi électorale archaïque de 1960 et de bénéficier enfin d'une loi électorale qui assure une bonne représentativité du peuple libanais.

 5  Par conséquent, les Libanais doivent savoir que la « transaction politicienne » à court terme, qui conduira Michel Aoun à Baabda, engloberait une de ces trois options.

A. Prorogation du mandat des députés de 2009, déjà autoprorogés, avec aucune modification du rapport de force en attendant l'évolution de la situation en Syrie, ce qui arrangera les blocs formés autour du Courant patriotique libre (CPL), du Futur, du Hezb, d'Amal et du Parti socialiste progressiste (PSP).

B. Elections législatives sous la loi de 1960, qui convient à tous les grands partis politiques libanais, à l'exception des Forces libanaises (FL), des Kataeb et des candidats indépendants ou opposants aux grands partis cités précédemment, toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues.

C. Elections législatives sous une loi électorale apparentée à la loi de 1960, donnant l'illusion du changement aux Libanais, mais assurant le statu quo dans le rapport de force entre les grands partis.

 6  Eh oui, j'ai l'intime conviction qu'il n'y aura pas d'élections législatives sous une loi permettant une bonne représentativité au Parlement et ceci pour diverses raisons.

A. Les résultats des élections municipales du printemps. Les grands partis politiques savent très bien que le désaveu des Libanais pour toute la classe politique sans exception, aux élections municipales -notamment à Beyrouth avec le mouvement civil « Beirut Madinati » et à Tripoli avec Achraf Rifi, l'ancien chef des Forces de sécurité intérieur- a toutes les chances de se répéter. D'où leur peu d'empressement pour abroger la loi électorale de 1960 qui leur est plutôt favorable.

B. Les déclarations de Nabih Berri dimanche de Genève. « On dit qu'il y a un accord non déclaré pour garder la loi de 1960, sans (voter) une nouvelle loi électorale ». Dans son apparition sur la chaine LBCI lundi, Sleimane Frangié, qui a décidé de rester dans la course présidentielle, a révélé que Saad Hariri lui aurait assuré au cours des négociations préalables au soutien de sa candidature, que « la loi électorale de 1960 lui convient ». Du côté de Michel Aoun, il est utile de rappeler à ceux qui ont la mémoire courte, que le Général a pavoisé pendant 7 jours et 7 nuits au printemps 2008, car il aurait soi-disant récupéré les droits des chrétiens, en imposant la loi électorale archaïque de 1960 dans l'accord de Doha. Walid Joumblatt est comme tout le monde le sait, un fervent défenseur de la loi de 1960, qui lui donne plus de poids politique qu'il n'a de poids populaire. Quant à Hassan Nasrallah et Nabih Berri, ils n'en ont cure de la loi de 1960 car les régions chiites sont plus homogènes et bien verrouillées sur les plans démographique et politique. Ainsi, le grand perdant de cette transaction politicienne sera Samir Geagea, l'initiateur de l'idée de l'élection de Michel Aoun. La loi de 1960 lui donne un poids politique inférieur au poids populaire de son parti. Samy Gemayel, dont le parti est aussi lésé par la loi de 1960, s'est placé de toute façon en dehors de la transaction. 


C. La conférence de presse de Hassan Nasrallah dimanche aussi, le jour où il a rencontré Michel Aoun et Gebrane Bassil. « Qui dit que nous ne voulons pas de l'élection du général Aoun ? Qui dit que le Hezb ne veut pas de président ? » S'il était sincère, il n'avait même pas besoin d'évoquer la question. Dire que Hassan Nasrallah se préoccupe tellement de la vacance présidentielle et veut tellement Aoun président, qu'il a consacré la longue première partie de sa conférence de presse du 23 octobre, plus de 45 minutes, à Hatem Hamadé, un combattant du Hezbollah mort en Syrie, au cours de la « guerre fatidique » de la « grande bataille » d'Alep. Le sujet « Michel Aoun » était relégué à la 2e partie et n'a occupé Hassan Nasrallah que 33 minutes. Comprenne qui voudra.


 7  Certes, le chef du Hezbollah a affirmé que « nous élirons le général Aoun président ». Mais bizarrement, il a tenu à s'adresser aux sympathisants du CPL : « Ne permettez à personne de déformer la relation qui existe entre nous ». Et comment pourrions-nous le faire si tout était au beau fixe ? Là aussi, si el-Sayyed est obligé d'en parler, c'est qu'en réalité, le doute existe, et qu'il n'a besoin de personne d'autre que le chef du Hezbollah pour gagner les esprits. La surenchère a franchi le seuil du grotesque avec la demande de Hassan Nasrallah d'autoriser les députés du Hezbollah à « dévoiler leur bulletin de vote aux caméras, afin de prouver la présence du nom 'Michel Aoun'». On aurait rit à gorge déployée si cela ne constituerait pas une énième violation de la Constitution libanaise, dont l'article 49 stipule que l'élection présidentielle libanais se déroule selon un « scrutin secret ».


 8  Une grande partie de la conférence de presse de Hassan Nasrallah dimanche était consacrée à la guerre en Syrie. « La seule situation qui nous ramènera au Liban, c'est notre victoire en Syrie, c'est-à-dire quand notre projet gagnera et quand l'autre projet finira ». Les politiciens libanais étaient tellement occupés à pavoiser la route de Baabda et à accrocher les guirlandes sur les fenêtres du palais présidentiel, qu'ils n'ont eu le temps ni de relever la phrase ni de commenter la gravité de sa portée : le chef du Hezbollah a signifié clairement aux Libanais que la frontière syro-libanaise ne sera jamais fermée dans les deux sens.

Et comme si de rien n'était, les dirigeants des Forces libanaises et du Courant du Futur, ex-piliers du mouvement souverainiste du 14-Mars, ont continué de rassurer le peuple libanais en lui expliquant que « lorsqu'Aoun le pragmatique accédera à la présidence de la République, sa principale préoccupation sera d'assurer le succès de son mandat » (Samir Geagea) et que « Michel Aoun sera le président de tous les Libanais » (Saad Hariri). Mais voyons ! Nous tâcherons de nous en souvenir et de vous le rappeler. Pour ce qui est des convertis zélés à la candidature de Michel Aoun, ils se sont ingéniés pour expliquer des nuances subliminales qui auraient échappées aux Libanais : « Les bulletins blancs ne seront pas comptabilisés pour déterminer le rapport de force entre Frangié et Aoun » (Georges Adwan, n°2 des FL) ; « Par l'élection d'Aoun le 31 octobre, le Hezbollah aura largement contribué à mettre fin aux marques d'influence syrienne au Liban » (Charles Jabbour, journaliste gravitant autour des FL). Mieux vaut en rire.

 9  Bien avant Samir Geagea et Saad Hariri, j'avais suggéré dans un article publié le 24 mai 2014, « Et si le 14-Mars remplaçait Samir Geagea par Michel Aoun ? Les trois options du général : la grande porte, la petite porte ou la trappe ». En voici un résumé. « Soyons pour la suite surréalistes... je ne vois qu’une issue à court terme... un deal national que Samir Geagea proposerait à Michel Aoun... El-hakim annonce de Meerab le retrait de sa candidature à l’élection présidentielle, au cours d’une conférence de presse solennelle, entouré de Gebrane Bassil, le gendre du général... À la fin de la conférence, el-hakim passe chercher el-général en voiture à Rabieh... Les deux hommes se rendent à l’église Mar Mikhael dans la même voiture... Elle est conduite par le général Chamel Roukouz. Ils discutent de la prochaine nomination de ce brave militaire, gendre du général, comme commandant de l’armée libanaise... Sous les applaudissements, les tzolghout et les jets de riz, avec une transmission directe commentée par la députée du Kesrouan, Gilberte Zouein, qui ne croit pas ses yeux et reste sans voix, Michel Aoun déchire devant les caméras le fameux 'Document d’entente' qu’il a signé huit ans auparavant avec Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. »



 10  A la grande différence de Samir Geagea et de Saad Hariri, j'ai conditionné ma proposition. Pas de chèque en blanc pour Michel Aoun ou pour n'importe qui d'autre ! Ce n’est pas parce que le « Document d'entente » a une quelconque importance politique en soi, mais uniquement pour le côté symbolique du geste, qui aurait signifié urbi et orbi, la rupture de l’alignement du général Michel Aoun sur l’axe Dahiyé-Damas-Téhéran. Saperlotte, mais qu'on dise au peuple libanais, sur quoi Michel Aoun s'est-il engagé sérieusement pour qu'on l'élise ? L'accord Geagea-Aoun conclu à Meerab peut-être ? Il ne s'est même pas donné la peine de le lire lui-même et avant même d'être élu, il n'a pas respecté le point 2 où il est clairement dit qu'Aoun-candidat-soutenu-par-Geagea doit « respecter la Constitution sans sélectivité, loin des considérations politiques et des interprétations erronées ». Le boycott de toutes les séances électorales depuis le 18 janvier 2016 sont des violations à la fois de la Constitution et l'accord de Meerab.

 11  Cette malheureuse phrase qui s'est glissée dans le discours de Hassan Nasrallah (point 8), résume bien la position de la milice chiite depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie, le 15 mars 2011 et tout le danger de l'élection d'un Michel Aoun comme président de la République libanaise, qui s'est révélé au cours des dix dernières années, comme un soutien infaillible du Hezbollah. Pire encore, c'est un élément de plus qui montre à quel point Samir Geagea et Saad Hariri sont inconsistants en soutenant deux candidats du 8-Mars, Michel Aoun et Sleimane Frangié, qui n'ont jamais raté une occasion depuis la seconde indépendance, pour prouver leur alignement politique sur les positions du Hezbollah et leur soutien à ses projets. A une période où les pays arabes, européens et américains durcissent de plus en plus leur législation à l'égard du Hezbollah, chapeau les gars ! Soit, mais de grâce, épargnez-nous à l'avenir, les critiques de la présence du Hezbollah en Syrie. Vous soutenez des candidats qui ont toujours justifié l'intervention de la milice chiite libanaise dans la guerre civile syrienne, l'élément déclencheur de la décompensation du Liban et la détérioration de son état aux niveaux politique, économique, touristique, social, écologique, sécuritaire et vie quotidienne, dues notamment à l'afflux de deux millions de ressortissants syriens dans un pays de quatre millions d'habitants.

 12  L'élection de Michel Aoun, ou même de Sleimane Frangié, comme 13e président de la République libanaise comporte trois risques majeurs pour le peuple libanais. Primo, l'enlisement du Liban dans la formation des gouvernements pour des raisons partisanes, politiciennes et populistes (point 2). Secundo, le sabotage de la démocratie libanaise par la prorogation du mandat du Parlement actuel, voire la tenue des prochaines élections législatives sous la loi électorale de 1960 ou une loi apparentée (point 5). Tertio, la défense d'une ligne politique pro-Hezbollah, pro-Assad et pro-iranienne, notamment en ce qui concerne l'intervention de la milice chiite libanaise dans la guerre civile syrienne, avec toutes les conséquences qui en découleront (point 11). Etant donné que ces trois risques sont parfaitement identifiés et prévisibles, les citoyens devront tenir tous ceux qui ont soutenu cette transaction politicienne, entièrement responsables des complications qu'ils font courir au Liban et au peuple libanais. Il faut faire savoir aux députés qui sont sur le point de la conclure, qu'ils seront sanctionnés dans les urnes le moment venu.

 13  Tout député qui veut se faire réélire par la frange du peuple libanais soucieuse des intérêts suprêmes de la nation, devrait transformer la séance parlementaire du 31 octobre en un guet-apens tendu aux boycotteurs attitrés, qui auront à leur actif 890 jours de vacance du pouvoir et jusqu'à 44 séances électorales de boycott -les députés de Hassan Nasrallah, de Sleimane Frangié et de Michel Aoun- pour élire un homme compétent et digne de la République libanaise, de la trempe de Riad Salameh, le gouverneur de la Banque du Liban. Et quitte à élire un homme du quatrième âge, je propose les noms de Dory Chamoun, chef du Parti national libéral, et même du cardinal-patriarche maronite Mar Nasrallah Boutros Sfeir, deux des derniers défenseurs acharnés de la souveraineté et de l'Etat libanais qui n'ont jamais transigé sur les grands principes.