lundi 4 février 2019

Un gouvernement au Liban, ouiii ! mais pour quoi faire? (Art.594)


Pour compenser ses 15 défauts de fabrication et regagner la confiance des Libanais, au Liban et à l'étranger, ainsi que des Arabes et des Occidentaux, pays et individus, qu'ils soient touristes ou investisseurs, le gouvernement de Saad Hariri doit procéder sur-le-champ à une triple réforme politique.



Les citoyens libanais jugeront sur les actes, bien évidemment. Il n'empêche que nous sommes nombreux depuis ce weekend à chercher une lueur d'espoir. Hélas, qu'est-ce qu'on peut escompter du nouveau gouvernement de Saad Hariri qui présente, avant même de se mettre en ordre de bataille, pas moins de 15 défauts de fabrication?


• Les défauts de fabrication du nouveau gouvernement de Saad Hariri


 1  Une gestation de huit mois


Pour un gouvernement classique qui aurait pu naitre en 24 heures, c'est impardonnable. Pendant ce temps, où les partis politiques libanais pensaient à leurs parts de fromage, la dette publique du Liban a progressé de plus de 3 milliards de dollars. A ce prix, qui est finalement payé par les citoyens libanais il faut tout de même le rappeler, ce n'est pas du champagne que les leaders libanais devaient sabrer, mais du jus de Tang!

 2  Un gouvernement composé de pas moins de huit partis


Avec des idéologies politiques diamétralement opposés : Futur (5 ministres, dont le Premier ministre), Michel Aoun (5 ministres), Courant patriotique libre (5 ministres), Forces libanaises (4 ministres, dont le vice PM), Amal (3 ministres), Hezbollah (3 ministres), Parti socialiste progressiste (2 ministres), Tachnag (1 ministre), Futur-Mikati (1 ministre), Marada (1 ministre). Comment voulez-vous avancer efficacement avec pas moins de six gondoliers pour mener la barque? Impossible.

 3  Des ministrables à vie


Ils sont dans tous les gouvernements. Gebrane Bassil (ministre since 2008), Salim Jreissati, Ali Hassan Khalil, Akram Chehayeb, Waël Bou Faour, et j'en passe et des meilleurs. Le cas de Gebrane Bassil est très symptomatique de l'archaïsme du monde politique libanais. Son parti, le CPL, possède actuellement un président de la République, une dizaine de ministres (1/3 du gouvernement) et une trentaine de députés (1/4 du parlement), et il a le culot de dire d'emblée à la suite de la première réunion du Conseil des ministres samedi : « Nous devons nous fixer un délai pouvant aller jusqu'à 100 jours de travail. Si nous constatons qu'il y a une obstruction délibérée, nous ne resterons pas silencieux et nous descendrons dans la rue. Nous ne serons jamais des assoiffés de pouvoir. »


Il n'y a pas à dire, il mérite le surnom que je lui ai décerné il y a un moment déjà: Don Quichotte de la République libanaise. Tenez puisqu'on y est, rappelez-vous il avait promis le métro à Beyrouth, un parc d'attraction sur la décharge de Bourg Hammoud et le train le long du littoral jusqu'à Batroun, tout ça pour 2020, l'année prochaine. C'était lors du lâcher d'éléphants roses dans le ciel libanais en 2013, via une BD intitulée « Rêve d'une nation », en prévision des élections législatives et présidentielles, avortées par la suite. Pas mal, sauf que Bakhos Baalbaki est beaucoup plus fort : il promet la plus longue piste skiable du monde entre Ouyoun el-Simane et Sakhret el-Raouché, pour qu'on puisse enfin vivre dans la mythologie qui nous abreuve depuis notre enfance, skier et nager dans la même journée. Mais, el3kéritt, « ils » me mettent des bâtons dans les roues!

 4  Des ministres inamovibles


Ils sont collés à leur fauteuil ministériel. Gebrane Bassil (aux Affaires étrangères since 2014), Ali Hassan Khalil (aux Finances depuis 2014), etc. Le cas d'Avedis Guidanian, le ministre du Tourisme (bloc CPL), est assez révélateur de cette tendance. Il est maintenu à son poste en dépit de multiples bourdes qu'il traine comme des casseroles (s'il devait choisir entre l'Arménie et le Liban, il n'hésiterait pas, c'est l'Arménie ; il pense que l'Egypte est un pays sale et son peuple vit dans des tombes, etc.).

 5  Des ministères chasses gardées


Mises à part la compétence et la performance de chacun d'eux, c'est l'idée aberrante d'attribuer certains ministères toujours aux mêmes partis qui pose problème : Energie et Eau pour Aoun-Bassil depuis 2008, Affaires étrangères pour Aoun-Bassil depuis 2014, Défense pour Aoun-Bassil, Intérieur pour Hariri, Finances pour Berri, etc.

 6  Des femmes politiques toujours sous-représentées


Avec Raya Hassan (Intérieur et Municipalités/Futur), Violette Khairallah Safadi (Insertion sociale et économique des Jeunes et des Femmes/Futur), Nada Boustani Khoury (Énergie et Eau/CPL) et May Chidiac (Développement administratif/FL), il sera difficile d'expliquer pourquoi seulement quatre ministères ont été attribués à des femmes politiques et plus de 26 à des hommes. Certes, c'est mieux que dans le précédent gouvernement, mais ce sex-ratio ne reflète ni notre époque ni notre société.

 7  La perpétuation de l'hérésie de la part ministérielle du président


Une hérésie imposée sous Michel Sleiman et qui ne trouve aucune justification dans le Pacte national, la Constitution et les lois en vigueur. Si nous avons perdu huit mois pour rien, c'est entre autres à cause d'une telle aberration. Pour montrer à quel point ce nouveau code des usages politiques est grotesque, prenons le cas d'Elias Bou Saab, considéré comme la part du président Michel Aoun, alors qu'il doit toute sa carrière politique, y compris sa dernière élection comme député, au Courant patriotique libre.

Michel Aoun aurait eu droit à une part ministérielle éventuellement, si et seulement si, il avait pu se montrer impartial. Ce qui n'est absolument pas le cas depuis son élection comme président de la République. Il ne rate pas une occasion pour apporter son soutien au Hezbollah (depuis la signature de ce Document d'entente dans l'église de Mar Mikhael il y a 13 ans svp, jour pour jour, entre le chef du CPL et le chef du Hezbollah, un parti-milicien contesté par la moitié des Libanais et la majorité des pays arabes et occidentaux, accusé et poursuivi pour l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri!), il s'est impliqué dans les élections législatives pour éteindre la contestation de Chamel Roukouz (au Kesrouane) et les choix de Gebrane Bassil (de privilégier les candidats-hommes d'affaires au détriment des candidats-militants), et il vient de choisir des ministres CPL pur-sang, comme Elias Bou Saab (membre du bloc parlementaire du CPL, élu sur la liste CPL en 2018, nommé ministre CPL en 2014) et Salim Jreissati (lui, il est carrément membre du CPL et nommé ministre par le CPL en 2016 et 2012).

 8  L'attribution aberrante du ministère de l'Energie au CPL

Depuis onze ans, le ministère de l'Energie est entre les mains du Bloc du changement et de la réforme (CPL et alliés). Le parti qui a le plus contrôlé le ministère de l'Energie est le CPL (Aoun-Bassil). Le ministre qui a passé pratiquement le plus de temps au ministère de l'Energie est justement, encore lui, l'actuel chef du CPL, le gendre de Michel Aoun, Gebrane Bassil, 4 ans et 3 mois. Il a promis aux Libanais en 2011 le courant électrique 24h/24 pour 2014-2015, càd il y a quatre ans. Bilan des courses, après plus d'une décennie CPL au ministère de l'Energie, la qualité d'approvisionnement en électricité pour les années 2017-2018 renvoie les Libanais à la 134e place (sur 137!). Nous sommes juste devant les Haïtiens, les Nigériens et les Yéménites.


Malgré ce fiasco, Don Quichotte de la République libanaise a le culot de tweeter samedi : « Aujourd’hui, nous nous sommes mis d’accord en Conseil des ministres c'est 'l'électricité en premier' ». Ah mais pourquoi se presser, attend encore un peu! Le duo Aoun-Bassil contrôle le secteur depuis 2008.


Et pourtant, l'électricité au Liban nous coûte près de 5 milliards de dollars par an (EDL, navires en location et générateurs privés). Mais bon, il faut dire que César Abi Khalil et Gebrane Bassil sont tous deux des fervents défenseurs de l'aberrante idée des centrales flottantes turques. Ah mais pour gaspiller l'argent public, on ne peut pas faire mieux! Et c'est loin d'être fini. La gestion du secteur électrique par le CPL depuis 11 ans est un désastre. Et voilà qu'on n'a rien trouvé de mieux que de confier de nouveau le ministère de l'Energie à une membre du CPL, une ex-conseillère, Nada Boustani Khoury, d'un ex-conseiller, César Abi Khalil, de l'ex-ministre de l'Energie, Gebrane Bassil. Ah, mais au Liban, on ne change pas une équipe qui perd!

Ça date de 2011, quand Gebrane Bassil, flanqué de deux imminents conseillers, César Abi Khalil et Nada Boustani Khoury, étaient au ministère de l'Energie. Ça ne nous rajeunit pas, hein! Je crois qu'avec huit ans de recul, on peut vraiment parler de publicité mensongère

 9  La pérennisation de deux ministères qui sont normalement à caractère temporaire


Ministre d’État pour les Déplacés (Atallah/CPL) et Ministre d’État pour les Réfugiés (Gharib/Aoun).

 10  Le cumul des mandats : député, ministre et superman


Et personne n'est gêné pour autant! Saad Hariri, Gebrane Bassil, Elias Bou Saab, Ali Hassan Khalil, Akram Chihayeb et Wael Abou Faour.

 11  Les ministères d'aucune utilité, à part, caser des noms et gaspiller l'argent public


Avec tous mes respects pour les personnes désignées ci-dessous, il me semble qu'un Etat endetté comme le Liban -connu pour son gaspillage de l'argent public, la corruption et le clientélisme, qui demande constamment des efforts financiers aux Libanais- devrait montrer lui-même l'exemple en évitant la création de ministères dont on peut se passer.

Si ça ne tenait qu'à moi -et nous sommes nombreux à penser la même chose-j'aurais supprimé les ministères suivants : Télécommunications (Choucair/Futur), Information (Jarrah/Futur), Insertion sociale et économique des Jeunes et des Femmes* (Violette Khairallah Safadi / Futur ; aussitôt renommé Autonomisation économique des Jeunes et des Femmes, tout aussi inutile), Technologies de l'information* (Afiouni / Futur-Mikati), Vice-président du Conseil* (Hasbani/FL), Développement administratif* (May Chidiac/FL), Déplacés* (Atallah/CPL), Affaires de la présidence* (Salim Jreissati/ part Aoun),  Commerce extérieur (Mrad/Aoun), Réfugiés* (Gharib/ part Aoun), Tourisme (Guidanian/Tachnag), Culture (Daoud/Amal), Jeunesse et Sports (Fneich/Hezbollah), Affaires du Parlement* (Qomati/Hezbollah).

Ainsi, on peut congédier 14 des 30 ministres d'Etat et ministres délégués, pour n'en garder que 16. C'est une coupe drastique? Eh bien le cabinet du gouvernement fédéral des Etats-Unis d'Amérique, le pays le plus développé du monde, fonctionne avec 16 ministères justement. S'occuper de l'égalité homme-femme, du numérique ou de la réforme administrative, ne passe pas forcément par la création de ministères spécialement pour cela, c'est absurde.

 12  Le grand absent, le ministère du Logement 


Quitte à multiplier les ministères, on peut dire que le grand absent du nouveau gouvernement c'est le ministère du Logement. Au pays de la double facturation, de la spéculation immobilière, de la rente immobilière, du blanchiment d'argent, du vote des lois à la hâte et sans aucune étude de l'impact social (ex. la loi sur les locations anciennes, votée en 2014 par toute la classe politique et toujours pas appliquée, qui videra rapidement Beyrouth des classes moyennes, offrant la capitale libanaise aux promoteurs sans scrupules!), avoir un ministère du Logement n'est pas un luxe.

Le marché de l'immobilier au Liban est biaisé par tous ces éléments, ainsi que par l'afflux massif de ressortissants syriens (1,5-2 millions de réfugiés et de déplacés!) et son ouverture aux expatriés libanais et aux ressortissants arabes (au pouvoir d'achat très élevé par rapport aux Libanais du pays). Ainsi, la création d'un ministère/pôle du Logement est une priorité absolue au Liban, qui doit passer bien avant la création de ministères bidon pour caser des noms.

 13  L'attribution injustifiée du tiers de blocage à Aoun-Bassil


5 ministres pour Aoun, 5 ministres pour le CPL, 1 ministre Tachnag, soit au total 11 ministres sur 30 pour l'ex-bloc du changement et de la réforme. Cela signifie, quoi qu'on dise, que le duo Aoun-Bassil, le beau-père et le gendre, ont obtenu de facto le fameux tiers de blocage.

La dernière fois qu'ils l'avaient c'était entre 2011 et 2014, quand ils ont gouverné seuls avec leurs alliées (Nasrallah, Berri) et les opportunistes de l'époque (Mikati, Joumblatt). C'est à ce moment précis que le Liban a connu l'afflux massif de 2 millions de réfugiés et de déplacés syriens, un casse-tête qui n'est pas prêt de connaître son épilogue de si tôt.

Je l'ai dit et redit, je persiste et signe, l'empressement de Gebrane Bassil à réhabiliter Bachar el-Assad, malgré sa tyrannie sanglante, ses crimes de guerre et ses crimes contre l'humanité, et en absence de toute solution politique juste et durable, conduira inévitablement à l'implantation des ressortissants syriens au Liban, comme le veut le tyran de Damas.

 14  Les ex-8Mars, pro-Hezb et pro-Assad, obtiennent la majorité relative, les ex-14Mars, anti-Hezb et anti-Assad, non


Si on additionne les portions de fromage d'Aoun, de Bassil, de Berri et de Nasrallah, qui constituaient entre 2005 et 2014 le camp dit du 8-Mars, on obtient 16 parts ministérielles. Cette belle part offre au quatuor, non seulement le tiers de blocage (10+1), mais aussi la majorité relative du Conseil des ministres (15+1), très utile pour peser sur les orientations politiques et les décisions du nouveau gouvernement. Et si on rajoute le Tachnag et les Marada, on arrive à 18 ministres.

Si on additionne les portions de Hariri et Geagea, qui constituait entre 2005 et 2014 le camp dit du 14-Mars, on obtient 9 parts ministérielles. Et encore, à supposer que la femme de Mohammad Safadi fait pleinement partie de ce camp et pas de l'autre! Non seulement, on n'est pas au tiers de blocage (11 ministres), mais on est bien loin de la majorité relative (16 ministres), nécessaires pour peser sur les décisions politiques et trancher les litiges. Certes, Saad Hariri, est lui-même un ex-pilier du 14-Mars, et possède en tant que Premier ministre des prérogatives propres qui seront très utiles dans l'exercice du pouvoir en milieu hostile, il n'empêche qu'en cas de conflit, si on arrive au vote, il n'est pas du tout assuré d'obtenir raison.

Si on additionne les portions de ceux qui se présentent comme centristes, et qui sont en réalité des girouettes politiques qui se positionnent au gré du vent et des opportunités, Joumblatt et Mikati, on obtient 3 parts ministérielles. Les ex-8Mars n'a pas vraiment besoin d'eux. En tout cas, ils peuvent s'en passer, pour bloquer le Conseil des ministres (en cas de propositions défavorables) ou pour trancher les questions litigieuses. Ce n'est absolument pas le cas des ex-14Mars. De toutes façons, s'il est mis sous pression pour choisir entre les deux camps, le leader druze fera exactement ce qu'il a fait en 2011, donner raison au parti-milicien chiite.

C'est un détail qui passe sous silence, et pourtant l'avenir du pays en dépend. Il faut savoir qu'au Liban, les décisions ordinaires au Conseil des ministres sont prises « par consensus », comme l'exige la Constitution. Et lorsque cela s’avère impossible, on procède « par vote ». Dans ce cas, celles-ci sont adoptées « à la majorité des ministres présents ». Donc, avec un maximum de 16 ministres, on peut faire passer tout ce qu'on veut. Dans le nouveau gouvernement, ça sera toujours possible pour le 8-Mars et pratiquement impossible pour le 14-Mars.

 15  Les ex-8Mars, pro-Hezb et pro-Assad, peuvent avoir la majorité absolue, les ex-14Mars, anti-Hezb et anti-Assad, jamais


Pire encore, sur les « questions fondamentales », il faut l'approbation des deux tiers du gouvernement, soit 20 ministres. Ça sera à la portée du 8-Mars, qui ira piocher les 2 qui lui manquent du côté des girouettes (Joumblatt-Mikati). C'est du ressort de l'impossible et de l'imaginaire du côté du 14-Mars, qui doit pour cela, convaincre 11 ministres du CPL, Hezb, Amal, etc.

Les questions fondamentales sont détaillées dans l'article 65 de la Constitution. Il s'agit de « la révision de la Constitution, la proclamation de l’état d’urgence et sa levée, la guerre et la paix, la mobilisation générale, les accords et traités internationaux, le budget général de l’Etat, les programmes de développement globaux et à long terme, la nomination des fonctionnaires de la première catégorie ou équivalent, la révision des circonscriptions administratives, la dissolution de la Chambre des députés, la loi électorale, la loi sur la nationalité, les lois concernant le statut personnel et la révocation des ministres. » Alors qu'est-ce que vous en pensez, sodérr bekléwa la cheikh saad wou lal hakim?

Hélas, ce n'est pas tout. Pour réunir le Conseil des ministres, il faut réussir à déplacer 20 ministres au grand Sérail. Ainsi, si le 8-Mars veut bloquer le gouvernement de Saad Hariri, c'est parfaitement à sa portée, il suffit d'envoyer ses ministres jouer au tric-trac au Café des glaces. Attendez, je n'ai pas fini. Si 11 ministres du nouveau gouvernement présentent leur démission en bloc, Saad Hariri peut refaire ses valises et revenir à Paris, comme en 2011, sans que le Hezbollah ait besoin de repasser ses chemises noires. A part ça, tout va très bien Madame la Marquise.


 • Les réformes politiques pour revigorer notre démocratie


Ainsi, nous sommes nombreux à n'attendre rien d'extraordinaire du nouveau gouvernement « d'union nationale » de Saad Hariri, avec 15 défauts de fabrication, composé pour 2/3 de ministres hezbollahi-compatibles, pro-Assad par ailleurs, et pour 1/3 de ministres 14-Mars, hezbollahi-incompatibles et anti-Assad. Cependant, quelque soit la difficulté du contexte, nous sommes condamnés à avancer.

Indépendamment de nos divergences, mettons-nous d'accord au moins sur un point fondamental. Dans un pays normalement constitué, où les dirigeants politiques ont le sens des responsabilités, la première décision d'un Conseil des ministres qui a mis près de neuf mois pour voir le jour, serait de prendre à chaud les mesures nécessaires pour éviter une fois pour toutes à l'avenir, ce genre de blocage. Pensez-vous, au Liban, les leaders politiques raisonnent à l'envers: comme on vient de former le nouveau gouvernement, ce n'est plus la peine de s'attarder davantage sur la question (boukra menchouf, Allah yi3aïyéchna lawa2ta, Allah bédabber, wa hallouma jara). Et de la sorte, belote et rebelote, nous sommes assurer d'enchainer les enlisements ad vitam aeternam.

J'ai exposé dans un article récent, « Elisez-moi président de la République et je donnerai au Liban un gouvernement en 180 secondes », les trois tares majeures de la vie démocratique au Liban :

. Primo, l'autoprorogation du mandat du pouvoir législatif (parlement), en temps de paix (2009-2018) comme en temps de guerre (1972-1992).

. Secundo, la vacance du pouvoir présidentiel (présidence), à défaut de l'élection d'un président de la République dans les temps (imposée par la Constitution) pour la seconde fois consécutive depuis la seconde indépendance de 2005 (en 2007, comme en 2014) ; avec une particularité néfaste pour une démocratie saine, l'impossibilité d'élire un président de République issu de la « société civile », depuis 20 ans (Aoun est le 3e militaire, après Sleimane et Lahoud)

. Tertio, l'enlisement dans la formation du pouvoir exécutif (gouvernement), à chaque constitution d'un nouveau gouvernement, une constante qui s'aggrave depuis la première indépendance de 1943.

Les solutions existent, mais pas la volonté politique. Pour revigorer notre démocratie morbide, nous devons introduire trois mesures dans notre Constitution. Elles sont d'une simplicité déconcertante et d'une efficacité redoutable, pour tous ceux qui voudraient garder le statu quo afin de pouvoir bloquer la situation quand le vent devient trop défavorable.

 1  Infliger une « amende journalière » aux parlementaires pour éviter l'autoprorogation du mandat du pouvoir législatif (parlement) 


Il faudrait commencer par interdire l'autoprorogation, sauf si le Liban est officiellement en état d'urgence ou dans un état de guerre actif. Afin de bien dissuader les vaillants représentants de la nation de passer à l'acte, toute autoprorogation du mandat parlementaire ne doit plus être rémunérée. C'est la seule garantie pour le peuple libanais de s'assurer que l'autoprorogation exceptionnelle sera la plus courte possible. Dans ce but, il est clair qu'il faut même aller au-delà, en infligeant une amende conséquente aux députés par jour d'autoprorogation. Et vous verrez si la prochaine autoprorogation parlementaire durera 5 ans comme la dernière fois!

 2  Imposer aux d éputés le principe du « conclave présidentiel » pour éviter toute vacance du pouvoir présidentiel (présidence)


En effet, nous devons enfermer les parlementaires place de l'Etoile comme les cardinaux dans la chapelle Sixtine au Vatican! C'est un procédé qui fonctionne à merveille depuis des centaines d'années. Afin de rendre la vacance impossible ou la plus courte possible, les députés libanais ne doivent plus être rémunérés tant que durera la vacance présidentielle. Nous devons introduire là aussi, le principe d'une amende par jour de vacance présidentielle. Et vous verrez si la prochaine vacance présidentielle durera 122 semaines comme la dernière fois!

 3  Adopter le principe du « tirage au sort » dans l'attribution des ministères pour éviter l'enlisement dans la formation du pouvoir exécutif (gouvernement)


C'est le cœur du problème. L'attribution des ministères par tirage au sort se fera ainsi loin des interminables marchandages communautaires. Par ailleurs, il faudrait interdire le cumul de mandat député-ministre (une arnaque démocratique car on ne peut pas être juge et parti, assumant ces deux fonctions convenablement), décréter qu'un président issu d'un parti politique ne doit pas avoir une part ministérielle (celle-ci se confond avec celle de son parti) et surtout, institutionnaliser la norme 1 ministre pour 8 députés (tant que nous restons avec 128 parlementaires), avec un gouvernement de 16 ministres tout au plus (les députés indépendants devront donc se réunir pour obtenir un ministre de leur choix). Et vous verrez si le prochain enlisement gouvernemental durera 240 jours comme la dernière fois!


• Avec une démocratie morbide, il n'y aura jamais d'économie prospère


Alors, qu'est-ce qu'on peut escompter du nouveau gouvernement de Saad Hariri qui présente, avant même de se mettre en ordre de bataille, pas moins de 15 défauts de fabrication, dont ceux d'être pour deux tiers hezbollahi-compatible et pro-Assad, d'avoir accordé la majorité relative aux ex-8Mars, d'offrir le tiers de blocage au CPL, de confier le secteur électrique pour la 12e année consécutive au duo Aoun-Bassil et de n'octroyer à des femmes que 4 ministères sur 30? Nous sommes nombreux à se le demander.

Et pourtant, une chose est sûre, notre économie ne décollera pas vraiment avec des institutions morbides et des crises politiques interminables et à répétition. Le Conseil des ministres doit impérativement entamer une triple réforme pour remédier aux trois défauts majeurs de notre démocratie et libérer la République libanaise du marchandage communautaire de ses enfants : les vacances présidentielles, les autoprorogations du mandat parlementaire et l'enlisement dans la formation des gouvernements.

C'est le bon fonctionnement des institutions qui permettra aux citoyens libanais du Liban et de la diaspora, de croire et d'avoir de l'espoir dans le pays du Cèdre, et aux pays arabes et occidentaux, citoyens et dirigeants, d'accorder leur confiance et surtout leur argent, au chef du gouvernement, Saad Hariri, et aux 29 ministres désignés.